Pierre-Henri Thomas

Vendre Belfius n’aidera pas à renforcer notre défense

Pierre-Henri Thomas Journaliste

On soupèse l’idée, du côté de la N-VA, de constituer un fonds qui pourrait être approvisionné à hauteur d’une dizaine de milliards par la vente de certains actifs de l’Etat pour augmenter nos investissements dans la défense et les porter à 2% du PIB. Mauvaise idée.

Que la NVA se préoccupe de la défense est en soi une bonne nouvelle. Il y a eu des époques où les hommes politiques du Nord du pays étaient moins attentifs au sujet, et voyaient l’armée comme inutile et l’industrie wallonne de la défense comme une deuxième sidérurgie qu’il fallait laisser tomber. Voici deux ans, un chroniqueur d’un journal financier du Nord du pays osait commenter ainsi le projet de la ministre de la Défense Ludivine Dedonder de scinder entre une aile néerlandophone et une aile francophone l’école de sous-officier qui se trouve à Saint-Trond : « si Dedonder souhaite utiliser les jeunes Wallons comme chair à canon, qui sommes-nous pour l’en empêcher? ».

Mais laissons le passé au passé, et venons-en sur le fond.

Une vieille idée

La N-VA propose de vendre des participations publiques pour, comme nous l’apprend notre confrère De Tijd,  « garantir grâce à un fonds pour la Défense la continuité des projets d’investissement et des opérations (…). Nous alimenterons ce fonds en procédant à la vente de participations publiques et en attirant des investisseurs privés. »  

L’idée n’est pas neuve. Elle avait déjà été proposée il y a quelques mois par l’Open Vld  Alexia Bertrand , alors secrétaire d’Etat au Budget, qui avait expliqué, dans un entretien au Soir, que « dans un premier temps, notamment pour assurer le financement des investissements en Défense, il faudra vendre les banques et les assureurs, Belfius, BNP Paribas, puis Ethias. Et loger les montants ainsi récupérés dans un fonds spécial ». On imagine que ce sont ces participations-là que la N-VA a en tête, et pas les entreprises publiques wallonnes du secteur, comme la FN ou la Sonaca. Cela n’aurait en effet aucun sens que les pouvoirs publics se retirent aujourd’hui de ces entreprises qui pourraient nouer des partenariats avec d’autres acteurs européens. D’autant plus qu’il y a pouvoirs publics et pouvoirs publics : Ethias est détenue par le Fédéral et les régions flamande et wallonne. La FN et la Sonaca par Wallonie Entreprendre.

Encommissionnement

Vendre des participations publiques pour mettre de l’argent dans un véhicule censé résoudre les problèmes est une technique politique longuement éprouvée, et pratiquement toujours inefficace. Elle relève de la même logique que celle de l’encommissionnement des dossiers : en créant un machin, on a l’impression d’avoir résolu la difficulté. En réalité, on l’a simplement reportée de deux ou trois ans, au mieux le temps de refiler la patate chaude à la prochaine législature.

On avait essayé par exemple en créant en 2001 un fonds pour le vieillissement  qui n’a jamais servi et a dû être dissous en 2016. Bien avant, on avait essayé, pour sauver nos secteurs nationaux, de créer également des véhicules ad hoc (la SNSN), financé en grande partie par des techniques de « débudgétisation » dont la Belgique était devenue spécialiste et qui ont fait déraper la dette de l’Etat. Les opérations ponctuelles pour régler une question de long terme ne sont pratiquement jamais bénéfiques. On se souvient que l’Etat avait racheté en 2003 à ce qui s’appelait encore Belgacom le fonds de pension de l’entreprise, une opération qui lui avait permis alors de mettre 5 milliards à son budget (depuis, les règles européennes ont changé). Mais le fonds de pension n’était pas suffisant pour payer les retraites, et désormais, l’Etat doit y aller de sa poche.

Economiquement illogique

Il faut donc se demander, si l’on veut financer de manière pérenne les investissements dans la défense, s’il est opportun de vendre des participations, et notamment les participations dans la banque et l’assurance, qui rapportent chaque année de plantureux dividendes.  Pour que l’opération ait financièrement du sens, il faudrait que le produit de la vente, une fois placé, procure davantage d’intérêts que les dividendes de ces sociétés. Pour le dire autrement, il faudrait que ce produit, s’il sert à rembourser une partie de la dette, permette d’économiser une charge d’intérêt supérieure au montant des dividendes qui auraient été perçus.  Vu les valorisations actuelles, les taux d’intérêt et les bonnes perspectives de ces entreprises, ce n’est pas le cas. Si l’on veut vraiment constituer un fonds et le financer dans la durée, la meilleure solution est encore de conserver ces participations et de verser leurs dividendes dans ce pot ad hoc et d’emprunter la somme nécessaire. On va augmenter l’endettement ? Oui. Il faudra donc gérer plus efficacement le budget et sans doute demander à l’Union européenne de revoir à nouveau ses règles budgétaires qui ne permettent pas aux Etats-membres d’investir suffisamment pour répondre aux défis qui sont à nos portes : sécurité, climat, compétitivité de l’industrie européenne, digitalisation…

Certains rétorquent en disant que l’Etat n’a pas vocation à diriger une entreprise. L’argument porte jusqu’à un certain point. Pour employer un euphémisme, disons que l’Etat en tant que manager n’a pas toujours été à la hauteur. Mais l’Etat actionnaire, c’est autre chose : si l’Etat devait vendre ses participations dans des secteurs très importants, comme la banque, la défense, l’énergie, …  et si ces participations étaient acquises par des investisseurs étrangers, le pays  perdrait une série de leviers d’actions. C’est d’ailleurs pour cela que l’Etat, via la SFPI, est entré ces dernières années au capital d’Ageas et d’Euroclear.  Faut-il rappeler au formateur que la solution à nos problèmes énergétiques aurait été bien plus facile à trouver si Electrabel et Tractebel étaient restés dans le giron belge ? La preuve par l’absurde : certains négociateurs du prochain gouvernement proposent désormais de nationaliser le nucléaire.

Veut-on aider l’industrie wallonne ?

Une autre question, sous-jacente mais très sensible, est celle de la position de la N-VA sur des secteurs très importants pour l’économie wallonne : l’aéronautique et la défense. La question est d’ailleurs à poser à tous les partis politiques. Sont-ils résolus à soutenir ces secteurs ? Lorsqu’il avait fallu remplacer les F16, il n’y avait pas eu beaucoup de réflexions pour essayer de tirer parti de cette opportunité pour renforcer l’industrie wallonne. Certes, les règles sur les compensations économiques avaient changé par rapport à l’époque très généreuse du F16. Mais lorsque nous aurions pu entrer dans le programme du F35, à la fin des années 90, quand André Flahaut était ministre de la Défense, on a trouvé le ticket trop cher. Nous sommes donc rentrés tard dans le programme du F35, les retombées sont donc médiocres, et nous avons snobé les programmes européens concurrents.

Une question stratégique

 Tout cela n’a pas été le meilleur mouvement qui soit, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue stratégique. Economique parce que l’on doit quémander désormais une petite place dans certains programmes de défense européens. Stratégique parce que si jamais une présidente ou un président américain devenait soudain moins atlantiste, voire se désintéressait de l’OTAN, notre liberté de mouvement, avec une flotte de F35, pourrait être sérieusement entravée. Il suffit de se rappeler quelques propos de Donald Trump sur l’OTAN et la sécurité européenne. Et il suffit de voir, aujourd’hui même,  à quels problèmes les Ukrainiens sont confrontés quand il s’agit, pour se défendre, d’utiliser du matériel américain pour frapper des cibles militaires situées en Russie.

Il n’y a donc pas vraiment de miracle. Si l’on doit doper le budget de la défense – ce qui, malheureusement, est une nécessité dans le contexte géopolitique actuel – il faudra dégager des moyens budgétaires pérennes pour le faire. Et vendre des actifs qui rapportent des dividendes n’est pas la solution. Sauf à ne pas penser plus loin que l’horizon d’une législature. Mais on ne peut imaginer que des hommes politiques responsables hypothèquent l’avenir de la sorte. Non ?

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