Christophe De Caevel
Vaccination démocratique
Après un an de vie avec le coronavirus, l’argument de l’urgence n’est plus recevable pour contourner les règles démocratiques.
Notre système démocratique ne devrait-il pas être propulsé d’urgence en tête des priorités de vaccination? Il est en tout cas sérieusement malmené, si pas directement par le virus, à tout le moins par la gestion politique de la crise sanitaire. Couvre-feu, fermeture de certains commerces, interdiction des rassemblements, port du masque dans l’enceinte publique, etc.: toutes ces restrictions à nos libertés individuelles se décident à coups d’arrêtés ministériels, sans délibération publique. La professeure de droit constitutionnel Anne-Emmanuelle Bourgaux (UMons) a dénombré 33 de ces arrêtés depuis le début de la crise et, précise-t-elle dans La Libre, “à chaque nouveau texte, on constate une dégradation des droits”. “Et cela m’inquiète”, ajoute-t-elle. Cela inquiète aussi la Ligue des droits humains qui a introduit une action en référé contre l’Etat belge pour dénoncer cette “concentration des pouvoirs entre les mains du pouvoir exécutif”.
Après un an de vie avec le coronavirus, l’argument de l’urgence n’est plus recevable pour contourner les règles démocratiques.
La priorité accordée à l’exécutif est une tendance lourde des démocraties parlementaires. Elle atteint peut-être un point crucial car on parle ici de textes réglementaires qui touchent à une série de droits fondamentaux et à la rédaction desquels le Parlement (et donc les citoyens, car nous élisons des députés, pas des ministres!) n’est pas associé. Notez que le troisième pouvoir – la Justice – n’est guère mieux loti: il n’est pas mis sur la touche mais carrément “pris en otage par le politique”, analyse le constitutionnaliste Marc Verdussen (UCLouvain) dans Le Soir. Quand ils sont saisis d’un recours en urgence, les juges n’ont en effet pas vraiment la possibilité de faire autre chose que valider les mesures prises par les gouvernements pour tenter d’endiguer l’épidémie.
Une partie des arrêtés ministériels “corona” concerne la collecte et l’utilisation de données personnelles par les pouvoirs publics. Qui précisément pourra travailler avec ces données privées (parfois médicales), à quelles fins et pour quelle durée? Quelles barrières sont installées pour éviter que ces données n’aboutissent chez des sociétés privées, par exemple chez des assureurs? L’autorité de protection des données aimerait bien savoir tout cela. En vain apparemment. A tel point que sa directrice Alexandra Jaspar est sortie de sa réserve pour faire part de son inquiétude sur les antennes de la RTBF. Elle pointe le même élément: le Parlement, l’instance habilitée à fixer les règles du jeu en la matière, est mis sur la touche au profit de la seule gestion par l’exécutif.
Ce mode de gouvernance s’explique par un souci d’efficacité: la lutte contre l’épidémie nécessite des décisions rapides et immédiatement mises en oeuvre. Peut-être. Mais après un an de vie avec le coronavirus, l’argument de l’urgence et de l’imprévisibilité n’est plus vraiment recevable pour contourner les règles démocratiques. Si ces règles ne correspondent plus à la vitesse du monde actuel, les responsables politiques ont le pouvoir – et le devoir – de les changer.
Nous ne doutons pas des convictions démocratiques et même des bonnes intentions d’Alexander De Croo, de Pierre-Yves Dermagne et de leurs collègues. Mais leur manière d’agir crée un précédent. Un dangereux précédent sur lequel, demain ou après-demain, d’autres partis aux intentions nettement moins louables pourraient s’appuyer pour réglementer notre vie. Et ce n’est pas jouer à se faire peur: des partis populistes gagnent du terrain d’élection en élection, en Belgique comme ailleurs. Regardez comment la Hongrie a basculé vers un régime autoritaire en quelques années, faute d’avoir entretenu ses digues démocratiques.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici