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“Une économie durable, mais laquelle ?”
La frugalité est-elle la condition nécessaire pour avancer vers un monde plus durable ? Ralentir l’activité économique en bougeant, consommant ou se chauffant moins entraînerait de facto une réduction des externalités négatives créées par ces activités économiques. On pourrait d’ailleurs justifier cette nécessaire frugalité par les précédents excès : elle ne serait que la conséquence logique d’une surconsommation des ressources naturelles et de l’environnement par le passé.
Ceci étant, la frugalité bute contre deux gros problèmes. D’une part, elle s’applique à l’ensemble de l’économie. En effet, il ne faut pas oublier que pour assurer l’ensemble des services publics et de sécurité sociale, les autorités ” ponctionnent ” environ 50 % de la richesse créée en Belgique (le PIB, donc). Si celle-ci progresse moins vite, voire diminue pour plus de frugalité, les moyens dégagés seront forcément plus limités. Les écoles, les soins de santé, la justice, le paiement des pensions ou les infrastructures seront donc aussi concernés. A moins, évidemment, d’augmenter le taux général de taxation, voire de taxer le patrimoine existant (issu des richesses créées par le passé). Mais cela ne fonctionnerait qu’un temps, le temps que la source de revenus se tarisse. Or, serait-on prêt à limiter certaines interventions médicales ou à se passer de certains services publics pour assurer la stabilité d’une économie frugale ?
Le deuxième gros problème d’une économie frugale est précisément que la plupart des gens la rejetteraient. Si elle étaient bien expliquées, les mesures fiscales intégrant les externalités environnementales de tel ou tel comportement seraient davantage acceptées. Mais de là à adopter un mode de vie beaucoup plus frugal, impliquant une limitation drastique de son confort, et surtout de sa liberté de choix de consommer, il y a un pas que beaucoup ne franchiraient pas.
Quelle alternative ? Les techno-optimistes considèrent que l’innovation technologique apportera les solutions au maintien de notre niveau de vie, tout en adoptant un mode de vie et de consommation plus en ligne avec les impératifs climatiques et environnementaux. En d’autres termes, on pourra consommer autant, mais les produits consommés répondront aux impératifs de la durabilité. Cela résout fondamentalement les deux problèmes de la frugalité. Mais cela ne veut pas dire que l’innovation est une solution miracle. Tout d’abord, c’est un pari sur notre capacité collective à inventer. A ce jour, les solutions permettant de maintenir la mobilité et le niveau de consommation actuel tout en atteignant les objectifs fixés, ne fût-ce qu’en matière de gaz à effet de serre, ne sont économiquement et techniquement pas abouties. Choisir l’option ” innovation ” nécessite par ailleurs de gros investissements – principalement en intelligence et créativité – pour qu’au-delà de rendre le monde meilleur, les innovations participent aussi à la croissance économique. Il serait donc grand temps de se montrer ambitieux dans la recherche et développement si l’on veut qu’un pays comme la Belgique soit crédible en matière de durabilité.
Un autre problème souvent soulevé à l’encontre du techno-optimisme est l’effet rebond. Ce concept part du constat que lorsqu’une nouvelle technologie abaisse le prix d’un bien (et améliore donc le pouvoir d’achat), cela permet d’en consommer plus ou de consommer autre chose, réduisant ainsi l’effet initial du progrès technologique sur le pouvoir d’achat. Rapporté au défi climatique, l’effet rebond signifie que lorsque des technologies permettront de consommer de façon plus durable, on risque de consommer davantage puisqu’on aura bonne conscience. Si bien que l’effet global de la nouvelle technologie sur l’environnement sera limité. Il ne faut néanmoins pas y voir un problème insurmontable car la prise de conscience de l’enjeu climatique peut limiter l’effet rebond.
Personnellement, je ne crois pas à la frugalité. Et encore moins si tous les pays ne l’adoptent pas. Or, on sait que ce ne sera pas le cas. Il reste donc l’innovation, à condition de maîtriser l’effet rebond, et surtout d’en être les acteurs. Ce qui démontre encore une fois à quel point l’éducation, la formation et la recherche sont, et de loin, le premier déterminant de notre futur économique. Il ne sert à rien de parler d’ambition climatique, ni d’ailleurs de croissance ou de lutte contre les inégalités, si on ne s’en donne pas les moyens en matière de capital humain.
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