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Une dette publique au service des générations futures?

Depuis le 13ème siècle, sous le règne de Louis IX qui est considéré comme le ” premier roi de l’endettement “, la dette publique a servi à atteindre des objectifs très variés. Elle a tout d’abord servi à financer la défense nationale pour asseoir le pouvoir des monarques ; elle a ensuite permis de produire des biens et services publics, tels que l’enseignement ou la fourniture d’eau potable ; et plus récemment, elle a rendu possible l’octroi de droits et de prestations sociales, comme les retraites. Aujourd’hui, elle permet de lutter contre les conséquences du confinement.

On comprend aisément que la dette n’est pas riche en croissance future lorsqu’elle bénéficie aux plus seniors d’entre nous. C’est la dette qui comble le trou lorsque les cotisations sociales des travailleurs ne permettent pas de payer une augmentation rapide des retraites. Cette dette est intergénérationnelle car elle ne bénéficie nullement aux générations futures. Les retraites versées aujourd’hui ne sont pas des investissements pour demain : elles sont essentiellement consommées aujourd’hui.

Il s’avère que les dépenses publiques de santé et de vieillesse, liées aux paiements de retraites, sont élevées en Belgique, comme en Allemagne, mais elles le sont encore plus en France, en Italie et en Grèce, qui dominent le classement. En France, elles représentaient 22,8 % du PIB contre 19,1 % en Allemagne ; la Belgique se rapproche plus de l’Allemagne mais la trajectoire des dépenses de retraites y est inquiétante. Quant aux pays nordiques, ils affichent des pourcentages de 2 à 3 points en-dessous de la Belgique et, sans surprise, ils affichent tous une dette inférieure à 60% du PIB à la fin 2019. Pourtant, les pays nordiques ne sont pas des “paradis néolibéraux”.

Lorsque les dépenses privées de vieillesse et de santé sont ajoutées aux dépenses publiques, les Etats-Unis sont en tête de peloton car leur système privé de soins de santé est défaillant du point de vue concurrentiel ; ce sont des monopoles privés locaux qui s’y sont développés. Mais le poids de ces dépenses en France et en Italie est équivalent à celui des Etats-Unis. Et l’écart entre la France et l’Allemagne persiste : 25,5% contre 23,3%. Deux points de PIB environ, c’est énorme sachant que toutes les prestations sociales en France liées à l’emploi, dont le chômage, le logement, ou l’insertion professionnelle, représentent environ 1,5% du PIB. Sur ce plan, la France dispose d’une réelle marge de manoeuvre car le taux de pauvreté de ses retraités est, de très loin, le plus faible de l’UE. Si elle désire conserver la première place à tout prix, alors l’allongement de la durée de cotisations est inévitable. La réforme des retraites que le Président Macron va tenter de faire passer vise précisément à préserver des retraites décantes tout en évitant un allongement trop important de la durée de cotisations.

Si on élargit maintenant le spectre en considérant les dépenses sociales, elles ont atteint en France et en Belgique 31,2% et 28,9% du PIB en 2018, soit les taux les plus élevés de l’OCDE. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi mais il ne faut pas pour autant ignorer le coût d’opportunité de toute dépense publique. Augmenter le poids des prestations sociales qui ne bénéficient pas spécialement aux plus jeunes, c’est renoncer à augmenter les dépenses qui sont plus riches en croissance future et rendent ainsi leur financement soutenable, comme les dépenses liées à l’enseignement et la recherche.

Je serais accusé de prêcher pour ma paroisse si j’omettais d’écrire que, même dans le domaine de l’enseignement, les dépenses publiques en Belgique sont déjà très élevées, soit 2 points de PIB de plus qu’en Allemagne. La Belgique peut viser la première place en dépassant des pays comme la Finlande ou la Norvège. Il s’agirait d’un bel objectif en soi, notamment dans le cadre du plan de relance qui doit être avant tout un plan d’avenir, mais cela ne peut se faire sans une amélioration de la qualité de l’enseignement et de la performance des élèves dans les tests internationaux ; c’est un échec sur ce plan depuis plus de 20 ans.

Se pose la question fondamentale de l’organisation et de l’efficacité d’un euro additionnel de dépenses publiques. Cette question se pose d’autant plus urgemment que la trajectoire de la dette en Belgique va exploser de plus de 20 points, pour atteindre rapidement 120% du PIB. C’était 130% en 1995, mais on se demande ce qu’elle aurait été sans Jean-Luc Dehaene sachant que, dans le même temps, la dette en France atteindra 115% contre… 56% du PIB en 1995.

Etant donné le niveau et la répartition des dépenses publiques actuellement, le “potentiel de croissance future” de la dette est très faible. Si le contenu en croissance future de la dette se vide, les générations futures auront à affronter le visage d’un Janus tourné vers le passé, celui qui nous rappelle que la dette est associée au surendettement, à l’effondrement des banques, à des crises de change, ou à des explosions inflationnistes. La dette est alors considérée par les investisseurs comme un stock inerte, un boulet, un héritage du passé dont il faut se débarrasser par le désendettement.

Pour offrir aux générations futures le visage d’un Janus tourné vers l’avenir, il nous faudra au minimum réorganiser les dépenses publiques. Sans décision courageuse, la poursuite de la politique des taux d’intérêt réels négatifs par la BCE est notre seule voie de sortie. Elle n’est malheureusement pas sans risque car elle contribue à “écraser les primes de risque” en augmentant les liquidités disponibles et en poussant les investisseurs institutionnels à explorer toutes les opportunités de “faire du rendement”, non pas tellement par avidité mais pas instinct de survie. Dans ces circonstances, personne ne devrait s’étonner de la résilience extraordinaire des marchés financiers.

Comme Icare, la BCE est encore jeune ; elle n’a que 22 ans. Elle a agi délibérément en connaissance de cause, non par imprudence, non pas pour s’échapper dans le rêve mais pour éviter l’implosion de la zone euro et offrir des perspectives d’avenir à notre jeunesse. Et, même si le secteur privé ne parvient pas à épauler l’Etat en lui permettant de se recentrer sur ses missions régaliennes, dont la santé, la BCE peut encore agir et faire preuve de créativité mais c’est surtout la chute de l’histoire qui reste à écrire.

Mikael PETITJEAN, Professeur à l’IESEG et à la Louvain School of Management, Chief Economist chez Waterloo Asset Management.

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