Vincent Van Quickenborne défie le gouvernement De Wever dans une épreuve d’endurance sans précédent contre la surveillance fiscale automatisée.
Depuis le 21 octobre, la commission des Finances du parlement belge est le théâtre d’un bras de fer inédit. Vincent Van Quickenborne, député Open VLD, a pris la parole pendant plus de 35 heures cumulées, réparties sur plusieurs sessions (les 21 octobre, 5, 12 et 18 novembre), pour bloquer l’adoption d’un projet de loi controversé sur la surveillance fiscale.
La stratégie du filibuster : un marathon aux allures de test d’endurance
La technique employée par Vincent Van Quickenborne repose sur une disposition du règlement parlementaire belge : tant qu’un député s’exprime sur un sujet en lien avec le projet de loi débattu, il peut conserver la parole indéfiniment.
Le député est donc resté à la tribune, enchaînant les développements : comparaisons avec les systèmes de surveillance fiscale en Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Suède, Finlande, Irlande, Luxembourg et Suisse — allant jusqu’à s’essayer à quelques mots de finnois —, analyse de l’impact de l’intelligence artificielle sur la fiscalité, examen de la jurisprudence pertinente…
Une technique d’obstruction parlementaire, mieux connues sous son terme anglais « flibuster » et qui transforme le débat parlementaire en guerre d’usure.
L’objet du contentieux : la surveillance préventive des comptes bancaires
Au cœur de cette bataille parlementaire se trouve une réforme majeure du fichier central à la Banque nationale de Belgique, le fameux PCC.
Il centralise depuis 2014 les informations sur les comptes bancaires et produits d’assurance des Belges. Actuellement utilisé de manière réactive — uniquement sur soupçon avéré de fraude grave —, le PCC basculera vers un mode proactif.
Le fisc belge va utiliser des algorithmes pour fouiller dans nos données financières et repérer d’éventuelles anomalies. Avec le data mining, ce fichier pourra être croisé avec d’autres données. Le gouvernement fédéral se veut rassurant : les données sont d’abord pseudonymisées, puis un agent spécialisé examine les signaux. Si ceux-ci semblent sérieux, le dossier est transmis à un contrôleur. À la fin du processus, ce dernier peut demander les données réelles.
Les arguments de l’opposition : droits fondamentaux versus efficacité fiscale
Vincent Van Quickenborne a baptisé ce dispositif “money control”, par analogie avec le projet européen “chat control” visant à surveiller les messageries. Pour le libéral flamand, cette réforme pose trois problèmes fondamentaux. Le premier est qu’ « avec cette réglementation, chaque Belge devient suspect”. Son argumentation repose sur une inversion du principe juridique fondamental : au lieu que l’administration doive justifier un soupçon avant d’accéder aux données bancaires, c’est désormais chaque contribuable qui devra potentiellement justifier la cohérence de son patrimoine face à un algorithme.
Van Quickenborne s’appuie notamment sur les réserves émises par l’Autorité belge de protection des données (APD). Celle-ci a exprimé des doutes sur la proportionnalité du dispositif au regard du Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen.
Un flou juridique préoccupant
Le député souligne également une divergence entre l’exposé des motifs du projet de loi, qui cible prioritairement la fraude organisée, et le texte législatif proprement dit, qui n’offre pas de garanties suffisamment précises sur le périmètre d’application. Si les données issues du data mining ne peuvent servir de base légale à un contrôle fiscal — le contrôleur devant respecter les règles procédurales habituelles — la sélection algorithmique des dossiers “suspects” modifie substantiellement la philosophie du contrôle fiscal.
Un trophée pour la gauche, malaise chez les libéraux
Cette réforme s’inscrit enfin dans un équilibre politique complexe au sein de l’Arizona. Pour le parti socialiste flamand Vooruit, ce projet constitue une victoire stratégique dans un contexte où plusieurs autres mesures de lutte contre la fraude ont été édulcorées lors des négociations gouvernementales. Du côté du MR on s’est par contre toujours opposé à ce dispositif. Cette opposition a poussé la majorité à une manœuvre procédurale : plutôt que d’intégrer la réforme dans le projet de loi “dispositions diverses” — un texte omnibus regroupant diverses mesures —, elle a été ajoutée sous forme d’amendement. Cette stratégie a créé une interdépendance mécanique : le blocage du vote sur le PCC empêche également l’adoption d’autres dispositions contenues dans la loi, comme l’augmentation du plafond de revenus pour les flexi-jobs. La majorité observe donc avec attention si le MR respectera sa discipline de vote en maintenant une présence constante en commission.
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La riposte s’organise
Face à la stratégie mise en place par Van Quickenborne, les partis de la majorité se sont organisés pour une bataille d’endurance. Ils doivent maintenir une présence majoritaire en commission en permanence, sans quoi Van Quickenborne pourrait demander la suspension de séance et se reposer. Le système de rotation mis en place vise à épuiser physiquement l’opposant libéral.
Le député a bénéficié de quelques pauses grâce à Lode Vereeck (Vlaams Belang), qui a rebondi sur ses propos pour prolonger le débat — une tactique autorisée par le règlement. Le ministre des Finances Jan Jambon (N-VA), constitutionnellement tenu d’assister au vote, s’est également engagé à rester jusqu’au bout. “Il veut voir cette loi adoptée après des dizaines d’heures de débat”, a indiqué son porte-parole.
Ce mercredi matin, Vincent Van Quickenborne ne montrait aucun signe d’abandon. La commission s’est organisée pour poursuivre potentiellement jusqu’à 16 heures. S’il est toujours en train de parler à la fin de la séance, il peut poursuivre lors de la séance suivante. Dès qu’il s’arrête, un vote a lieu, et le projet de loi peut alors être transmis à la plénière.
Mais la question demeure : le député tiendra-t-il jusqu’à épuisement total, ou la majorité trouvera-t-elle un compromis pour sortir de l’impasse ?
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