La recherche sur les causes de la maladie d’Alzheimer progresse rapidement. À Louvain, la professeure Lucía Chávez-Gutiérrez mène des recherches pour en comprendre les origines, avec comme objectif final de développer un traitement préventif. « De la même manière qu’on peut prévenir l’accumulation de cholestérol dans les artères, on doit pouvoir éviter celle des plaques amyloïdes dans le cerveau. »
Il ne se passe pratiquement pas un mois sans qu’une nouvelle avancée dans la recherche sur Alzheimer ne soit annoncée. Cette maladie neurodégénérative est responsable de la majorité des cas de démence. Les percées concernent souvent des médicaments qui retardent légèrement la maladie ou ralentissent la dégénérescence, permettant ainsi aux patients de conserver un peu plus longtemps une certaine qualité de vie.
Pour les non-initiés, il semble y avoir des centaines d’études en cours en même temps. Et c’est bien le cas, confirme la professeure Lucía Chávez-Gutiérrez, qui dirige le laboratoire des mécanismes moléculaires des maladies neurodégénératives au centre VIB-KU Leuven pour la recherche sur le cerveau et les maladies. « Il est logique que les recherches se fassent sur de nombreux fronts. Les scientifiques partagent constamment leurs résultats, nous nous complétons bien. Les maladies neurodégénératives sont extrêmement complexes, et nous ne comprenons pas encore entièrement ce qui se passe dans le cerveau. D’où l’importance de mener des recherches fondamentales sur les processus moléculaires. »
Chávez-Gutiérrez insiste sur le fait que cette recherche est d’une grande importance pour la société. « Toutes les 3,2 secondes, quelqu’un reçoit un diagnostic d’Alzheimer. D’ici 2050, 139 millions de personnes dans le monde seront touchées. Ce n’est pas une maladie rare. »
À quel stade en êtes-vous dans vos recherches ?
« Dans la maladie d’Alzheimer, les protéines toxiques amyloïde et tau s’accumulent dans le cerveau. Elles provoquent des inflammations et la mort des cellules nerveuses. Il existe deux formes : une forme génétique et une forme sporadique. La forme génétique est causée par des mutations dans trois gènes possibles, et toute personne porteuse de l’une de ces mutations développera inévitablement la maladie. Les symptômes peuvent apparaître très tôt, parfois dès l’âge de 25 ans. Cela dépend de la mutation et de son effet sur la production d’amyloïde.
Au laboratoire, nous sommes capables de déterminer pour chaque mutation l’âge auquel les symptômes se manifestent. Mais nous ne comprenons pas encore complètement les mécanismes moléculaires sous-jacents, et donc nous ne pouvons pas encore les corriger. La forme génétique est la plus claire, mais elle ne représente qu’environ 1 % des cas. La forme sporadique est plus complexe, plus fréquente, et elle ne se développe que plus tard dans la vie. »
La forme génétique permet-elle de mieux comprendre la forme sporadique ?
« C’est en effet notre point de départ. Nous savons désormais que la forme sporadique présente elle aussi une forte composante génétique. Mais dans ce cas, elle n’est pas déterministe : la composante génétique détermine uniquement le risque de développer la maladie. Nous connaissons déjà certains facteurs importants dans le développement d’Alzheimer, comme l’accumulation des protéines toxiques amyloïde-ß et tau. Tout le monde produit ces protéines, et elles sont normalement dégradées, mais chez les personnes qui développent Alzheimer, on observe une accumulation due à un dysfonctionnement du système naturel de dégradation.
Nous savons, dans la forme génétique, que plus les protéines amyloïde-ß sont longues, plus les symptômes apparaissent tôt. Il s’agit donc, dans la forme sporadique, de réduire la production de ces fragments longs d’amyloïde-ß, afin de diminuer la dépendance au système naturel de dégradation. Si nous parvenons à bien comprendre ce mécanisme, nous pourrons développer un traitement capable de prévenir la maladie. »
Pourrait-on alors prédire Alzheimer ?
« On pourrait, sur base génétique, identifier les personnes à risque élevé et agir de façon préventive. La maladie se développe très lentement. Pour chaque patient diagnostiqué, il y en a trois en phase de développement silencieux, sans symptômes apparents. Ce processus peut durer 20 ans. Une fois les premiers signes de démence visibles, les dommages sont irréversibles. D’où l’importance d’un dépistage précoce. »
Peut-on déjà détecter l’accumulation d’amyloïde-ß et de tau, par exemple via des analyses sanguines ?
« C’est une partie importante de notre recherche. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que différentes longueurs de la protéine amyloïde-ß sont associées à la maladie, et que les fragments plus longs d’amyloïde-ß sont liés à une apparition plus précoce de la forme génétique d’Alzheimer. Il existe des enzymes qui découpent l’amyloïde-ß, mais à cause de mutations génétiques, ces enzymes fonctionnent parfois moins bien, ce qui entraîne la production de fragments plus longs. Et plus la protéine est longue ou grande, plus le risque d’accumulation est élevé, et donc aussi le risque de développer Alzheimer. Cela influence également la vitesse de progression de la maladie et le moment de son apparition.
Les longs fragments d’amyloïde-ß sont présents dès la naissance et peuvent être détectés dans le sang. Pour la forme sporadique, nous dépendons de biomarqueurs. Aujourd’hui, nous pouvons détecter ces protéines nocives et prédire le déclin cognitif. Le moyen le plus clair serait via le liquide céphalo-rachidien, mais ce n’est évidemment pas idéal. Nous pouvons aussi observer ces changements dans le sang, mais cette méthode doit encore être optimisée. Il faut davantage de recherches pour pouvoir poser un diagnostic plus précoce. »
L’idée serait donc de bloquer la production d’amyloïde pour stopper Alzheimer ?
« C’est en effet la logique. Dans une étude précédente, on a tenté de bloquer ces enzymes afin de réduire la production d’amyloïde-ß. Malheureusement, les enzymes qui dégradent l’amyloïde dégradent également d’autres protéines dans le cerveau, et si cette fonction est inhibée, cela entraîne des effets secondaires. Il faut donc trouver une solution qui améliore uniquement la découpe de l’amyloïde en petits fragments, sans nuire aux fonctions essentielles de ces enzymes. C’est pourquoi il est crucial de comprendre le mécanisme de découpe au niveau moléculaire.
Les recherches en laboratoire montrent que les enzymes mutées — qui dégradent moins bien l’amyloïde — sont aussi moins stables, ce qui influence le moment où la maladie d’Alzheimer se déclare. En rendant ces enzymes plus stables et plus efficaces dans la dégradation de l’amyloïde-ß, on pourrait prévenir ou retarder l’accumulation de cette protéine dans le cerveau.
Est-il donc possible, en empêchant l’accumulation d’amyloïde, d’éviter complètement la maladie ?
« C’est exactement notre espoir. Si on parvient à stabiliser ces enzymes, on pourrait prévenir ou retarder à la fois les formes génétiques et sporadiques. »
Cela pourrait-il mener à un vaccin contre Alzheimer ?
« Il faut plutôt penser à des médicaments comme ceux contre le cholestérol. Des traitements préventifs pour les personnes à risque élevé, même avant que les taux ne soient anormaux. Pour les formes génétiques, on pourrait donner le médicament de manière préventive. Pour les formes sporadiques, ce sera plus difficile, mais tout dépendra du dépistage précoce. Il faut identifier les personnes à risque pour pouvoir les traiter à temps. »
Dans quel délai cela pourrait-il arriver ?
« Les premiers essais cliniques avec des molécules ciblant la fragmentation de l’amyloïde sont déjà en cours. On attend les premiers résultats l’année prochaine. Mais il faudra développer différents traitements pour s’adapter aux diverses mutations. Nos recherches peuvent aider à affiner les approches pour les deux formes de la maladie. »
On parle donc de quelques années, ou de quelques décennies ?
« Il est difficile d’être précis, mais je pense que nous verrons cela de notre vivant. Ce n’est plus de la science-fiction.
Êtes-vous parfois inquiète à l’idée de développer la maladie vous-même ?
« Oui, j’y pense. C’est quelque chose qui m’effraie. Je sais à quel point cette maladie peut vous changer profondément. C’est pourquoi je souligne qu’on peut déjà agir sans médicaments : adopter une vie saine, bien manger, faire de l’exercice, et surtout, garder une vie sociale active. Jouer, danser, faire de la musique… Peu importe. L’isolement des personnes âgées est un vrai problème, maintenir les liens sociaux est crucial. Je trouve essentiel que les personnes âgées restent intégrées dans la société le plus longtemps possible. »