Un atterrissage de l’économie en douceur ? N’y comptez pas…

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L’inflation diminue, mais l’économie mondiale restera vulnérable en 2024. Et l’éventualité d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche risque d’amplifier toutes ces tendances.

Depuis quelque temps, l’économie mondiale semble défier la gravité. Malgré le resserrement le plus rapide de la politique monétaire depuis les années 1980, la croissance économique des Etats-Unis s’est probablement accélérée en 2023. L’Europe s’est en grande partie sevrée du gaz russe sans catastrophe économique. L’inflation mondiale a chuté sans que le chômage ne connaisse de fortes hausses, en partie parce que les marchés du travail se sont jusqu’à présent refroidis principalement en supprimant des offres d’emploi plutôt que des emplois eux-mêmes. En cette fin d’année, les optimistes qui avaient prédit un “atterrissage en douceur” font un tour d’honneur.

Pourtant, l’économie mondiale restera fragile en 2024. L’inflation sera certes plus faible, mais elle restera trop élevée. La politique économique est toujours confrontée à un exercice d’équilibrisme insoutenable. Et même si l’Amérique continue d’éviter une récession, le reste du monde semble vulnérable.
La récente baisse de l’inflation a été un soulagement pour les banquiers centraux. Mais dans les grandes économies riches, il est peu probable qu’elle continue à baisser jusqu’à leur objectif de 2 %, à moins d’une récession.

D’une part, les marchés du travail semblent encore trop chauds et la croissance des salaires nominaux trop élevée. D’autre part, les économies devront faire face aux effets d’un pétrole plus cher. Alors qu’il semblait que les chocs d’offre de l’époque de la pandémie et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’étaient dissipés, que les chaînes d’approvisionnement s’étaient désengorgées et que les économies s’étaient rééquilibrées, le prix du baril de pétrole a augmenté d’environ un tiers depuis l’été, grâce aux réductions de la production en Arabie saoudite et ailleurs. L’augmentation du prix de l’essence qui en résulte pourrait faire craindre une “deuxième vague” d’inflation.

Une histoire de taux

Les principales banques centrales ne relèveront probablement pas leurs taux d’intérêt, considérant tout rebond de l’inflation dû au pétrole comme temporaire. Mais, craignant les déclarations de victoire prématurées, elles ne seront pas non plus enclines à réduire les taux. D’après les données récentes, l’économie américaine peut supporter un resserrement monétaire, même si les grandes entreprises qui refinancent leurs dettes et les ménages qui ont épuisé leurs économies de l’ère pandémique commencent à se sentir à l’étroit. En revanche, les taux d’intérêt élevés pourraient faire basculer l’économie déjà chancelante de la zone euro dans la récession, et la crainte de l’inflation pourrait empêcher les responsables politiques de réduire les taux en réponse à cette situation.

Même la robustesse de l’économie de l’Oncle Sam est assortie d’un gros astérisque : elle est soutenue par des niveaux extraordinaires d’emprunts publics. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le déficit du gouvernement fédéral s’élève à un taux annuel de plus de 7 % du PIB. Le débat fait rage pour savoir si les taux d’intérêt sont entrés dans un régime “plus élevé pour longtemps”. La réponse dépend de la poursuite de la frénésie d’emprunts. C’est probablement le cas : le Congrès ne s’y opposera certainement pas au cours d’une année d’élection présidentielle. Et la première tâche du prochain occupant de la Maison Blanche sera de renouveler les réductions d’impôts de Donald Trump pour 2018, dont beau­coup expirent en 2025 et que même les démocrates seront réticents à laisser s’éteindre complètement.
Les économies dont les gouvernements n’empruntent pas librement semblent plus vulnérables.

Outre la récession probable en Europe, l’économie mondiale souffre du ralentissement de la croissance en Chine. La capacité de ce pays à se redresser et à échapper à la “japonisation” dépendra de la mesure dans laquelle le gouvernement ouvrira les robinets de la relance. Mais la récente détérioration de la politique économique de la Chine – de la politique du zéro covid à la répression de la technologie – suggère qu’il serait imprudent de s’attendre à des mesures de relance bien calibrées. De plus, la Chine est confrontée à des contraintes budgétaires en raison de l’endettement de ses gouvernements locaux.

Protectionnisme

Parallèlement, l’aggravation progressive des tensions géopolitiques entre l’Amérique et la Chine et la vague mondiale de protectionnisme jettent du sable dans les rouages du commerce. Selon l’organisation caritative Global Trade Alert, le nombre de mesures protectionnistes en vigueur est passé d’environ 9.000 il y a 10 ans à quelque 35.000 aujourd’hui. Si certaines économies asiatiques bénéficient de la délocalisation des chaînes d’approvisionnement en dehors de la Chine, la duplication des investissements et la perte des bénéfices de la spécialisation pèsent sur le potentiel de croissance de l’économie mondiale. Même les pays gagnants, tels que l’Inde, qui connaît une croissance rapide, montrent une dérive inquiétante vers l’économie nationale.


Les pays pauvres qui ne sont pas en mesure de bénéficier de la redistribution des investissements souffrent d’un endettement élevé, d’une faible croissance et d’un dollar fort. En 2024, le FMI continuera à s’efforcer de trouver un moyen d’alléger la dette des pays lourdement endettés auprès de la Chine et d’autres prêteurs qui ne souscrivent pas aux principes traditionnels de restructuration de la dette. Et si les déficits américains continuent de propulser l’économie américaine alors que la croissance mondiale déçoit, il faut s’attendre à ce que le dollar s’apprécie encore, ce qui aggravera leurs difficultés.

L’éventualité d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche risque d’amplifier toutes ces tendances. Un second mandat de Trump signifierait probablement des réductions d’impôts encore plus importantes – et donc des déficits plus importants – ainsi qu’une nouvelle escalade de la guerre commerciale. Comme en 2016, les marchés boursiers pourraient se redresser, mais ce ne serait pas une bonne nouvelle. A la fin de l’année 2024, on pourrait avoir l’impression que l’économie mondiale a atterri en douceur, mais cela risque plutôt d’être le début d’une nouvelle course effrénée.

Henry Curr, rédacteur en chef du service économique de “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”


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