Paul Vacca
Twitter n’est peut-être pas le lieu idéal pour élaborer des débats constructifs
Avec près de 15 ans de recu, il commence à apparaître assez clairement que Twitter n’est peut-être pas le lieu idéal pour élaborer des débats constructifs.
Alors que les questions qui agitent notre société deviennent de plus en plus complexes, techniques, systémiques et même à haute teneur scientifique, exigeant recul et perspective, l’immédiateté et la fluidité des échanges sur le réseau, quant à elles, nous poussent toujours plus à la simplification, la réduction et la polarisation. En ce sens, toutes les nuances et les pauses nécessaires à tout débat sont rendues mécaniquement impossibles par la qualité même du réseau, sa réactivité.
Autre effet confiscatoire, les échanges sur Twitter – comme sur tous les réseaux sociaux – conduisent, du fait même de sa structure identitaire, à la personnalisation et l’essentialisation des échanges, deux travers qui mènent plus facilement au pugilat qu’au débat. Dans la vie réelle, des variations et des contrepoints peuvent parfois être développés. Mais sur les réseaux sociaux, nous sommes souvent conduits à réduire un argument à l’identité de la personne qui le porte (la personnalisation) ou enfermer l’identité de la personne dans l’idée qu’elle défend (l’essentialisation). Dès lors, impossible de débattre puisque les termes de l’échange se trouvent pris en otages par nos identités.
De plus, sur les réseaux sociaux, un contrat invisible nous lie à notre communauté de pensée. Tout écart est considéré comme une connivence avec l’ennemi. L’enjeu consiste plus à donner des gages de pugnacité à son propre camp qu’à véritablement échanger. C’est l’effet de meute: la virulence est lue comme du courage et toute concession comme une faiblesse. Or, celle-ci constitue pourtant la condition nécessaire à un débat constructif. Last but not least et pour ne rien arranger, Twitter est, plus encore que tous les autres réseaux sociaux existants, ouvert à tout le monde et tout le monde peut donc y discuter de n’importe quoi avec n’importe qui, ce qui crée inévitablement un effet de cacophonie peu propice à un débat serein.
Pas étonnant, dès lors, que certains esprits chagrins voient en Twitter la nouvelle incarnation du bistrot à l’ère numérique. Un café du commerce mondial où les théories fumeuses et les expertises de comptoir pullulent à l’envi. Seule différence, mais notable: alors que dans le bistrot d’antan, il n’y avait que les voisins de zinc qui subissaient les inepties, désormais avec Twitter, celles-ci jouissent d’une audience planétaire. Et de fustiger le fait que tout le monde, grâce à Twitter, puisse avoir son quart d’heure d’expertise mondiale faisant de Polo474 ou Rikoo77 l’égal d’un prix Nobel.
Le problème avec ce genre de jugements, tout en supériorité, c’est qu’ils se confondent inévitablement avec ce qu’ils critiquent, procédant du même confusionnisme qu’ils sont censés pointer du doigt. Twitter n’a pas vertu à produire un quelconque savoir ni expertise: ce n’est pas un média qui source et hiérarchise ses contenus ; ce n’est pas un think-tank et encore moins une université. Or si c’est un bistrot, pourquoi accorder un quelconque crédit – ou discrédit – aux thèses qui sont exposées? D’autant que discréditer une thèse – surtout la plus farfelue – est souvent le meilleur moyen d’en assurer la promotion. Le problème ne viendrait pas tant de Twitter que d’un mauvais diagnostic des experts en expertise à propos de cet outil encore mal identifié. Un bistrot n’est pas une académie. Alors Twitter, un bistrot? Pourquoi pas? Mais alors de type auberge espagnole, là où l’on mange ce qu’on apporte.
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