Trop “hard”, la réforme des droits d’auteur?
La disparition programmée des droits d’auteur dans certaines professions suscite de vives réactions. A raison?
On le sait, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a décidé de s’attaquer au régime fiscalement avantageux des droits d’auteur dont bénéficient une série de professionnels créateurs de contenu (artistes, journalistes, architectes, informaticiens, etc.). Et ce, au grand dam de plusieurs acteurs biens connus de la tech belge tels que le spécialiste du logiciel pour entreprise Odoo, dont le CEO et fondateur Fabien Pinckaers a lancé une pétition s’opposant au projet de réforme porté par le ministre.
La plupart des développeurs de logiciels qui travaillent en Belgique ont en effet la possibilité de déclarer une partie de leurs revenus en droits d’auteur taxés au taux distinct de 15% (avec un plafond de 64.070 euros indexés en 2022) tandis que la partie liée aux revenus professionnels est taxée au taux progressif à l’impôt des personnes physiques. Chez Odoo, 300 développeurs IT sont concernés par le régime des droits d’auteur. Si le projet devait être adopté dans sa forme actuelle, ils pourraient perdre en moyenne 300 euros de salaire net par mois.
Certes, “il y a autant de logique à profiter du talent d’un écrivain que des bienfaits d’une application mobile“, estime Pierre-François Coppens, conseiller fiscal et maître de conférences à l’UCLouvain (FUCaM). “Mais certains ont poussé le bouchon vraiment trop loin, ajoute-t-il. Le système a été dévoyé. Il n’est pas rare de voir certains consultants donner à des soi-disant droits d’auteur une importance exagérée par rapport à leur métier de base. Le régime a pour vocation de soutenir les auteurs de créations qui sont véritablement originales et pas celles qui se limitent à la publication de quelques articles ou commentaires sur les réseaux sociaux ou encore à présenter un document PowerPoint de quatre pages.”
Délocalisations
Vouloir remettre de l’ordre paraît donc normal. Pour ce faire, le gouvernement veut limiter la partie de la rémunération déclarée en droits d’auteur (à 50% de la rémunération totale pour l’exercice d’imposition 2024, 40% en 2025 et 30% en 2026 suivant l’avant-projet de loi) mais aussi exclure du régime tous ceux qui ne sont pas de vrais artistes (via des attestations à produire, une obligation de diffusion au public, etc.).
Du coup, “pas mal de patrons de PME du secteur de l’IT sont inquiets, confirme Pierre-François Coppens. Pour toute une série de professions, les droits d’auteur sont en effet le package salarial naturel qui permet de compenser la forte pression fiscale sur revenus sur le travail“. Des délocalisations sont-elles à craindre, comme le prétendent d’aucuns? “Le risque est réel, observe Pierre-François Coppens. Il n’est pas très compliqué pour une PME du secteur informatique de déplacer son activité à l’étranger, au Luxembourg par exemple. Certains ont d’ailleurs déjà entrepris des démarches.”
Pourtant, “l’administration fiscale dispose de tous les outils pour lutter contre les abus”, ajoute Pierre-François Coppens. Pourquoi a-t-on alors laissé dévier le système? Changer la loi fiscale à chaque gouvernement devient une spécialité belge. Avec, comme résultat, toujours plus d’instabilité fiscale et une réforme mal ficelée. Car “dans l’état actuel du texte, tout le monde sera touché par la réforme mais personne ne sera content, et certainement pas les artistes qui vont y perdre beaucoup et qu’une période transitoire d’un an ne suffira pas à satisfaire!”, conclut le fiscaliste.
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