Philippe Ledent
“Tourner la page de l’austérité”
Le débat sur l’austérité a fait couler beaucoup d’encre au cours des 10 dernières années. Celle-ci a été décriée et souvent présentée comme une soumission aux créanciers ou à l’Allemagne, dans la mesure où c’était le prix à payer pour l’implication de cette dernière dans les mécanismes de sauvetage des pays en difficulté. Tout cela a donné l’impression qu’il y avait un choix : celui de l’austérité ou celui de la relance. Mais en fait, la question de l’austérité était plus complexe. Tout comme l’est aujourd’hui la question de son abandon.
En quoi consistait l’austérité ? Pour faire simple, il s’agissait de remettre les finances publiques de la plupart des pays de la zone euro sur de bons rails, mais aussi plus largement de remettre ces économies dans des conditions de fonctionnement compatibles avec l’union monétaire. Bien entendu, cela représentait des mesures d’économies, qui ont effectivement affaibli des Etats déjà durement touchés par deux récessions (2008-2009 et 2012-2013).
Mais n’oublions pas qu’il ne s’agissait pas de faire gagner un modèle de pensée sur un autre. L’austérité s’imposait à des Etats dépensant plus qu’ils ne gagnaient et n’ayant plus de créanciers prêts à mettre davantage la main au portefeuille. Pour être honnête, avouons que l’austérité était bel et bien l’unique trajectoire possible dans le cadre d’une union monétaire dans laquelle les pays qui la composent ne sont pas disposés à unir ni leur budget, ni leur dette.
Il était donc évident que l’austérité s’imposait à un très mauvais moment, et il était tout aussi évident que, dans un premier temps, les mesures auraient un impact négatif sur les économies. Mais tel était aussi le prix à payer pour les déséquilibres et les excès de dépenses des 10 premières années de l’union monétaire.
Aujourd’hui, l’austérité n’a plus beaucoup de supporters. On sent bien que le vent a tourné en faveur d’une certaine relance budgétaire : la Banque centrale européenne l’a encore souligné lors de sa dernière réunion de politique monétaire, et la Commission européenne semble, au moins en coulisses, avoir une interprétation de plus en plus large des objectifs à réaliser et des budgets qui lui sont soumis.
Mais il ne faudrait pas s’y tromper, si l’austérité passe petit petit au second plan, ce n’est pas parce que les responsables politiques et économiques auraient soudainement vu la lumière et le non-sens qu’elle représenterait pour les économies de la zone euro. Que du contraire, c’est plutôt parce qu’elle a porté ses fruits : plusieurs économies de la zone euro ont corrigé, au moins en partie, leurs problèmes de compétitivité, et les finances publiques de la plupart des pays sont stabilisées. Ceci, combiné à la faiblesse des coûts de financement des Etats et à une meilleure conjoncture au cours de la période 2014-2017, permet d’envisager de tourner la page de l’austérité. Ce n’était pas une erreur, mais un mal nécessaire, dans les conditions de fonctionnement de la zone euro.
En 2020, seule l’Italie, la France, l’Espagne et la Belgique sont encore dans une zone ” dangereuse “, mais pas dramatique : leur déficit public devrait être compris entre 1,5% et 3% de leur PIB. Pour l’ensemble des autres Etats (en ce compris des pays tels que la Grèce ou le Portugal), la situation des finances publiques est proche de l’équilibre voire dégage un surplus budgétaire. Quel chemin parcouru en 10 ans ! Dès lors, face au ralentissement économique actuel, on peut effectivement envisager une timide relance budgétaire à l’échelle de la zone euro. Encore faudra-t-il savoir comment rentabiliser au mieux les moyens qui pourraient éventuellement être libérés. Sur ce plan, on ne peut pas dire que les gouvernements européens aient brillé par leur efficacité dans le passé…
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