Tourisme: Paris sans bus à impériale
Une escapade maligne sur les pas d’un grand cinéaste, une virée coquine dans une (ex-) maison close, une visite du nouveau palais de justice, dans la vénérable Maison de la radio ou une sulfureuse promenade anti-corruption: la capitale française comme vous ne l’avez jamais vue…
On croit tout connaître de la capitale française. A l’écart des grands axes touristiques, il y a pourtant des initiatives emballantes, des pas de côté étonnants qui renouvellent le genre quelque peu éculé de la visite guidée. Voici sept propositions pour oublier la tour Eiffel et les vendeurs de porte-clés.
Le Paris de François Truffaut
Cinéphile éclairée et partageuse, Juliette Dubois a monté ses ciné-balades en 2010 pour faire découvrir les quartiers de la ville lumière à travers le prisme du septième art. Le Paris de François Truffaut (1932-1984) fait partie de son réjouissant catalogue thématique.
Comme le rappelle la guide, le cinéaste de la Nouvelle Vague dont le mot d’ordre était “les femmes et les enfants d’abord” avait des attaches profondes avec la capitale française et en particulier avec le 9e arrondissement qui sert de fil rouge à l’excursion. Le quartier comportait de nombreuses salles obscures aujourd’hui disparues. Truffaut adolescent y passait ses journées plutôt que sur les bancs de l’école. Il n’oubliera jamais cette période, fondatrice dans son parcours. Lorsqu’il passera de l’autre côté de la caméra, le réalisateur autodidacte se tourna spontanément vers le décor de son enfance pour servir de toile de fond à son premier film Les 400 coups, l’histoire, en partie autobiographique, d’un jeune garçon fugueur, mal aimé de ses parents, interprété avec fougue par Jean-Pierre Léaud. Ce passionnant va-et-vient entre la vie privée et l’écran est l’une des clés de la visite. On en revient ému et réjoui grâce au talent de son initiatrice, passeuse hors pair.
Les dessous de la Maison de la radio
La Maison de la radio et de la musique qui borde la Seine dans le 16e arrondissement, abrite sept radios publiques dont France Inter et France Culture. Elle fêtera l’an prochain ses 60 ans. Ce monumental bâtiment circulaire de 500 mètres de circonférence fut inauguré en grande pompe par le général de Gaulle en 1963. La visite du “camembert” – ancien siège de l’ORTF qui regroupait les deux premières chaînes de télévision nationales – nous plonge instantanément dans les Trente Glorieuses. Le prestige est intact. Avec son hall digne de l’aéroport d’Orly, ses interventions artistiques d’envergure dont l’inamovible sculpture en bois L’Echo de la forêt qui trône depuis toujours dans la rotonde, le temple des ondes n’a rien perdu de son charme.
Mais la balade n’est pas que rétrospective. En 2014, l’auguste Maison qui commençait à accuser le coup a entrepris des travaux d’extension et de rénovation colossaux. Le joli tour du propriétaire (environ 1h30) permet de comprendre les enjeux de cette vaste entreprise mais aussi d’entrevoir les défis techniques des artisans du son. Les organisateurs prennent le temps de se poser dans les auditoriums, les salles de réunion du dernier étage ou les studios d’enregistrement, dont le fameux “bocal” de France Inter, où officient les animateurs vedettes de la station.
L’envers du Printemps
Si le concept store Colette, incarnation des années 2000 en matière de tendances, a baissé le rideau après deux décennies d’intense activité, Le Printemps, continue, lui, à braver les saisons depuis 1865. L’enseigne du boulevard Haussmann, célèbre jusqu’en Corée (au moins du Sud), a vu défiler bien des modes et des révolutions, et pas seulement vestimentaires. Né au Second Empire, le grand magasin bouleversa les codes de la consommation et de la distribution en s’inspirant d’illustres modèles comme Harrods à Londres qui l’avait précédé de quelques années.
L’agence Cultival spécialisée dans les visites culturelles ne pouvait passer à côté de cette page d’histoire qui s’inscrit au croisement de la politique, de la sociologie et de l’élégance. De la salle des machineries à la majestueuse coupole Art déco jusqu’à l’escalier d’honneur, la visite du Printemps est l’occasion d’approfondir ses connaissances sur la naissance du chic parisien érigé en soft power.
Aux belles poules
Des maisons closes chics qui foisonnaient à Paris avant que la loi Marthe Richard proclamée en 1948 n’entraîne leur fermeture, il reste moins que des fantômes. Le One Two Two a disparu corps et âme, Le Sphinx idem et La Maison Souquet est devenue un hôtel cinq étoiles qui, tout en restituant l’esprit boudoir du défunt lupanar, n’a gardé aucune trace de son passé. Aux belles poules est le seul établissement qui a su préserver une partie de son décor d’origine. L’adresse dont il est fait mention dès 1870 compta jusqu’à 31 travailleuses durant les années folles. Les coins les plus intimes de ce lieu de rendez-vous n’existent plus mais le salon du rez-de-chaussée avec ses mosaïques Art déco, ses fresques érotiques et ses miroirs ont miraculeusement résisté au temps. La propriétaire des murs qui a découvert le passé trouble des lieux au moment de l’acquisition du bien propose différentes formules de visites-conférences sur l’histoire des maisons de tolérance, le tout pimenté par un cabaret burlesque qui rend hommage aux cocottes parisiennes.
Sur les traces de la corruption
Très certainement l’initiative la plus engagée du moment. L’association Anticor cofondée en 2002 par le juge et écrivain Eric Alphen pour lutter contre la corruption et promouvoir la probité dans la vie publique, propose de caler ses pas sur les scandales qui ont entaché la vie de la République. Au programme: pots-de-vin, dessous-de-table et autres graissages de patte qui ont fini par éclater au grand jour. Il ne s’agit pas de véhiculer un discours démagogique sur le mode ‘tous pourris’ mais de sensibiliser le public à la notion de l’éthique en politique, rassure Alexandre Calvez, administrateur. Et le ton que nous adoptons est léger même s’il s’agit de sujets assez pesants”. La délinquance en col blanc concerne aussi bien la rive droite que la rive gauche si l’on en croit la cartographie d’Anticor qui emmène le quidam sur des lieux aussi sensibles que les ambassades, les sièges de partis politiques ou les cercles de jeu liés au blanchiment d’argent. Avec une telle odeur de soufre, il va sans dire que la visite se déroule exclusivement en extérieur…
Le nouveau palais de justice
Finie la salle des pas perdus tout en pierre, obscure et intimidante! L’antique palais de justice qui trônait sur l’île de la Cité a déménagé en 2018 à la porte de Clichy, en bordure du périphérique, dans un gratte-ciel baigné de lumière naturelle.
La promenade, orchestrée avec brio par la conférencière Lora Romano, n’en est pas moins impressionnante. Cette cité judiciaire – la plus grande d’Europe – se déploie sur 160 mètres de haut, 35 étages et 62.000 m2. Elle renferme 90 salles d’audience et peut accueillir jusqu’à 9.000 personnes par jour. Un mastodonte auquel l’infatigable architecte Renzo Piano, 84 ans, star des bâtisseurs et récipiendaire du Pritzker Prize, a su donner un supplément d’âme. Le tracé est pourtant élémentaire. La tour est une sobre superposition de 3 quadrilatères classés par ordre de grandeur. Simple comme un jeu d’enfant. Malgré ses dimensions, ce Lego à 2 milliards d’euros, végétalisé et certifié écoresponsable, se confond (presque) avec le ciel grâce à ses façades vitrées qui prennent la lumière du lever au coucher au soleil. La visite en zone publique concerne les six premiers étages et permet de comprendre, parallèlement aux enjeux architecturaux, le mode opératoire des différents tribunaux. Pour compléter l’immersion, il est possible, en fin de parcours, d’assister aux audiences. Notez qu’elles sont plus nombreuses en semaine que le samedi, dévolu seulement aux comparutions immédiates.
Les coulisses de l’Unesco
Moins fréquenté que le siège de l’Onu à New York, l’Unesco, à proximité de la tour Eiffel, partage bien des points communs avec la maison mère. Le pôle éducatif, culturel et scientifique des Nations unies a lui aussi été créé dans l’espoir de (re)construire un monde meilleur au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans un esprit de fraternité, l’élite des architectes modernistes et avant-gardistes (Bernard Zehrfuss, Marcel Breuer, Pier Luigi Nervi) a été invitée dans les années 1950 à concevoir un ensemble de bâtiments tournés vers le futur. Le plus audacieux d’entre eux est sans conteste la salle des Congrès imaginé par Nervi, sorte de mastaba en béton aussi puissant que radical dans sa forme. Le site qui n’a cessé d’évoluer depuis sa création, entre autres avec l’implantation en 1995 d’un espace de méditation pensé par Tadao Ando, n’est pas qu’un terrain d’expérimentation architectural. Dans un esprit d’élévation de l’âme, Picasso, Calder, Henry Moore et bien d’autres artistes ont été sollicités pour la création de sculptures et de reliefs. La visite guidée qui dure 1h30 aborde bien évidemment en détails la mission et les valeurs de l’Unesco engagée depuis près de 70 ans dans la sauvegarde du patrimoine mondial.
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