Thomas Dermine (PS) défend une alternative économique face au MR

Thomas Dermine (PS) © Frédéric Sierakowski

Le bourgmestre de Charleroi se montre très critique au sujet des “mensonges” libéraux en matière de budget ou de fiscalité. Le modèle alternatif du PS qu’il nous expose est inspiré par l’Espagne. L’impôt sur la fortune lui inspire des inquiétudes “techniques”. Il nous confie aussi son inquiétude : “L’extrême droite est au MR”. Entretien.

Le PS cherche une réponse à l’omniprésence médiatique du président du MR, Georges-Louis Bouchez, et à ses propos forts. Le parti de Paul Magnette y a même consacré un bureau de parti lundi 22 septembre pour évoquer la riposte. Il y a notamment été question de continuer à démonter les “mensonges” libéraux sur le plan socio-économique. Tout en posant le PS comme un “bouclier” pour la classe moyenne.

Le bourgmestre de Charleroi et figure en vue du parti pour les entreprises défend un modèle alternatif, qui se veut pragmatique. “Aujourd’hui, il y a une mascarade, entame Thomas Dermine, qui s’exprimait dans le cadre du podcast de Trends-Tendances. On nous a fait croire qu’il y avait eu 50 ans de mauvaise gestion socialiste et qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Honnêtement, il n’y a pas un économiste ou une institution publique qui ne dise pas que le budget est catastrophique.”

“Les électeurs ont voté pour un changement”, prolonge-t-il. Les libéraux ont réussi à construire un narratif selon lequel le PS n’était pas capable de tenir un budget, mais “on voit bien que ce n’est pas le cas”. Dans l’histoire, il y a trois façons de réduire le ratio de dette sur PIB, argumente-t-il : l’inflation, mais elle est stabilisée au niveau européen, une guerre ou la croissance. “Faire croire que l’on peut diminuer ce ratio en faisant des économies majeures sur le fonctionnement de l’État et au sein de la sécurité sociale, c’est de la foutaise totale !” Georges-Louis Bouchez évoque 20 milliards d’économie à réaliser. “Si l’on compte qu’il y a quatre millions et demi de familles en Belgique, cela signifie que l’on va demander un effort de 4.000 euros annuels à chacune d’entre elles. C’est inimaginable !”

Quant à la croissance, elle reste famélique. “Personne ne s’interroge jamais sur le fait que les réformes tuent la croissance, insiste le socialiste. Même dans une petite économie ouverte comme la Belgique, elle est surtout portée par la consommation interne. Les classes populaires présentent un grand avantage : elles consomment leurs revenus et elles font tourner l’économie. Quand vous retirez de l’argent à un pensionné, que vous baissez potentiellement les allocations familiales ou que vous diminuez les primes à la rénovation, vous réduisez la consommation interne.”

Le renouveau du PS passera-t-il par cette capacité à construire un récit alternatif ? “Je connais beaucoup de personnes dans le milieu patronal qui étaient proches des milieux socialistes, mais qui ont voté pour le MR en raison de cette idée véhiculée comme quoi le PS n’était pas un parti de bonne gestion, déclare Thomas Dermine. Il y a sans doute eu des dérapages de communication de notre part. Mais aujourd’hui, ils se rendent compte de leur erreur.” Ces patrons, disent-ils, se demandent comment les majorités MR-Engagés vont réellement agir au-delà des slogans tels que “la Wallonie n’est plus un MisterCash”.

Hors podcast, Thomas Dermine précise : “Le plus important pour nous, c’est de dénoncer ces mensonges. C’est le cas au niveau budgétaire, je l’ai dit, mais aussi sur le pouvoir d’achat ou les statistiques de l’emploi qui repartent dans le mauvais sens, même si je suis d’accord pour dire que c’est trop tôt pour en tirer toutes les conclusions. Mais il n’y a jamais eu autant de chômeurs en Wallonie.” Or, “on a demandé politiquement de diminuer la périodicité de la publication des statistiques du chômage sous cette législature”, avance-t-il.

“On a demandé politiquement de diminuer la périodicité de la publication des statistiques du chômage sous cette législature.”

“Le MR défend la grande industrie et les propriétaires”

“Le MR a fait ce qu’il a toujours fait, à savoir servir les intérêts de certains : la grande industrie, les propriétaires qui sont capables d’acheter et pas les gens qui travaillent, les professeurs ou les indépendants. Tout le monde a voté pour avoir 500 euros de revenus en plus, pas pour appauvrir son voisin. Or, c’est ce qui se passe. Honnêtement, je tire mon chapeau au récit collectif du MR qui a vendu le fait que tout le monde irait mieux.”

Le danger, selon lui ? “On déclasse une partie de la population et il y a, comme en France, une compétition de l’attention citoyenne sur les réseaux sociaux et dans les médias. C’est une bataille culturelle. Notre enjeu, c’est de voir si l’on parvient à mobiliser les classes populaires sur le fait qu’on leur a menti. Ou on arrive à détourner cette attention par des enjeux qui sont symbolisés par les “trois I” : Islam, immigration, insécurité. Tout ce temps médiatique que l’on focalise sur les incidents à l’université de Liège, la question de savoir si Ahmed Laaouej est un frère musulman ou la violence de la drogue dans les villes.” Le risque est celui de la “fuite en avant sur ces thèmes-là comme aux États-Unis”, insiste-t-il. “Cela pose aussi la question de savoir jusqu’où nos standards démocratiques vont s’affaisser.”

Faut-il être frontal avec Georges-Louis Bouchez comme Thomas Dermine le fait sur les réseaux sociaux ? “Il y a, avant tout, un débunkage pur et dur à mener sur le budget, les 500 euros ou la gouvernance, dit-il. Regardez les nominations faites par le MR : il le fait de façon vulgaire, sans jury ou avec ses propres jurys. Jamais Elio Di Rupo ou Paul Magnette n’auraient osé nommer leur belle-sœur ou leur conjoint à des postes importants. Même chose sur les provinces : il n’y a aucun travail mené sur une simplification administrative. Et le gras, il se trouve davantage dans le Brabant wallon que dans le Hainaut ou à Liège.”

“Le gras se trouve davantage dans le Brabant wallon que dans le Hainaut ou à Liège.”

Le PS parle-t-il d’une “extrême droitisation” du MR version Bouchez ? Il hésite sur la formulation. Puis se lance : “Je ne pense pas que le MR soit d’extrême droite, mais l’extrême droite est au MR. Anticipant ses échecs sur la réforme de la gouvernance, du budget ou le renouveau wallon, Bouchez va être tenté de faire diversion sur ces thèmes proches de l’extrême droite. J’anticipe le fait que devant la réalité des faits, la tentation sera très grande.”

© Frédéric Sierakowski

“Autant accueillir Greta Thunberg à Francorchamps”

Le bourgmestre de Charleroi fustige, encore, la récente visite de Bart De Wever, à l’invitation du MR, lors des Fêtes de Wallonie. “C’est quoi le prochaine étape ? Greta Thunberg au Grand Prix de Formule 1 à Spa Francorchamps ? ironise-t-il. Moi, j’ai accueilli le ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA aussi, ndlr), à Charleroi. Et j’assume parce que cela fait cinq ans que l’on travaille avec la Défense sur un superbe projet de reconversion dans un quartier très difficile au cœur de la ville, avec des perspectives d’emplois. Je suis un pragmatique. Mais Bart De Wever, c’est autre chose…”

Dans quel sens ? “La réforme de l’emploi initiée au fédéral est taillée sur mesure pour la Flandre. Quand on discutait avec Bart De Wever il y a cinq ans, il nous le disait : une telle réforme doit être menée de façon asymétrique, faute de quoi cela risque de tuer la Wallonie. Sur les 250 communes les plus touchées, il y en a 225 en Wallonie. Et ce n’est pas que dans des pauvres communes mal gérées par le PS en Wallonie, c’est aussi dans le Brabant wallon.”

Le PS discuterait avec la N-VA, on irait vers davantage de défédéralisation ? Lors des discussions entre Bart De Wever et Paul Magnette, lors de l’été 2020, les notes de travail s’orientaient en ce sens… “Pas forcément, dit Thomas Dermine. Bart De Wever a compris aujourd’hui que pour avoir une politique favorable à la Flandre, il n’était même plus nécessaire de régionaliser. Il suffit de flamandiser l’État fédéral. Que vous accueilliez Bart De Wever en grande pompe alors que vous savez combien les réformes initiées vous coûteront, c’est particulier.”

N’est-ce pas incontournable de travailler avec la N-VA, premier parti de Flandre, avec le Vlaams Belang à l’affût ? “100% d’accord pour dire qu’il faut travailler avec De Wever, mais il y a une différence entre travailler avec lui et se faire marcher dessus comme un paillasson. Il y a aussi la suppression de l’aide fédérale au plan ‘grand froid’, la flamandisation de l’aéroport national, la réduction à deux voies du RER vers le Hainaut… Je suis d’accord avec le fait de travailler avec la Flandre, mais il y a un rapport de force. Bart De Wever est historien : son seul intérêt consiste à rester dans les livres d’histoire comme étant celui qui a élargi l’autonomie de la Flandre. Franchement, est-ce normal d’avoir un Premier ministre qui refuse de dire ‘vive la Belgique’ lors de la fête nationale ?”

L’Espagne est le modèle alternatif

Le PS regarde vers l’Espagne pour trouver un modèle alternatif. “Nous avons un enjeu de finances publiques, je suis 100% d’accord, dit-il. Un pays ne peut pas ne pas avoir de trajectoire de convergence en matière de déficit et de dette. Mais quel est le seul pays en Europe ayant une trajectoire soutenable ? L’Espagne ! Ils ont compris que la seule façon, c’était de soutenir la croissance par la demande intérieure.” Le pays est dirigé par un gouvernement mené par le socialiste Pedro Sanchez.

“Quel est le seul pays en Europe ayant une trajectoire soutenable ? L’Espagne !”

Avec le Portugal et la Grèce, l’Espagne n’est-elle pas passée par une cure d’austérité douloureuse avant de performer à nouveau ? “Il y a 15 ans, rétorque-t-il. Aujourd’hui, ils augmentent le salaire minimum, mais aussi fortement le taux de contrats à durée indéterminée dans l’économie. Cela permet d’augmenter les investissements : les gens sont sécurisés et achètent des maisons, des biens… C’est précisément un des problèmes que nous avons en Wallonie. Il y a, par ailleurs, d’importantes relocalisations de projets industriels dans ce pays grâce à des investissements réalisés en matière d’infrastructures.”

Un travail a également été mené en matière de démographie et de régularisation pour soutenir l’économie. Le parti d’extrême droite Vox est toutefois en forte progression dans les derniers sondages et des émeutes ont eu lieu dans certaines villes. “Raison pour laquelle je n’utiliserai pas cet argument, mais c’est la réalité”, dit le socialiste.

La taxe Zucman : oui, mais…

© Frédéric Sierakowski

Que pense-t-il de la taxe Zucman, vantée par les socialistes en France? Cette taxe vise à imposer le patrimoine des grandes fortunes. “Je me pose des questions techniques sur sa mise en œuvre, dit-il. Sur le principe, j’y suis évidemment favorable. Il faut se rappeler que jusque dans les années 1970, les tranches à l’IPP étaient beaucoup plus élevées aux États-Unis. Les riches payaient jusqu’à 80% sur le revenu ! Aujourd’hui, on considérerait cela confiscatoire. Imaginer un prélèvement dans une situation exceptionnelle, où les finances publiques sont sous pression et où un sentiment d’injustice met nos fondements démocratiques sous pression, ce serait intéressant. Surtout dans un contexte où le ruissellement ne fonctionne pas. Parce que les riches consomment plus que les pauvres, mais pas en proportion de leurs revenus.”

Le risque n’est-il pas de faire fuir les capitaux ? “L’argument de la fuite est largement utilisé, mais des études montrent qu’en France ou dans d’autres pays où de telles mesures ont été décidées, l’effet est relativement limité. Parce que ce qui crée notre condition humaine, ce sont nos liens sociaux. Beaucoup de travaux en économie comportementale montrent qu’être riche, c’est une notion relative. Pour le dire platement, c’est être plus riche que son beau-frère. Au-delà d’un certain seuil, qui est relativement bas, il n’y a pas de corrélation entre le bonheur et la richesse.”

Les questions techniques concernent le type de taxation, ainsi que leur objet : le patrimoine en lui-même ou le flux des revenus. Le secteur de la tech, en France, s’est levé contre l’idée. Car il s’agirait notamment de s’attaquer à des valorisations qui ne sont autres que des richesses théoriques. Le PS a toutefois déposé une proposition inspirée par la taxe Zucman. “Si cela concerne des patrimoines très élevés et avec une complexité faible, cela peut avoir du sens parce que cela peut générer un rendement énorme. La taxe sur les plus-values, en revanche, n’a pas le même impact. Le problème de jouer sur les flux, c’est que l’on ne touche pas les quelques pour cent les plus riches.”

Le PS va-t-il se profiler en ce sens ? “Je ne sais pas… Je le répète : le plus important pour nous, c’est de dénoncer le mensonge. Intellectuellement, la taxe Zucman est une bonne mesure, mais je ne ferais pas une campagne électorale là-dessus. Nous l’avons déjà fait partiellement en 2024 et cela n’a pas pris.” Cela avait davantage marché au PTB. En revanche, le PS doit redevenir le bouclier social pour les classes moyennes, des enseignants aux indépendants du bâtiment, estime-t-il.

Le slogan envoyé en retour aux libéraux ? Le parti du travail, c’est le PS.

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