Thierry Geerts (CEO de Beci): “Je veux faire revenir l’optimisme à Bruxelles”
Thierry Geerts, ancien directeur de Google Belgique, veut redorer l’image de Bruxelles, une capitale injustement décriée à ses yeux. “Bruxelles, c’est la capitale de la diplomatie”, se félicite-t-il, et une Région à l’économie diversifiée. S’il y a effectivement des problèmes de sécurité ou de mobilité, il faut “laver son linge sale en famille”.
Thierry Geerts, ancien country manager de Google Belgique, est devenu, cet été, le nouveau CEO de Beci, l’organisme représentant le patronat bruxellois. “Ce n’est pas de tout repos, mais c’est passionnant, il y a tant de choses à faire pour Bruxelles et pour évangéliser davantage”, dit-il, alors qu’il est désormais bien installé dans sa nouvelle fonction. Les défis sont nombreux, mais il veut voir la bouteille à moitié remplie.
TRENDS-TENDANCES. Quel est votre projet pour Bruxelles?
THIERRY GEERTS. Je suis un amoureux de Bruxelles, soyons clair. Nous, Belges, avons l’une des plus belles capitales du monde, qui est aussi capitale de l’Europe, de la Flandre, de la francophonie, le siège de l’Otan… Or, on la présente comme une capitale de campagne, avec plein de problèmes. Je ne suis pas d’accord ! C’est une ville avec énormément de potentiel, du dynamisme, de l’entrepreneuriat et on dit juste le contraire. Il y a plein de problèmes à régler, je suis d’accord, mais on ferait mieux de laver notre linge sale en famille. J’espère ajouter de l’optimisme au débat.
“Il y a plein de problèmes à régler, mais on ferait mieux de laver notre linge sale en famille.”
Thierry Geerts
CEO de Beci
Quelle image de Bruxelles faut-il mettre en avant: capitale de la transition écologique, de la transition numérique…?
Le monde entier connaît Bruxelles comme un centre de décision. Vendons Bruxelles comme une capitale diplomatique ! Il y a 80.000 personnes qui travaillent en direct pour toutes ces institutions diverses, sans oublier toutes les sociétés qui travaillent pour elles. C’est un énorme pôle dont peu de villes disposent. Nous n’en parlons pas assez et nous n’en sommes pas assez fiers. La bulle européenne a longtemps été considérée comme un monde à part, mais aujourd’hui, c’est bien plus vivant. Non, il ne faut pas vendre la transition, vendons l’atout que tout le monde nous reconnaît.
Une ville internationale?
Voilà, il y a 180 nationalités présentes à Bruxelles et on ne se tape pas dessus. C’est une ville multilingue, multiculturelle.
Bruxelles n’est plus une ville d’industries, mais de start-up?
Une ville de start-up, non, il faut corriger cette image. Il y a une économie florissante à Bruxelles autour de la diplomatie, mais il y a aussi un pôle de la santé important avec les hôpitaux, la pharma, les biotechs… Nous sommes aussi la première ville estudiantine de Belgique, il ne faut pas l’oublier, davantage que Louvain ou Louvain-La-Neuve. La diversité économique est énorme, de Marcolini pour le chocolat à la Sabca qui fabrique des pièces d’avion en passant par tous les niveaux de services. Bruxelles s’inscrit dans le digital, un processus que l’on suit plutôt bien, mais ce n’est pas parce qu’il y a une évolution nouvelle qu’il faut jeter ce qui est ancien. On fait aussi de l’industrie urbaine qu’il faut continuer à défendre.
Mais on parle souvent des problèmes de mobilité, de sécurité et de propreté qui sont sérieux, non?
Propreté, mobilité, sécurité : vous mettez le doigt sur les vrais problèmes. Tant que l’on ne résoudra pas cela, on aura des problèmes pour développer l’activité économique. Cela ne sert à rien de donner des subsides aux entreprises si la ville n’est pas sécurisée parce que les collaborateurs ou les clients ne viendront pas chez vous. Idem pour la mobilité. Il y a eu un discours anti-voitures à Bruxelles, mais il faut veiller à une mobilité fluide, multimodale, où la voiture a sa place même si on développe les autres moyens de transport. Mais pour le reste, Bruxelles a une économie intéressante, diversifiée. Si elle ne comptait que sur le tourisme, par exemple, elle serait dans les difficultés s’il se passe quelque chose à ce niveau-là.
Il y a une petite musique véhiculée depuis pas mal de temps, consistant à réserver “Bruxelles aux Bruxellois”. N’est-ce pas une île qui se retranche sur elle-même?
Aucune ville ou aucune société n’a réussi en se repliant sur elle-même. Il est évident qu’il faut faire attention aux Bruxellois, ce sont des citoyens qui ont le droit de vote. Mais ils ne vivent pas en autarcie. Si Bruxelles fonctionne bien, c’est parce qu’il y a des navetteurs qui contribuent à la richesse de la Région. Les entreprises bruxelloises ne fonctionnent pas sans les employés qui viennent de l’extérieur. Il faut aussi que les corps de métier venant travailler à Bruxelles aient des endroits pour s’arrêter : certains plombiers, par exemple, refusent désormais de venir dans la ville. Bruxelles doit rester une ville ouverte!
Le blocage politique actuel vous préoccupe-t-il?
C’est évidemment une grande préoccupation parce que toute ville ou toute Région doit être gérée, bien sûr. Mais c’est d’autant plus préoccupant à Bruxelles parce que le déficit budgétaire est énorme : on parle d’un montant de 1,6 milliard sur un budget global de sept milliards ! La seule façon de prendre ce problème à bras-le-corps, c’est d’avoir un gouvernement. Je peux comprendre que les élections communales aient posé problème, mais au lendemain du scrutin, il faut absolument passer à l’action.
Faut-il simplifier la ville, fusionner les communes?
Beci ne prend pas de position politique, on défend l’économie et on soutient les entrepreneurs. Par contre, nous pouvons dire que l’on peut clairement améliorer le fonctionnement bruxellois : il y a une kyrielle d’ASBL, le nombre de fonctionnaires a explosé, le tout alors que la Région n’a pas les moyens de le payer. On peut simplifier. D’ailleurs, les entrepreneurs bruxellois sont en grande demande à ce sujet. La lourdeur administrative est énorme : pour tout, il faut remplir des papiers, renvoyer des documents, inscrire son entreprise sur des multitudes de plateformes… Si vous êtes boulanger, vous voulez faire du pain et pas passer tant de temps sur l’administratif. Tout cela coûte cher à contrôler et ce n’est pas utile. C’est le reflet d’une méfiance par rapport à l’entrepreneuriat. On a tendance à oublier que les chefs d’entreprise sont des gens qui travaillent dur pour payer leurs collaborateurs à la fin du mois : il faut leur faire confiance, contrôler les abus, mais pas davantage.
Il y a une révolution culturelle à mener à Bruxelles au sujet du regard porté sur les entreprises?
Oui. De nombreux entrepreneurs me disent qu’ils adorent Bruxelles, mais se demandent s’ils vont y rester parce qu’ils ont l’impression qu’on ne veut plus d’eux.
C’est un signal d’alarme important?
Oui, et cela ne demande pas des réformes importantes. Ce n’est pas une question de subsides. Tout d’abord, ils souhaitent que l’on arrête de les harasser avec des taxes à gauche et à droite. Et d’autre part, ils aimeraient être reconnus à part entière. Quand on parle d’entrepreneurs, c’est aussi le boulanger du coin, le plombier, une entreprise de livreurs, etc. Il faut absolument les revaloriser car ce sont eux qui créent la richesse grâce à laquelle il fait bon vivre à Bruxelles. Stimulons l’économie, c’est essentiel.
En quoi Beci peut-il être un acteur concret ?
Nous ne voulons absolument pas être l’observateur qui critique, c’est trop facile. Nous voulons prendre nos responsabilités, être dans l’interaction avec les autorités ou soutenir des mesures difficiles s’il le faut. Mais nous voulons aussi mettre en place des choses qui aident. Nous nous sommes par exemple associés avec InterSkillar, une start-up innovante en orientation professionnelle, pour voir comment mieux concilier l’offre et la demande en matière d’emploi sans nécessairement passer par le diplôme. Les entreprises peinent à trouver du personnel, il faut pouvoir partir de la capacité des gens. Nous avons signé un partenariat similaire avec BeCode pour former des gens sans diplôme aux métiers du digital.
“Beci veut prendre ses responsabilités, être dans l’interaction avec les autorités ou soutenir des mesures difficiles s’il le faut.”
Thierry Geerts
CEO de Beci
Le tissu social bruxellois est fort diversifié : il faut être agile et créatif ?
Oui, il faut miser sur les forces vives de la Région. Je ne vois pas les choses avec le gouvernement, les syndicats et le patronat d’un côté, les citoyens de l’autre. Nous sommes tous dans le même bateau, il faut rapprocher tout le monde. Il y a 90.000 chômeurs à Bruxelles, c’est un potentiel de gens qui peuvent travailler. La population y est plus jeune que dans les deux autres Régions, ce qui est un gigantesque atout. Il faut former, inspirer, corriger… Par une approche collaborative, on peut contribuer à cette transformation de Bruxelles.
“Il y a 90.000 chômeurs à Bruxelles, c’est un potentiel de gens qui peuvent travailler. Il faut former, inspirer, corriger…”
Thierry Geerts
CEO de Beci
Votre expérience chez Google vous nourrit-elle dans ce volontarisme?
Cette expérience m’amène à aider les entreprises bruxelloises à prendre le tournant de la digitalisation et de l’intelligence artificielle, sans aucun doute. Mais avant cela, j’ai été directeur général d’une blanchisserie industrielle et cette expérience me nourrit tout autant. Presque tout le monde utilise un produit Google aujourd’hui, cela donne la mesure de l’impact d’une entreprise. Les réfugiés aussi utilisent Google, ils font aussi partie de l’écosystème bruxellois. La question est de savoir comment on peut mettre tout le monde à bord de la dynamique. Pour cela, il faut avant tout convaincre du fait que la dynamique existe. Il faut absolument montrer ce qui fonctionne à Bruxelles, même en matière de mobilité. En TGV, nous sommes à une heure de Paris, à deux heures d’Amsterdam ou de Londres… C’est exceptionnel. Les collaborateurs qui ont du talent, ils cherchent ça ! Regardez l’évolution des alentours de la gare de Bruxelles-Central : il y a 10 ans, personne ne voulait s’y installer et c’est devenu un lieu prisé avec la présence de BeCode, BNP Paribas, Partena…
C’est encore loin d’être le cas à la gare du Midi…
Il faut répéter cela à la gare du Midi, c’est vrai, sans oublier la gare du Nord. Ces trois gares sont cruciales en tant que porte d’entrée dans la ville et en Belgique. David Leisterh, formateur du gouvernement bruxellois, a dit qu’il y installerait son bureau jusqu’au moment où le problème est réglé : je trouve que c’est une excellente idée. Ces parvis des gares devraient être les zones les plus intéressantes de Bruxelles. Il y a là un potentiel immense, au même titre que les 35 gares de la ville. On pourrait avoir le plus beau RER du monde, mais pour des raisons politiques, cela tarde à venir.
Il y a un manque de vision et de volontarisme?
C’est compliqué avec 19 communes, une Région, un État fédéral qui n’est pas toujours bienveillant, des concurrences avec les autres Régions. C’est dommage, il faut oser se mettre au-dessus de tout cela et se réinventer.
Et travailler à l’attractivité de la capitale, ce que l’on a délaissé?
En Wallonie et en Flandre, l’image de Bruxelles n’est pas terrible. Ils sont nombreux à la critiquer… sans la connaître. C’est devenu une image que l’on doit déconstruire. Il y a des classements où Bruxelles est placée parmi les premières villes à visiter en Europe pour l’importance de son patrimoine. On l’oublie trop.
Vous allez prendre votre bâton de pèlerin pour répandre la bonne nouvelle?
Admettons que l’image de Bruxelles soit nettement meilleure qu’aujourd’hui, osons rêver, cela changerait tout. Les visiteurs seraient plus nombreux, les dirigeants en tiendraient davantage compte dans leurs décisions, les entrepreneurs bruxellois en profiteraient… Dans la province du Limbourg, il y a ce phénomène : tout le monde est fier d’être limbourgeois, tout le monde est membre de Voka (représentant du patronat en Flandre, ndlr). On pourrait s’en inspirer pour développer une économie régionale florissante.
Les difficultés budgétaires ne sont-elles pas une grave menace?
Le fait de dépenser moins d’argent permet parfois d’être plus créatif, de collaborer mieux, de travailler de façon différente… C’est comme une famille qui peine d’avoir trop dépensé et se retrouve à la fin du mois autour d’un jeu de société. Si on réduit la voilure, on se chamaillerait peut-être moins. C’est un moment difficile qui peut devenir une opportunité.
Dans l’actualité, la fermeture annoncée d’Audi Brussels est un symbole important. Quel est votre point de vue?
C’est avant tout une mauvaise nouvelle pour les employés et il faut respecter la loi Renault. Mais l’exemple de Ford Genk démontre que l’on peut reconvertir un tel site, pas seulement avec des start-up, mais aussi avec de belles entreprises avec pignon sur rue. L’avantage, c’est que l’on y a désormais plusieurs centres de décision et un écosystème. Nous avons besoin de tels pôles économiques à Bruxelles.
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