Bruxelles-Midi encore épinglée dans la presse internationale: “La gare la plus dangereuse d’Europe”

© Belga Images

Le prestigieux média politique, Politico, s’est penché sur la situation de la gare du Midi. Crime, insalubrité et inaction politique, voilà son portrait. Quelles pourraient-être les solutions ?

Pas un éloge que Politico fait à la gare du Midi, à Bruxelles, ce mercredi. Loin de là. Un “aimant à problème”, un “trou de l’enfer”, la “gare la plus dangereuse d’Europe”… Le média politique européen ne mâche pas ses mots dans son portrait, et se demande pourquoi personne ne fait rien. Ou pourquoi tout le monde se renvoie la balle de la responsabilité.

Etat désolant

Vols dans les commerces, règlements de comptes au couteau ou à l’arme à feu, deals de drogues… voilà le quotidien (ou presque) de cette porte de la Belgique sur l’Europe et le monde. Un employé d’un magasin de confiseries explique au média que les vols dans l’établissement sont si fréquents – un record de six en trois heures – qu’il ne vaut même plus la peine de les rapporter à la police. Un tenancier d’un café situé à l’extérieur de la gare explique que deux personnes ont été tuées par balles et deux autres blessées dans sa rue, juste quand il fermait son rideau. Choqué, se dit-il, mais pas surpris. Les vols de smartphones et autres objets de valeur sont également légion, comme nous pouvons le témoigner, ayant assisté en direct à l’arrestation d’un voleur, qui essayait tant bien que mal de vider ses poches et de se débarrasser de son butin alors qu’il était déjà mis en joue par les forces de l’ordre.

Mais ce ne sont pas que ces comportements qui sont problématiques. La gare est également dans un état d’insalubrité, comme le savent ceux qui y passent régulièrement (dont le rédacteur du présent article). Urine partout, déchets… la “rue couverte”, où passent les trams, n’est jamais une partie de plaisir. Insalubrité qui semble aller de pair avec la violence et le crime, dans une boucle infernale. Il y a de nombreux endroits sombres, des personnes au visage hostile dont il ne vaut mieux pas croiser le regard, car pour un oui ou pour un non elles vous planteraient un couteau dans le ventre, craint-on en y passant. La présence policière nous semble beaucoup moins importante à l’extérieur que dans le grand hall.

3.500 crimes y ont eu lieu en moyenne par an, entre 2018 et 2022, montrent des données auxquelles Politico a eu accès. C’est presque autant que sur les 13 principales gares flamandes réunies. Pour 2023 et 2024, les données n’ont pas encore été communiquées. Mais il y a raison de croire qu’elles sont en hausse : le taux de criminalité dans la capitale dans son ensemble est en hausse de 3% en 2023, contre une baisse en Wallonie (52%) et en Flandre (42%).

Opération policière : rien n’a changé

Ce constat n’a rien de neuf. Cela fait des années que les Bruxellois se plaignent de cette situation. Mais l’année dernière, en été, une famille anversoise a raté son train et a décidé d’attendre dans de la gare jusqu’au petit matin. Les vigiles la prient d’attendre à l’extérieur et ferment le bâtiment. Elle a alors été témoin de maintes bagarres et d’une attaque au couteau, devant ses yeux. L’affaire a rapidement pris de l’ampleur dans les médias, locaux et internationaux. La polémique a enflé et les différentes autorités se sont renvoyé la balle entre bourgmestres, ministres régionaux et fédéraux, zones de police, compagnie de chemins des fer et sociétés de nettoyage.

Un plan d’action a été créé et une grande opération policière a finalement été organisée. “Nettoyage”, “coup de poing”, “musclé” et autres “bruits de botte”, les éléments de langage militaro-autoritaristes ne manquaient pas à l’appel. Bref, quelques sans-abri, migrants en errance et toxicomanes été délogés mais ce qu’on pouvait pressentir s’est rapidement confirmé : ce n’était pas bien plus qu’un coup de com et finalement rien n’a changé (tout, tout a continué). La main de fer a vite lâché prise.

Un commissariat de police, promis par la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden n’a toujours pas ouvert ses portes (mais ce serait pour “bientôt”). Les voleurs et autres petites frappes arrêtés par la police se retrouvent en liberté quelques heures plus tard, témoignent les intervenants de nos confrères. S’ils n’ont pas de papiers, la police ne peut en effet pas faire grand-chose. La SNCB de son côté indique qu’elle a installé plus d’éclairages et que les services de nettoyage passent plus souvent. Et peut-être qu’une piqûre de rappel, par la presse internationale, pourra à nouveau faire bouger l’une ou l’autre partie prenante.

Le problème belgo-belge : tout le monde est responsable, donc personne ne l’est

La gare du Midi est située sur trois communes en même temps. Bruxelles-ville, Saint-Gilles et Anderlecht. Soit deux zones de police différentes. La lasagne administrative est déjà souvent compliquée dans la capitale, mais ici elle a encore une saveur en plus. Les bourgmestres, comme le maïeur bruxellois Philippe Close qui s’exprime dans Politico, renvoient la balle au fédéral en disant qu’il ne finance pas assez la capitale pour qu’elle puisse intervenir. Ni la police fédérale, qui est responsable en matière de trafic de drogues – et ce serait la drogue qui arrive en grande quantité du port d’Anvers à Bruxelles-Midi qui causerait une grande partie du problème, selon Close. Le cabinet de Verlinden indique que les fonds alloués à la police fédérale ont été augmentés au cours de la législature. Le problème de la gare, il est vrai, est complexe et les causes sont multiples.

Quoi qu’il en soit, la situation nous rappelle un problème belgo-belge : il y a beaucoup de compétences et de responsabilités qui sont réparties entre de nombreux acteurs. Chacun a sa part à jouer, mais ne peut le faire sans la contribution des autres. Ce qui, au pire, fait que personne ne fait rien, en disant que quelqu’un d’autre est (plus) responsable (que lui), ou que tout le monde attend que quelqu’un fasse le premier pas. Et, au mieux, fait que le processus décisionnel prend très longtemps. Car il faut aussi veiller à des velléités linguistiques et communautaristes. Cela favorise malheureusement des situations comme celle de la gare du Midi, qui prospère dans l’inaction. Ou d’autres affaires criminelles au-delà, car notre pays est vu comme “institutionnellement faible” par des acteurs malveillants.

Quelles solutions ?

Voilà pour le constat du problème. Mais quelles pourraient être les solutions ? Christophe Vandeviver, professeur en criminologie à l’UGent, suggère par exemple à nos confrères qu’il faudrait avoir une présence policière plus importante aux heures où les crimes et délits sont le plus susceptible d’arriver. Le vendeur de friandises propose quant à lui d’installer des portiques et de ne laisser entrer dans la gare que les personnes qui ont un billet de train.

Aux Pays-Bas ils fonctionnent ainsi et les gares de grandes villes comme Amsterdam ou Rotterdam sont effectivement propres et plus sûres, peut-on ajouter, même si ces villes jouissent aussi du statut de villes de transit de la drogue. Alors pourquoi pas ; les travaux coûteraient certes du temps et de l’argent, mais l’endroit serait finalement plus plaisant pour les touristes pour qui la gare du Midi est la première impression de Bruxelles et de la Belgique. Et “ça ne sent pas la gaufre”, comme l’indiquaient des touristes lors de la polémique, il y a un an. Reste à voir si cela ne pourrait pas simplement déplacer le problème sur les quartiers alentour, qui souffrent déjà de la situation. Il n’y aura en tout cas pas de solution simple.

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