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Service militaire: le retour de “l’impôt du sang” ?
En juin dernier, l’Assemblée nationale française a voté un texte réintroduisant l’obligation, pour les jeunes, de prester un “service civique”. Ce texte, non soutenu par le gouvernement français, ne deviendra sans doute pas une loi, mais il constitue un indice, parmi d’autres, d’une volonté, également affirmée par plusieurs associations en Belgique, de réintroduire, sous une forme ou une autre, le service militaire.
La disparition de celui-ci, à la fin de la guerre froide, a pourtant été l’un des rares progrès réalisés, en Europe occidentale, dans la protection des droits individuels. Le service militaire a toujours été associé d’une manière ou d’une autre à l’impôt. Sous l’Ancien Régime, il était presté par les nobles, qui, en contrepartie, ne payaient pas l’impôt direct. Lorsqu’il fut introduit dans notre système démocratique, on ne songea évidemment pas à exonérer d’impôt tous ceux qui, parfois au péril de leur vie, ont dû le prester. Il a toujours été difficile de justifier comment cette obligation pouvait être maintenue, après l’abolition de l’esclavage, alors qu’il s’agit bien d’une forme de travail obligatoire. La Convention européenne des droits de l’homme, signée en pleine guerre froide, a bien dû l’assimiler, contre toute logique, à une ” obligation civique normale “, échappant à l’interdiction de l’esclavage.
Les nouveaux partisans de cette lourde contrainte archaïque savent très bien qu’une armée moderne ne souhaite pas engager des miliciens et que les armes de plus en plus techniques qu’elle utilise nécessitent une main-d’oeuvre professionnelle. Ils veulent en revanche créer de toutes pièces une obligation “civique” pour rappeler à chaque jeune sa participation à une “communauté”, personnifiée par l’Etat.
Faut-il vraiment que l’Etat, qui tente déjà de régir chacune des activités de chaque individu, se charge maintenant aussi d’imposer à chacun le choix de ses amis, ou autres connaissances ?
Il s’agirait donc d’inculquer encore davantage à tous les jeunes qu’ils sont soumis à l’Etat, comme s’ils ne devaient pas s’en rendre compte suffisamment tôt, en travaillant une bonne moitié de l’année pour payer des impôts et d’autres prélèvements obligatoires…
La proposition n’apporterait même pas de recette budgétaire à l’Etat. Au contraire, ses partisans, dont un certain “groupe du vendredi”, concèdent que pour contraindre à ce travail obligatoire ceux que l’on y soumettra, l’Etat devra dépenser 10.000 euros pour chaque jeune, soit une dépense annuelle d’environ un demi-milliard d’euros ! Voilà une découverte bien intéressante: un “maître” (l’Etat) qui perd de l’argent pour faire travailler ses esclaves. Il est vrai que l’argent des contribuables est réputé inépuisable puisqu’il est perçu par la contrainte.
Les objectifs poursuivis par ce “service civique” ou militaire se résument en fait à susciter un “brassage social” obligatoire. Ses partisans ne se contentent pas d’un service civique volontaire parce que, disent-ils, l’objectif ne serait pas atteint si ceux qui ne souhaitent pas ce prétendu “brassage social” n’étaient pas contraints d’y participer. Etonnante conception de la “cohésion sociale” que celle qui en fait, non pas un atout pour l’enrichissement personnel mais une exigence imposée à tous sous peine de sanctions. Faut-il vraiment que l’Etat, qui tente déjà de régir chacune des activités de chaque individu, se charge maintenant aussi d’imposer à chacun le choix de ses amis, ou autres connaissances ? Pourquoi faudrait-il être obligé de faire connaissance avec des personnes que l’Etat vous oblige de rencontrer dans le cadre d’un service de travail obligatoire, plutôt que de choisir soi-même ses amis et connaissances, une des rares libertés non encore contrôlées dans notre système ?
Les partisans de ce projet y voient même les “bases d’un nouveau contrat social”.
On ne saurait mieux démontrer qu’aucun contrat social n’a jamais existé, parce que, comme le disait Lysander Spooner, il aurait fallu pour cela qu’il recueille l’adhésion de chacun. Dans ce projet, ce serait tout le contraire puisqu’il ne s’agirait précisément de ne recueillir l’accord de personne, mais d’obliger chacun à effectuer un travail qu’il ne souhaite pas, avec des gens qu’il n’a pas choisis, sur l’ordre d’un pouvoir anonyme qui affirme qu’il l’ordonne pour son bien. Pour ceux qui invoquent le “contrat social”, celui-ci n’est jamais que l’illusion qui justifie, comme chez Hobbes, un Léviathan, Etat doté de tous les pouvoirs face à des individus, dont Rousseau reconnaissait qu’ils devaient renoncer à tous leurs droits.
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