Trends Tendances
S’endetter, oui mais pas n’importe comment
Pour combattre la crise sanitaire, la planète a dépensé l’équivalent de 12.000 milliards de dollars. Chez nous, l’endettement public a gonflé d’une cinquantaine de milliards d’euros et vient de dépasser le seuil symbolique des 500 milliards.
Qu’il faille soutenir à bout de bras une économie chancelante ne faisait aucun doute. Contrairement à la crise de 2008, qui avait vu l’Europe commettre l’erreur de vouloir redresser trop vite ses finances publiques – ce qui avait contribué à casser la reprise dans l’oeuf et à plonger de nombreux pays dans la tourmente -, tout le monde est convaincu aujourd’hui de la nécessité de laisser filer les déficits. Sans ces interventions, le chômage et les faillites auraient explosé.
La hausse de la dette publique n’est d’ailleurs pas un gros problème. Pour se financer, les trésors publics peuvent compter sur les banques centrales comme acheteurs en derniers recours. En Europe, près de 30% de la dette publique est ainsi logée, et neutralisée, dans les bilans des banques de l’Eurosystème. En outre, en regard de cet endettement public, il existe une énorme épargne privée, particulièrement abondante dans notre pays, qui devrait continuer à augmenter et qui s’investit en partie, directement ou indirectement, dans la dette de l’Etat. Et puis, comme l’explique William De Vijlder, qui dirige la recherche économique chez BNP Paribas, les taux d’intérêt devraient rester proches de zéro alors que la croissance devrait, même timidement, repartir de l’avant. Du coup, ” dans les années à venir, la stabilisation du ratio de la dette ne devrait pas être si difficile, une fois l’activité normalisée “.
La dette publique est-elle dès lors devenue un faux problème? Non. Son augmentation depuis plus de 10 ans est la traduction d’un problème préoccupant: le manque d’investissement privé. L’économiste français Patrick Artus rappelait récemment dans nos colonnes ( lire le ” Trends- Tendances ” du 16 juillet dernier) que ” depuis 10 ans, l’Europe est caractérisée par un excès important de son épargne par rapport à son investissement. Et cet excédent n’est pas tant dû à un excès d’épargne – car le taux d’épargne de la zone euro est à peu près le même qu’avant la crise des subprimes – qu’à un déficit d’investissement: le taux de ce dernier est quatre points de PIB plus bas qu’avant la crise des subprimes. ” Mais une entreprise n’investit que si elle perçoit des possibilités de croissance. Or, aujourd’hui, la démographie, la compétition internationale ou une série d’autres éléments poussent les entreprises, mais aussi les ménages, à la prudence.
La montée de l’endettement public et le recours pour ce faire à la planche à billets constitue également un sujet sensible pour une autre raison. A un moment donné, les marchés, face à l’importance de ces montants, pourraient s’interroger sur la crédibilité de la monnaie elle-même. Et l’on sait depuis l’invention par John Law des papiers-monnaies que ce type de questionnement peut être rapidement fatal si le public s’aperçoit que l’argent émis n’est adossé à rien.
La meilleure manière, donc, d’éviter que la dette gigantesque que nous accumulons aujourd’hui ne produise d’effets explosifs demain est que cet argent serve réellement à construire ou acquérir des actifs et à doper notre potentiel de croissance. Il faut que cet argent ne soit pas distribué au gré du vent mais vienne réellement améliorer les infrastructures, l’enseignement, le système de soins de santé, la recherche, etc. Bref, la richesse matérielle ou immatérielle du pays. C’est à cette condition, seulement, que notre dette publique sera un ” non-problème “.
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