Christophe De Caevel
Salaire: la Belgique, mise à l’index
Les pays qui nous entourent ne pratiquent pas une indexation automatique des salaires mais cela ne signifie pas que les rémunérations y sont gelées.
“Nous devons éviter que la Belgique devienne le malade de l’Europe.” L’administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique, Pieter Timmermans, est monté au créneau en ce début d’année face à la forte poussée inflationniste qui, selon les prévisions du Bureau du Plan, devrait conduire à une nouvelle indexation des salaires au printemps prochain, après celle de ce début d’année. Excellent pour le pouvoir d’achat des salariés mais dangereux pour la compétitivité des entreprises belges qui verront ainsi leurs coûts salariaux croître de 5 à 6% en deux ans. Les organisations patronales réclament dès lors soit un saut d’index, soit une profonde réforme de ce mécanisme automatique que seuls Malte, Chypre et le grand-duché de Luxembourg partagent avec notre pays.
Politiquement, cette demande a peu de chance d’être entendue, avec la présence des partis socialistes et écologistes au gouvernement fédéral. Elle semble en outre un brin prématurée puisque le Conseil central de l’économie (l’institution qui surveille l’évolution des salaires en Belgique et dans les pays voisins dans le cadre de la loi de 1996 sur la sauvegarde de la compétitivité) ne publiera ses chiffres qu’en février. Les pays qui nous entourent ne pratiquent certes pas une indexation automatique des salaires mais cela ne signifie pas que les rémunérations y sont gelées et que l’inflation n’impacte pas les négociations paritaires en Allemagne, aux Pays-Bas et en France. C’est d’autant plus vrai en ces temps de pénurie de main-d’oeuvre où les entreprises ont besoin de se montrer attractives auprès des travailleurs potentiels.
Une critique récurrente de l’indexation concerne son côté linéaire: plus votre salaire est élevé, plus une indexation de 2% vous rapportera. Est-ce vraiment l’affectation optimale des moyens en vue de soutenir le pouvoir d’achat des ménages? C’est pour cette raison que le Voka (organisation patronale flamande) propose une indexation socialement modulée. Sur le banc syndical, on comprend sans doute le raisonnement mais on craint que de telles retouches ne conduisent in fine à un détricotage beaucoup plus large de l’indexation automatique.
La question de la linéarité se pose aussi entre les secteurs et elle a été exacerbée par la crise du Covid-19: quel est le sens d’envisager des hausses salariales identiques dans l’horeca ou l’événementiel, qui ont été mis en arrêt forcé pendant de longs mois, ou dans l’industrie pharmaceutique qui a battu ses records de revenus? Dans la pratique, les négociations sectorielles ou par entreprise permettent toutefois de déroger à la règle générale, d’obtenir des aménagements spécifiques. Il faudrait peut-être en élargir le champ afin de mieux coller aux réalités de terrain, en tenant peut-être aussi compte des difficultés de recrutement et du manque de qualifications qui menacent l’efficacité des plans de relance.
Cela implique de forger en amont un consensus sociétal autour d’une série d’objectifs généraux, comme cela existe souvent dans les pays d’Europe du Nord, pour éviter notamment que les catégories les moins à même de négocier – on songe aux allocataires sociaux pour lesquels l’indexation est cruciale – ne soient les oubliés de l’histoire. Forger ces consensus, c’est l’une des fonctions du politique. Une fonction un peu oubliée, avons-nous envie d’écrire, dans un monde où chaque parti cherche plus que jamais à plaire à son électorat (supposé) et rien qu’à lui. Le désormais ex-ministre Jean-Luc Crucke vient d’en tirer les leçons: l’heure n’est hélas plus aux bâtisseurs de ponts.
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