Rudy Aernoudt: “Ce n’est pas l’assistance sociale qui sauvera l’économie”

Rudy Aernoudt, nouveau chef de cabinet du président du MR. © Photo News
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Chef de cabinet de plusieurs ministres dans le passé, chroniqueur de Trends-Tendances, Rudy Aernoudt a surpris tout le monde en devenant le nouveau bras droit de Georges-Louis Bouchez. Les deux hommes se sont trouvés sur deux thèmes majeurs : la Belgique et le libéralisme radical. “Je ne suis pas Muskien”, précise-t-il. Voici sa vision.

Rudy Aernoudt fut chef de cabinet de plusieurs ministres, économiste auprès de la Commission européenne et de l’OCDE, professeur à l’université de Gand et même cofondateur d’un Parti Populaire qu’il a quitté en raison de sa dérive extrémiste. Chroniqueur de Trends-Tendances aussi, et il le restera. Voilà ce touche-à-tout devenu chef de cabinet du président du MR, Georges-Louis Bouchez. Cet intellectuel néerlandophone apportera au parti une cohérence belge et une vision tranchée des questions socioéconomiques. Sans oublier un réseau en Flandre. Le MR rêve de s’y implanter, pour viser les 31-35% au niveau belge.

Cet homme de l’ombre raconte son choix et ses convictions.

TRENDS-TENDANCES. Cette demande émanant de Georges-Louis Bouchez fut-elle une surprise pour vous ?

RUDY AERNOUDT. Absolument. Je donnais cours un vendredi après-midi à l’université et j’ai reçu un message de sa part. Je l’ai rappelé immédiatement après, il m’a annoncé qu’Axel Miller (ancien CEO de Dexia, chef de cabinet sortant, ndlr) s’en allait et qu’il voulait me proposer la fonction. J’avais 10 étudiants qui m’attendaient pour discuter de leur mémoire, je lui ai demandé une heure et je lui ai envoyé tout de suite un texto pour lui signifier mon accord.

Comment se fait-il que vous vous soyez trouvés de la sorte ?

Nous nous sommes trouvés sur les idées. J’ai eu l’occasion de me mettre au service de l’Open Vld et du MR, mais je trouvais que les deux partis n’étaient pas vraiment libéraux. Être libéral, à mes yeux, c’est tout faire pour obtenir le meilleur de chacun : les entrepreneurs doivent entreprendre, les travailleurs doivent travailler, les chercheurs doivent innover… Seule cette création de richesse permet de financer une politique sociale. Aujourd’hui, j’ai souvent l’impression que l’on commence par distribuer l’argent, puis que l’on se décide à taxer les gens pour le financer. Je suis beaucoup plus proche des idées de Georges-Louis Bouchez que de celles de l’Open Vld en Flandre. Par ailleurs, je me sens profondément belge. Il n’y a donc qu’un parti, le MR, au sein duquel je peux me sentir vraiment à l’aise. J’aime contribuer à faire bouger les choses. Je peux avoir un impact à travers mes chroniques dans Trends-Tendances et dans les médias, mais je voulais encore m’investir au-delà de cela.

Le MR est au pouvoir au fédéral, en Wallonie et en Communauté française avec des portefeuilles importants : emploi, sécurité, éducation, énergie… Vous avez des leviers pour agir, mais vu le contexte, ce ne sera pas simple.

Je serai très vigilant. J’ai l’expérience suffisante en ayant travaillé à tous les niveaux de pouvoir pour savoir comment cela fonctionne : j’ai été directeur de cabinet en Wallonie, en Flandre, au fédéral et à l’Europe. Je suis aussi conscient du fait que la gestion publique est devenue infiniment complexe. Prenons le cas de l’énergie : il y a des aspects européen, fédéral et régionaux. Plus que jamais, nous devons construire des ponts et ne plus nous rejeter les responsabilités les uns sur les autres. Prenons l’emploi : on va diminuer la durée des allocations de chômage dans le temps, parfait, mais il faut que ce soit accompagné d’une politique d’activation au niveau régional, faute de quoi on mettra tout le monde au CPAS. Un autre rôle important que je veux jouer en tant qu’ancien “cabinettard”, c’est de veiller à la mise en œuvre des mesures. Les gens doivent voir les réformes avancer.

“Je veux veiller à la mise en œuvre des mesures. Les gens doivent voir les réformes avancer.”

Risquez-vous de vous faire avaler dans les coalitions ? Les réformes peuvent se diluer dans l’action…

L’ancien ministre-président wallon Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS) disait de moi récemment que j’étais un intellectuel ayant des qualités, mais que je n’ai pas le sens du compromis.

Vous estimez que c’est une qualité pour garder une ligne claire ?

Il faut arrêter de songer en permanence à ne pas faire mal aux responsables des autres partis politiques en prévision du fait que l’on devra encore faire une coalition avec eux. Au MR, cela a conditionné pendant longtemps l’attitude à l’encontre des socialistes. Cela n’a pas de sens. Nous devons mener la politique la plus libérale possible, rendre des comptes aux électeurs et puis on verra. Oui, ce que Van Cauwenberghe a dit de moi, je l’ai plutôt perçu comme un compliment, même si ce n’était pas destiné à l’être.

Revendiquez-vous une forme de radicalité ?

Dans le sens d’un libéralisme tranché, oui. Trop souvent, on est fade et je regrette d’ailleurs que le libéralisme ne soit pas en train de gagner la bataille des idées en Europe. La seule façon de sauver l’Europe, la Belgique et ses Régions, c’est de mener une politique entrepreneuriale. Qui va sauver notre économie ? Les PME et les entreprises, pas les fonctionnaires, ni les chômeurs. Le message qui doit être martelé, c’est : “deviens indépendant, prends ton destin en mains !” Ce n’est pas l’assistance sociale qui sauvera l’économie, mais bien l’action sociale !

Vous inscrivez-vous dans l’action forte de Donald Trump et Elon Musk aux États-Unis ou de Javier Milei en Argentine ?

Non, je ne suis pas du tout un “Muskien”. En Europe, nous ne sommes pas du tout dans le même modèle socioéconomique. Il faut d’ailleurs arrêter de copier les Américains ou de regretter le fait que les Chinois vont plus vite. Au contraire, nous devons développer notre propre modèle européen, une économie basée sur des valeurs. C’est ce que l’on appelle “l’économie des zèbres”, qui se concentre à la fois sur le profit et sur la durabilité. Ce n’est ni blanc, ni noir, d’où le nom de “zèbre”. Si on parvient à le faire, cela n’aura rien à voir avec Musk ou l’Argentine.

Mais, tout de même, notre modèle est sous forte pression américaine et chinoise depuis quelques années.

Oui, et c’est précisément le moment de le réinventer. Quand deux concurrents vous agressent, il ne faut pas se demander comment on peut les copier, mais bien comment on peut se démarquer. C’est la stratégie dite “de l’océan bleu”, selon laquelle les entreprises doivent en permanence chercher de nouveaux espaces en explorant les activités n’existant pas encore. Nous avons des atouts : l’Europe est habitée par 500 millions d’habitants dotés d’un bon pouvoir d’achat. Il faut cesser de se morfondre en regardant ce que font les Américains et les Chinois.

La dimension environnementale reste-t-elle une plus-value ?

C’est un bel exemple. Je suis notamment un grand fan des CBAM, les mécanismes d’ajustement carbone aux frontières. Si une entreprise propose un produit en Europe, elle peut le faire, mais à condition de respecter les règles européennes. Si ce n’est pas le cas, elle payera la différence pour ne pas fausser la concurrence. Ce système devrait être opérationnel à partir de 2026 : je trouve cela intelligent. En réponse, soit les étrangers s’adapteront à nos réglementations, soit ils payeront des taxes. Mais cela étant dit, il faut arrêter de réguler pour réguler. Lors du premier mandat d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission, pas moins de 14.000 réglementations ont été décidées. Vous imaginez, 14.000 ! Cela n’a ni queue ni tête. L’adoption de l’Omnibus (ensemble de propositions visant à simplifier les règles de l’UE et à stimuler la compétitivité des entreprises, ndlr) devrait remédier à cela, je l’espère, j’ai beaucoup plaidé en ce sens. Une réglementation à ce point disproportionnée et le reporting qui y est lié incitent, en outre, les entreprises à faire du greenwashing.

“Il faut arrêter de réguler pour réguler. Lors du premier mandat d’Ursula von der Leyen, pas moins de 14.000 réglementations ont été décidées.”

Rudy Aernoudt © Photo News

Cela provoque-t-il l’effet inverse ?

Tout à fait, il faut arrêter ce reporting contre-productif.

Vous prônez un choc de simplification administrative à tous les niveaux, cela n’est-il tout de même pas un peu “Muskien” ?

Ce n’est pas parce que l’on plaide pour une mesure radicale que l’on est partisan d’Elon Musk. Mais c’est une évidence : l’administration doit être plus efficace. Quatre mille personnes travaillent au Forem : avec de tels moyens, on ne devrait plus avoir de chômeurs ! Or, il reste beaucoup trop de métiers en pénurie. Ce doit être, là aussi, un enjeu belge, avec une coopération entre les Régions. Je viens de Flandre-Occidentale, les chefs d’entreprise sont en train de mendier pour avoir du personnel. Depuis combien d’années parle-t-on de cette mobilité interrégionale ? Mais allons-y ! En limitant la durée des allocations de chômage dans le temps, comme nous allons le faire, vous verrez que les travailleurs accepteront un poste 50 km plus loin…

Avec votre expérience, vous savez à quel point il est difficile de réformer : en quoi cela pourra-t-il réussir cette fois-ci ?

J’aime les défis. Nous avons une opportunité unique avec Georges-Louis Bouchez, quelqu’un dont je partage les idées et qui a l’audace de dire les choses. Nous n’avons pas un Bouchez en Flandre, malheureusement. Quand on voit ce qu’il se passe à l’Open Vld…

Les coalitions qui se répondent au fédéral, en Flandre et en Wallonie, c’est un autre atout ?

Évidemment, cela peut aider. Mais il y a surtout un sens de l’urgence. Si on ne fait rien, le FMI pronostique le fait que la Belgique sera le pays ayant le plus grand déficit d’Europe en 2028. L’OCDE souligne qu’à politique inchangée, notre dette sera à 180% du PIB en 2050. À ce niveau-là, on risque la faillite. Les choses ne bougent souvent que quand il y a de telles urgences. Allons-y !

Le MR a l’intention de s’implanter en Flandre : avez-vous un rôle à jouer à cet égard ?

Je ne sais pas si cela se fera, mais quand je regarde ma boîte mail, je constate que de nombreux chefs d’entreprise et des lecteurs de Trends-Tendances nous encouragent à le faire. Partout où je vais, on me demande pourquoi il n’y a pas de Bouchez en Flandre. Un MR en Flandre, cela se fera-t-il ? En politique, il ne faut jamais dire jamais. Cela dépendra aussi de l’évolution de la N-VA. Si la situation s’améliore en Wallonie et à Bruxelles, aura-t-elle l’audace de dire qu’il n’y a plus de transferts financiers ? Ne nous trompons pas : si on évolue vers un taux d’emploi à 80% au sud du pays, conjointement au vieillissement de la population en Flandre, les transferts deviendront proches de zéro. Voilà la solution, pas la scission du pays. Dans ce cas, la N-VA devrait abolir son article 1 qui prône l’indépendance de la Flandre.

Vous avez créé un parti il y a quelques années, le Parti Populaire, qui a viré à l’extrême droite. Que répondez-vous à ceux qui vous le reprochent ?

Si des journalistes ne trouvent rien d’autre comme argument… Oui, j’ai bien cofondé le Parti Populaire, c’était un projet libéral et belge comme j’essaie de le faire aujourd’hui avec Georges-Louis. Quand mon cofondateur (Mischaël Modrikamen, ndlr) a viré vers la droite, j’ai quitté le parti. Je n’étais pas là pour décider de nombre du minarets que l’on peut construire en Belgique, ce n’est pas mon thème. Moi, je suis là pour soutenir la Belgique, l’économie, l’industrie et l’emploi.

Pourquoi avoir changé de parti à plusieurs reprises ?

Je cite toujours Churchill : “Ce n’est pas moi qui ai changé de parti, j’ai gardé mes idées, ce sont les partis qui ont changé.” z

Profil
1960 : Naissance à Torhout
1992 : Professeur de finance à l’UGent
2001-2003 : Chef de cabinet adjoint de Serge Kubla (MR), ministre wallon de l’Économie
2003-2006 : Directeur de cabinet de Fientje Moerman (Open Vld), ministre flamande puis fédérale
2009-2010 : Coprésident du Parti Populaire
Depuis 2013 : Économiste à la Commission européenne
Depuis peu : Chef de cabinet duprésident du MR, Georges-Louis Bouchez

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