Paul Vacca
Ron Galella, photographe à l’ombre des stars
Comme au 18e siècle où la mouche, ce petit morceau de taffetas noir que l’on collait sur son visage, servait à rehausser la blancheur du teint, la photo floue en noir et blanc des paparazzi au 20e siècle rehausse l’éclat d’une star.
Ron Galella, une grande figure de la photographie, s’est éteint le 30 avril dernier à l’âge de 91 ans. Pour lui, “prendre une photo”, comme il l’expliqua au National Post en 2010, “revenait à capturer un sentiment”. Il évoquait son maître Henri Cartier-Bresson qui parlait de “moment décisif” dans l’art du portrait, avouant que c’était précisément ce que lui aussi “avait toujours cherché à capturer durant toute sa carrière”.
Ses portraits pris sur le vif ont fait le tour du monde, repris par de multiples magazines. Sous son objectif ont posé les plus grandes figures de la dernière moitié du 20e siècle: Greta Garbo dans les rues de New York, Diane von Furstenberg au Studio 54 (une discothèque qu’il appréciait particulièrement), Jack Nicholson, Warren Beatty, Mick Jagger, Elizabeth Taylor, le duc et la duchesse d’York, Donald Trump, Andy Warhol, et tant d’autres.
Il racontera plus tard sa séance en 1973 avec Marlon Brando. Alors que la nuit tombait sur Manhattan, après avoir attendu l’acteur toute la journée, celui-ci arrive enfin. Sans crier gare, la star lui administre un crochet qui fait voler en éclats cinq dents et lui fracasse la mâchoire. Lorsque le photographe le croisera à nouveau, quelque temps après, il portera alors un casque de footballeur américain. Les risques du métier.
Ron Galella, photographe à l’ombre des stars
Car Ron Galella, né dans le Bronx en 1931 de parents immigrés italiens, photographiait les personnalités à leur insu. Il était ce que l’on nommera plus tard un paparazzo – “moustique bruyant” en italien dialectal -, appellation que l’on doit à Federico Fellini qui dans son film La Dolce Vita donnera pour patronyme Paparazzo au jeune photographe accompagnant Marcello Mastroianni.
Galella ne fut pas le premier des paparazzi. Mais il exerça cette discipline en pionnier, avec passion et créativité, mêlant l’instinct du chasseur, la pugnacité du reporter de guerre et le sens du cadre d’un metteur en scène. Son modèle fétiche fut Jacqueline Onassis pour qui il nourrissait un amour éperdu, allant jusqu’à s’infiltrer sur son yacht déguisé en marin – avec fausse moustache et perruque. Un amour peu payé en retour puisque Jackie lui intenta un procès l’obligeant à se tenir à une distance de 8 mètres minimum.
Ce qu’il ne respecta pas. Il était convaincu que ses sujets avaient besoin de son objectif et que leur aura s’en trouvait magnifiée. Et peut-être était-ce vrai après tout? Car ses photos volées ont participé aussi, à leur manière, à construire la légende de ses modèles, alors au firmament de leur célébrité. Que serait une star sans une photo volée? Comme au 18e siècle où la mouche, ce petit morceau de taffetas noir que l’on collait sur son visage, servait à rehausser la blancheur du teint, la photo floue en noir et blanc des paparazzi au 20e siècle rehausse l’éclat d’une star. Comme il n’existe pas finalement de lumière sans ombre, il n’y a pas de gloire sans la possibilité de la chute. Hollywood surexposait ses stars dans la lumière des spotlights ; Galella sculptait leur part d’ombre révélant leur versant terrestre. Chaque cliché racontait en contrepoint le prix à payer pour chaque ascension en fixant sur la pellicule son pacte faustien.
Mais ça, bien sûr, c’était avant: avant la fast-célébrité de la télé et d’internet ; avant que les photos ou vidéos volées ne cherchent pas seulement à piéger les modèles, mais à les humilier ; avant que cette pratique ne soit ubérisée, viralisée, vulgarisée sur les réseaux sociaux. Alors, Ron quittera l’ombre pour la lumière, publiera 22 livres, vivra adulé dans une villa hollywoodienne dans le New Jersey, foulera les tapis rouges… Un chasseur heureux de rejoindre enfin ses proies.
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