Rationalisation du paysage wallon : la fin de l’assistanat aux entreprises
Le nouveau gouvernement MR-Engagés veut recentrer les priorités, réduire le nombre de structures, dont les invests et autres incubateurs, et repenser les participations publiques. Une nécessité. Attention, toutefois, à éviter une réforme de façade.
Quelque chose a changé en Wallonie avec l’avènement de la coalition Azur, alliant MR et Engagés, sans le PS. Dans le ton adopté, à tout le moins. Les acteurs du monde économique sont impatients, mais inquiets, aussi : s’ils attendent une politique favorable en matière d’encouragement à l’esprit d’entreprise, de simplification administrative ou d’encouragement à l’emploi, ils craignent aussi la rigueur budgétaire. Et un soutien public potentiellement moins important pour les entreprises. Sur le papier, une rationalisation s’impose. Elle ne sera toutefois pas aisée à concrétiser. C’est ce qu’expriment des acteurs clés de l’économie wallonne.
“La fin de l’assistanat”
“L’argent public doit être un incitant, mais plus de l’assistanat des entreprises”, clamait à L’Echo, fin juillet, Pierre-Yves Jeholet (MR), nouveau ministre wallon de l’Economie après l’avoir déjà été entre 2017 et 2019. “Quand on fait quelque chose, il y a toujours une aide quelque part en Wallonie, expliquait-il. Il y a des effets d’aubaine auxquels il faut mettre fin. La Région n’est pas un ‘Mister Cash’.” Ce discours musclé entend mettre le doigt sur trois nécessités, au moins : accentuer les priorités économiques régionales, restructurer le paysage de l’aide aux entreprises et revoir les participations publiques de la Région. “C’est beaucoup d’argent public, il faudra revoir certaines priorités, appuie-t-il. Il n’y a plus le Parti socialiste aujourd’hui.”
“Chaque nouveau ministre de l’économie, quand il arrive, veut réformer le système de fond en comble, sourit Bernard Liébin, actif durant plus de trente ans dans le cercle des sociétés wallonnes de soutien, dont la Société régionale d’investissements (SRIW) désormais intégrée dans la coupole Wallonie Entreprendre. Dans les faits, c’est plus compliqué. L’administration wallonne n’est pas vraiment ‘business friendly’. Cela étant, pour le libéral que je suis, il y a évidemment des chantiers à concrétiser.” “Pierre-Yves Jeholet est un puncheur qui peut faire bouger les choses”, se réjouit un insider, qui sera impliqué dans la concrétisation de ces grands principes, qui doivent démarrer dans la deuxième semaine d’août.
“On parle du début d’une nouvelle ère, constate Jean-Yves Huwart, entrepreneur actif dans le coworking et auteur de plusieurs livres sur la situation catastrophique de la Wallonie. Franchement, j’en doute. Il y a des volontés très intéressantes dans la Déclaration de politique régionale (DPR), c’est vrai, mais les deux principaux protagonistes de cette volonté de changement, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot, présidents du MR et des Engagés, ont décidé de ne pas y aller. Le ministre-président Adrien Dolimont a-t-il la carrure ? Le ministre de l’Economie, Pierre-Yves Jeholet, fera-t-il la différence alors qu’il a déjà été à ce poste deux ans sans que rien ne change vraiment ?” Derrière les grandes déclarations, ils seront jugés sur les actes.
“Chaque nouveau ministre de l’Economie, quand il arrive, veut réformer le système de fond en comble. Dans les faits, c’est plus compliqué.” – Bernard Liébin, (actif dans le cercle des sociétés wallonnes de soutien)
“Recentrer les moyens”
Bernard Liébin met en garde sur une volonté de faire table rase du passé: “Lorsque l’on a créé la SRIW, le but était de suppléer au manque d’initiative du secteur privé, rappelle-t-il. Ce faisant, on accompagnait les risques pris. Cela reste important, même s’il faut en effet éviter que les organismes à capitaux publics ne fassent n’importe quoi. Peut-être faut-il recentrer les moyens, qui ne sont pas illimités, à des priorités comme la transition énergétique ou la réindustrialisation.”
Texto, voici ce que souhaite la coalition Azur: ‘Le gouvernement capitalisera sur les secteurs dans lesquels la Wallonie est un acteur qui compte comme notamment les secteurs biotech et pharmaceutique, l’aéronautique, le spatial, la défense, l’(éco)construction, l’industrie manufacturière et extractive, l’agro-alimentaire, etc. Le gouvernement entend développer et renforcer la position de la Wallonie dans d’autres secteurs stratégiques et prioritaires comme ceux des technologies de la transition environnementale, en ce compris le nucléaire et le traitement de ses déchets, les technologies de capture et stockage du carbone, l’hydrogène, et la cybersécurité.”
Au sein des organismes concernés, on a minutieusement épluché les pages de l’accord de gouvernement qui leur sont consacrées. “La DPR contient des choses intéressantes, nous dit-on. Mais globalement, au niveau des priorités économiques, cela s’inscrit dans une grande continuité par rapport à ce que l’on fait déjà.” “Rationaliser les invests, oui, mais pour autant que cela s’inscrive dans une rationalisation plus large”, nous dit Grégoire Dupuis, CEO de Sambrinvest.
“L’illusion du ‘ça va bien’”
Jean-Yves Huwart, poil à gratter de la politique wallonne, ironise: “Structurellement, l’économie wallonne se contente de projets que l’on présente à la presse pour se donner l’illusion que ‘des choses positives se passent en Wallonie’. Que ce soit en matière de cybersécurité ou d’hydrogène, pour ne prendre que ces exemples, les résultats sont souvent mitigés. On manque de coordination, de cohérence, d’évaluation ou de transparence. On fonctionne toujours avec les mêmes, sans expertise internationale et indépendante qui pourrait nous faire franchir un cap.”
Evoquant la récente faillite de Mithra, Jean-Yves Huwart appuie: “Il y a un risque que ce soit l’hécatombe dans le biotech wallon. L’usine de production de Mithra est désormais en faillite officielle, faute de clients, alors que 80 millions d’argent public ont été injectés. Pendant ce temps, le BioPark de Charleroi rachète un tiers du site Caterpillar pour s‘accroître dans le bio-manufacturing… Je me demande parfois s’il y a un pilote dans l’avion wallon. Et que penser de ce district Cleantech à Charleroi qui compte attirer 100 entreprises et créer 1.000 emplois en 10 ans… Le tout avec un patchwork décousu d‘initiatives isolées qui donne l’illusion d‘exister grâce aux rénovations de bâtiments industriels payées par l’Union européenne.”
Dans le domaine des start-up aussi, des voix dénoncent les travers du système actuel. Ingénieur accompagnant les start-up, Carl-Alexandre Robyn n’y va pas de main morte dans un message publié sur LinkedIn: “Notre écosystème sert plus à lancer des start-up ‘bulles de savon’ et des start-up ‘zombie’ qu’à créer des entreprises pérennes, écrit-il. Les porteurs de projet ayant gagné plus de concours, plus de subsides et plus d’articles de presse, qu’ils n’ont gagné de clients sont légion dans nos incubateurs, accélérateurs, pouponnières d’entreprises… De mauvaises idées, mal exécutées, financées à coups de millions d’argent public par des gestionnaires de dossiers qui n’ont, en majorité, jamais rien créé eux-mêmes, mais qui touchent une commission pour chaque denier d’argent public placé dans une start-up sélectionnée.” Rien que ça. Il y a visiblement du travail.
“Quand je me suis lancé dans l’entrepreneuriat, en 2009, c’était le début du mouvement des start-up, raconte Jean-Yves Huwart. Une super période. Des structures de soutien sont apparues, mais au fil du temps, tout le monde a voulu créer son propre incubateur et c’est devenu n’importe quoi. Ce n’est pas propre à la Belgique, l’intention était de structurer l’économie mondiale, en s’inspirant de la Silicon Valley. Mais en Wallonie, nous ne disposons pas d’une taille critique suffisante. Comment voulez-vous concurrencer la Chine ou les Etats-Unis ? Des réussites comme Odoo n’ont pas réussi grâce au tissu wallon, mais malgré le tissu wallon. Ce succès, Fabien Pinckaers ne le doit à personne.”
Réduire le nombre d’organismes
Dans sa feuille de route, la nouvelle majorité régionale entend réduire le nombre d’organismes de façon substantielle. Cela concerne les clusters, les incubateurs ou les invests. Plus de 100 structures, au bas mot. Mais si l’intention est louable et globalement saluée, sa matérialisation risque de prendre du temps. “Si l’on partait d’une feuille blanche, il est évident que les invests devraient devenir des agences locales de Wallonie Entreprendre, dont la vocation consisterait à soutenir les PME et les TPE, avec un rayon d’action limité, nous confie une source proche des négociations qui vont débuter. C’est ce qui aurait dû être convenu il y a 35 ans, quand les Invests ont été créées. Aujourd’hui, ce n’est plus si simple…”
Au fil du temps, les pratiques ont imposé une série de chasses gardées et de réalités juridiques nouvelles. “Dans la réalité, la coupole (aujourd’hui Wallonie Entreprendre) a prêté un milliard d’euros aux différentes sociétés régionales depuis 30 ans, prolonge notre source. Que fait-on si l’on décide de revoir tout cela? Quel prix demande-t-on? Ce n’est pas tout: Noshaq et Sambrinvest, par exemple, ont bénéficié d’argent européen du Feder et ont créé des filiales avec lesquelles elles ont investi, y compris dans d’autres régions que leur bassin naturel, dont la Flandre ou la France, en faisant concurrence à Wallonie Entreprendre. Mettre de l’ordre, d’accord, mais comment ? Et je n’évoque même pas le fait que les lobbies de Liège et du Hainaut vont rapidement se mettre en route pour défendre leur pré carré.”
“Structurellement, l’économie wallonne se contente de projets que l’on présente à la presse pour se donner l’illusion que ‘des choses positives se passent en Wallonie’”. – Jean-Yves Huwart (entrepreneur et auteur)
“Le paysage ne doit pas être révolutionné, il doit évoluer, estime Bernard Liébin. Tout simplement parce que l’environnement économique évolue, lui aussi. La pire des choses, ce serait de rester figé. Il faut certainement mettre des balises aux interventions des différents organismes publics, un travail qui est déjà en cours. Mais il faut faire attention de ne pas tomber dans un accès de jacobinisme. S’il ne faut pas les autoriser à faire n’importe quoi, les invests sont des organismes dont l’actionnariat est majoritairement privé. Leur avantage, c’est de jouer le rôle de communautés de crédits locales, bien au fait des réalités de terrain pour soutenir les PME et les TPE.”
Ne pas faire n’importe quoi? “Il ne faut pas qu’un invest de Liège ou du Hainaut investisse dans le Luxembourg, cela n’a pas de sens, prolonge-t-il. Mais on ne peut empêcher des organismes comme Noshaq ou Sambrinvest de mettre en oeuvre leurs compétences en profitant des moyens de la Région, mais aussi des fonds européens et des acteurs privés de leur zone d’action. Leurs dirigeants sont tout de même assez intelligents pour ne pas faire la guerre avec Wallonie Entreprendre!” Selon lui, il serait possible de rassembler la dizaine d’invests actuels en cinq entités fusionnées. “Des tentatives ont déjà eu lieu entre Invest BW et Namur Invest, mais cela avait échoué suite à des interventions politiques. D’autres essais ont été réalisés en Wallonie picarde ou en région liégeoise. Il est temps de concrétiser ça.”
Jean-Yves Huwart sourit à l’idée que la montagne accouche d’une souris avec des fusions, un point c’est tout. “La question qui se pose est de savoir qui va piloter tout ça. La question de la gouvernance en Wallonie est centrale. Il est question de diminuer de 10% le nombre de personnes dans les cabinets ministériels: très bien, on va probablement se passer de l’un ou l’autre chauffeur ou de personnes qui font le café. Mais la dynamique générale ne changera pas. On continuera à saluer les bonnes nouvelles pour la Wallonie, souvent artificielles, alors que le taux de mise à l’emploi augmente trop peu et que le taux de création d’entreprises diminue!” Au gouvernement de lui prouver le contraire.
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