Le nouveau décret adopté par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui permet de rappeler en service des enseignants retraités sans condition d’âge ni de pénurie, suscite la controverse. Pour Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement, cette mesure est “un pansement” qui cache l’échec des politiques de recrutement.
Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté mercredi un décret portant diverses dispositions relatives à l’enseignement. Parmi les mesures présentées par la ministre Valérie Glatigny (MR) figurent l’élargissement du congé pour cas de force majeure et l’assouplissement de plusieurs procédures administratives. Mais, c’est surtout une disposition qui cristallise les tensions : la possibilité de rappeler en service des enseignants pensionnés, « sans condition liée à la nature de la pénurie ou à l’âge du candidat ».
Pour la ministre de l’Éducation, l’objectif est d'”assurer la continuité des activités dans les établissements et offrir aux enseignants retraités qui le souhaitent, sur base volontaire uniquement, la possibilité de reprendre une activité.” Une solution pragmatique face à une pénurie d’enseignants qui s’aggrave d’année en année (lire aussi l’encadré ci-dessous).
“Une mesure pour se donner bonne conscience”
Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement ne mâche pas ses mots. “Ce n’est pas nouveau, on l’amplifie”, lance-t-il d’emblée. Le syndicaliste rappelle que la Flandre a mis en place une mesure similaire depuis plusieurs années, avec des résultats mitigés. “Très peu d’enseignants retraités retournent enseigner.” Pour Roland Lahaye, cette initiative relève avant tout de la communication politique : “C’est de nouveau une mesure pour se donner bonne conscience, parce qu’on n’a pas de moyens ou on ne veut pas entendre les moyens qui sont proposés pour sortir de cette pénurie croissante.”
Une stratégie à courte vue selon le syndicaliste, qui souligne que bon nombre d’enseignants ont quitté le système “en ayant un petit peu ras le bol”. Si certains acceptent de s’investir ponctuellement et bénévolement dans leur ancienne école, “retourner dans le cadre d’un contrat pour assumer une charge de cours, n’est pas audible”, estime-t-il.
Une déconnexion avec la réalité du terrain
Au-delà de la faible attractivité de la mesure, Roland Lahaye pointe un autre problème : le rythme des réformes. “Les choses évoluent tellement vite que quand on est retraité de trois, quatre ou cinq ans, le système a changé. Et pouvoir revenir à l’école, se refaire à l’école telle qu’elle est maintenant, ce n’est pas facile du tout.”
Pour le représentant des enseignants, cette mesure illustre une déconnexion plus profonde entre le cabinet de la ministre et les réalités de terrain. “La ministre est dans son idéologie depuis le départ. Elle pense qu’elle a une baguette magique. Je pense qu’elle est complètement à côté de la plaque”, affirme-t-il sans détour. Selon lui, le dialogue social est rompu : “Elle nous réunit pour le principe. Mais, elle n’en fait quand même qu’à sa tête en ne tenant absolument pas compte de ce qu’on dit. Depuis que ce cabinet est mis en place, nous n’avons jamais pu faire bouger les lignes dans aucune phase de négociations.”
La ministre est dans son idéologie depuis le départ. Elle pense qu’elle a une baguette magique. Je pense qu’elle est complètement à côté de la plaque.
Jusqu’à 1500 emplois perdus
La mesure sur le rappel des enseignants pensionnés n’est pas la seule à faire débat. Elle s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large de tensions entre le monde enseignant et le cabinet Glatigny. La CSC-Enseignement s’est notamment mobilisée contre le passage de 20 à 22 périodes dans le degré supérieur de l’enseignement secondaire. Suite à cette mesure, Roland Lahaye prédit entre 1.000 et 1.500 pertes d’emplois. “Vous augmentez l’horaire de 10%, vous ne changez pas l’encadrement. La méthode de calcul n’est donc pas modifiée. Aujourd’hui, on évalue à 15.000 équivalents temps plein le nombre de profs dans le secondaire supérieur, vous faites 10% de 15.000, vous avez 1.500”, détaille-t-il.
La ministre, de son côté, relativise l’impact de cette mesure. “Nous avons un taux de remplacement actuel dans le secondaire supérieur de 2.170 équivalents temps plein. La mesure pourrait coûter 1.300 équivalents temps plein. On voit donc bien que nous aurons toujours besoin de beaucoup plus d’enseignants, en particulier dans le secondaire supérieur”, rassurait-elle la semaine dernière sur la RTBF. Un chiffre assez proche de celui du syndicat, mais que Valérie Glatigny présente comme des “pertes d’heures” plutôt que des pertes d’emplois, les enseignants concernés pouvant, selon elle, retrouver des heures ailleurs. Le paradoxe: ces pertes d’emploi coexistent avec une pénurie toujours criante d’enseignants qui ne sera pas résolue en rappelant les retraités.
Des actions à venir
Face à ce qu’il considère comme une impasse, le syndicat maintient la pression. La CSC-Enseignement participera à la grève des services publics du 25 novembre et prépare “un gros événement” en front commun pour janvier, dont la nature reste encore secrète. “Ce sera un événement hors de ce qu’on a pu faire jusqu’à maintenant”, annonce Roland Lahaye, sans en dévoiler davantahe. En décembre, les écoles seront invitées à des “actions plus symboliques”, notamment en se “parant de noir” pour contraster avec les illuminations de fin d’année et signifier que “le temps n’est pas à la fête dans les écoles”.
Si la ministre n’a que ça pour régler la pénurie, qu’elle revoie sa copie. C’est comme tout le reste, à un moment donné, c’est un zéro pointé.
Si le cabinet Glatigny espère que le rappel d’enseignants retraités contribuera à combler les manques dans les établissements, le pari est loin d’être gagné. Et ce n’est pas Georges-Louis Bouchez qui calmera le débat. Lors d’une conférence cette semaine, le président du MR a déclaré: “Si j’étais tout seul à décider, j’irais beaucoup plus loin que les 2 heures supplémentaires (…)”
Entre méfiance syndicale, expériences flamandes peu encourageantes et contestation plus large sur la gestion de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, cette mesure risque surtout de raviver un climat social déjà tendu. Pour Roland Lahaye, le message est clair : “Si la ministre n’a que ça pour régler la pénurie, qu’elle revoie sa copie. C’est comme tout le reste, à un moment donné, c’est un zéro pointé.”
Trois niveaux de pénurie ignorés
Roland Lahaye dresse un diagnostic plus nuancé de la pénurie d’enseignants, qui se manifeste selon lui à trois moments clés de la carrière. “La pénurie, elle se manifeste tout au long de la carrière : à l’entrée, au milieu et à la fin.”
En début de carrière, contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas tant les enseignants diplômés qui abandonnent que “ceux qui n’ont pas eu la formation de base” ou les reconversions professionnelles qui “ont cru que l’enseignement était facile”. Au milieu de carrière, le problème est “la solitude” : trop peu d’interactions, trop peu de lieux pour échanger les pratiques. En fin de carrière, c’est l’épuisement qui domine. “L’enseignant, c’est un peu l’acteur qui rentre sur scène, il y a un projecteur braqué sur lui, il doit être parfait”, image-t-il. Un rôle permanent qui pousse beaucoup à fuir le système dès que possible. “Si on pouvait assouplir un tout petit peu la fin de carrière, la rendre plus attrayante, on pourrait probablement garder les gens plus longtemps et avoir moins de pertes”, émet-il comme solution.