Que pèse la chasse en Belgique?

L'étude de PwC estime à plus de 400 millions d’euros le poids économique de la chasse dans notre pays. © belgaimage
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Le saviez-vous: un chasseur consacre en moyenne 16.000 euros par an à son loisir. De l’entretien des domaines à l’achat des armes et munitions en passant par les activités horeca qui y sont liées, le bureau PwC a analysé l’impact économique de la pratique de la chasse en Belgique. En voici le détail.

Si la chasse vous tente, jetez peut-être un coup d’œil à votre compte en banque avant de vous lancer. Cette activité nécessite en effet des dépenses moyennes annuelles de 16.932 euros par chasseur, selon une étude que vient de publier PwC. Un tiers de ce budget est consacré à la participation à des chasses collectives. Pour cela, il faut en effet acheter des “parts de chasse” et prévoir des pourboires pour le personnel qui va œuvrer à la réussite de ces journées (rabatteurs, gardes, etc.).

Le coût est ainsi plus de trois fois supérieur à celui des chasses individuelles. Les autres grands postes de dépense du chasseur sont le transport vers les lieux adéquats et l’armement (2.700 euros, munitions incluses).

L’étude de PwC, réalisée via un questionnaire auquel près de 3.000 chasseurs ont répondu, pointe encore le coût des vêtements, des animaux de chasse (achat, dressage, vétérinaire), des assurances, des permis, des éventuelles haltes restauration et logement, et même de la taxidermie. Au total, on atteint 409 millions d’euros, mais ce chiffre est ramené à 233 millions pour éviter le double comptage de certaines dépenses, reprises dans les deux autres piliers de l’impact économique de la chasse.

“Sans ces amateurs passionnés, qui assurerait la régulation des populations de grand gibier?”

Le deuxième pilier, ce sont les dépenses liées à l’organisation des journées de chasse. Elles représenteraient 137 millions par an. La principale de ces dépenses concerne la gestion du territoire. Les propriétaires ou locataires d’un droit de chasse doivent en effet le maintenir en bon état, s’assurer qu’il reste accueillant pour le gibier (points d’eau, zones de pâturage, etc.), entretenir les chemins, ériger des cabanes et miradors pour les chasseurs, éventuellement clôturer en bordure des routes. Il y a ensuite la rémunération des auxiliaires de chasse, les frais de restauration, les assurances, etc.

Le troisième pilier du calcul de l’impact économique, ce sont les recettes des pouvoirs publics. D’une part, les communes et CPAS sont propriétaires de forêts ou autres territoires de chasse qui peuvent être loués par des chasseurs. Cela leur rapporte 17 millions par an.

D’autre part, les Régions perçoivent une taxe sur l’octroi des permis de chasse (6 millions par an) et beaucoup plus modestement des droits sur les licences de chasse (un chasseur peut ainsi inviter un confrère d’une autre région ou d’un autre pays pour quelques jours) et examens de chasse. Il existe aussi une petite taxe provinciale dans les cinq provinces wallonnes et en Flandre-Occidentale. Le total est de 24 millions d’euros et l’on pourrait même le porter à près de 40 millions en intégrant la TVA sur les achats d’armes, de vêtements ou dans l’horeca.

“Ces chiffres nous montrent que la chasse est un secteur économique important, confie Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club de Belgique (RSHCB). C’est vrai pour son apport financier mais également pour une forme de service public rendu par les chasseurs. Sans ces amateurs passionnés, qui entretiendrait des îlots de biodiversité dans la plaine, où vient se réfugier le petit gibier (faisans, perdrix, lièvres)? Qui assurerait la régulation des populations de grand gibier (sangliers et cervidés)?”

L’étude de PwC s’est attardée sur cette dernière question, en partant des “plans de tir” définis par les autorités régionales et qui fixent des objectifs de “prélèvements” de sangliers, cerfs et chevreuils (au total environ 64.000 animaux en Belgique, dont 85% en Wallonie) afin de contenir leur nombre. Lors de la saison 2021-22, ils ont été réalisés à plus de 95%.

“Au vu des résultats, on peut saluer l’effort réalisé par les chasseurs, a commenté le ministre de l’Economie Willy Borsus (MR), en charge notamment de la Chasse et de l’Agriculture. Il était nécessaire de mobiliser très largement les chasseurs afin de retrouver un équilibre agro-sylvo-cynégétique et réduire ainsi le risque de dégâts aux cultures et prairies, l’impact sur la biodiversité, le risque sanitaire et le risque accidentogène sur nos routes. Il faut poursuivre en ce sens de manière à diminuer encore les populations excédentaires.”

Benoît Petit (RSHCB)
Benoît Petit (RSHCB) © PG

Ces plans de tir ne sont pas des objectifs symboliques mais de vraies obligations. “Si nous n’atteignons pas le chiffre, nous risquons des amendes substantielles et même parfois des poursuites pénales, affirme Benoît Petit. Une partie de la population ne peut accepter, et je peux le comprendre, que l’on retire la vie à un animal. Mais l’administration judiciaire nous poursuit pour ne pas en avoir tué assez.”

A défaut de chasseurs, ce travail de régulation devrait être confié à des gardes forestiers régionaux. Il aurait fallu en engager 187 à plein temps, calcule PwC, en transposant dans notre pays l’exemple, apparemment unique, du canton de Genève où des agents publics assurent la régulation du gibier depuis l’interdiction de la chasse en 1974. Cela représenterait un coût salarial de 8,9 millions d’euros, auquel il faut ajouter des frais de véhicules et d’armement, l’indemnisation des dégâts agricoles et les dépenses pour l’aménagement de clôtures le long des routes et autour des cultures. “Selon les experts rencontrés, les montants liés à ces postes se chiffreraient en millions d’euros rien que pour la Région wallonne”, lit-on dans l’étude.

Gibier des forêts et gibier des plaines

Pourquoi les populations de grand gibier ont-elles à ce point proliféré qu’il faut les réguler en “prélevant” plusieurs dizaines de milliers d’animaux chaque année? Les chasseurs pointent le réchauffement climatique qui faciliterait la recherche de nourriture de ces animaux tout au long de l’année, avec une abondance de glands et de faînes. Le phénomène est renforcé par la transformation de pâtures bordant les bois en champs de cultures céréalières.

“Ce sont des zones de quiétude et de refuge alimentaire pour le gibier, insiste Benoît Petit. Ces conditions font que la machine à reproduire s’emballe, les laies ont trois portées sur deux ans au lieu d’une par année.” Le collectif “Stop aux dérives de la chasse” voit les choses autrement: il accuse les chasseurs de financer parfois eux-mêmes ces cultures le long des bois pour avoir du gibier en abondance. Il dénonce plus largement la pratique du nourrissage en forêt et en vient à comparer la chasse à “une activité d’élevage”. Les chasseurs assurent, eux, que le nourrissage dissuade le gibier d’aller saccager les champs alentours pour s’alimenter.

“Les chasseurs effectuent aussi un gigantesque travail de préservation de la biodiversité dans les plaines.”

Dans les plaines, on constate la situation inverse: le petit gibier se raréfie. C’est la conséquence de pratiques agricoles intensives, avec des parcelles et des machines agricoles de plus en plus grandes, ainsi que de l’urbanisation croissante. “Il n’y a plus ces coins et recoins qui servaient de repaires, de refuges, de lieux de nidification pour les faisans, perdrix et autres lièvres, déplore Benoît Petit. Il existe heureusement des points de résistance, surtout grâce aux chasseurs qui maintiennent des bocages, replantent des haies. Ils effectuent un gigantesque travail de préservation de la biodiversité dans les plaines, dont l’impact n’est pas mesuré dans l’étude de PwC.”

Le mystère de la viande de gibier

L’impact économique de la chasse, c’est aussi toutes les activités qui tournent autour. On songe d’abord à l’équipement du chasseur. “Avec FN-Herstal, les artisans liégeois et quelques autres, nous avons des entreprises dans le top mondial de la fabrication d’armes de chasse et de la gravure sur ces armes, poursuit le président du RSHCB. Il y a également à Liège une école d’armurerie très réputée (CES Léon Mignon). La chasse contribue aussi au maintien de métiers ancestraux comme la taxidermie, la fabrication de trompes de chasse ou l’art de la coutellerie.” Une structuration de la filière pourrait-elle optimiser les retombées de cette activité? L’analyse de PwC n’aborde malheureusement pas à cette question.

Artisanat La chasse contribue aussi au maintien de métiers ancestraux.
La chasse contribue aussi au maintien de métiers ancestraux. © belgaimage

Le secteur horeca, et plus largement du tourisme, bénéficie également des retombées de la chasse. Cela va au-delà de l’hébergement des chasseurs et de leurs familles car ceux-ci pratiquent d’autres activités sportives ou culturelles pendant leur séjour. “D’une manière générale, l’ouverture de la chasse amène les amateurs de gastronomie à venir séjourner dans les régions traditionnelles de chasse où le secteur horeca met d’ailleurs souvent le gibier en produit d’appel”, lit-on dans l’étude de PwC. Mais apparemment, le gibier qui se retrouve dans les assiettes vient souvent d’Argentine (lièvres), de Nouvelle-Zélande (cerfs) ou de l’est de l’Europe plutôt que des forêts ardennaises… Il n’existe plus en Belgique qu’une douzaine d’ateliers agréés où l’on réceptionne, dépiaute et traite les carcasses de gibier.

“Il serait peut-être utile de revoir les étiquetages, de bien cadrer la provenance du gibier.”

“Il serait peut-être utile de revoir les étiquetages, de bien cadrer la provenance du gibier, souligne Benoît Petit. C’est très particulier mais la viande de gibier n’a pas une grande valeur économique. Le sanglier, vous allez le vendre entre 50 centimes et 1 euro le kilo, ce qui est très peu par rapport au prix de vente dans le commerce.”

A noter que face aux chiffres de cette étude, le collectif “Stop aux dérives de la chasse” ne parle pas d’un apport économique mais, au contraire, d’une “dette cachée des chasseurs” en raison des impacts négatifs sur la production sylvicole et agricole, sur les milieux naturels et sur le tourisme. La cohabitation entre promeneurs et chasseurs n’est en effet pas toujours facile et la saison de chasse peut décourager d’autres types d’amateurs de la forêt…

En chiffres

On recense 24.000 chasseurs en Belgique (11.700 en Wallonie, 11.300 en Flandre et 1.000 à Bruxelles). Ce chiffre est en hausse de 6% sur les 10 dernières années.

La chasse est une activité masculine (97% des détenteurs de permis) qui plaît surtout aux 46-65 ans. Le rajeunissement vient de Bruxelles avec 45% de 25-45 ans et 9% de moins de 25 ans.

La chasse est une activité régionalisée. Elle est interdite à Bruxelles et soumise à l’obtention d’un permis dans les deux autres Régions. Et bien sûr, si vous souhaitez chasser en Flandre et en Wallonie, vous devez avoir deux permis… et donc passer deux fois à la caisse! Très peu de Wallons le font mais 51% des chasseurs flamands ont également un permis pour pratiquer leur activité en Wallonie. A noter que 80% des chasseurs bruxellois possèdent uniquement le permis wallon.

Les surfaces chassables belges s’étendent sur 72% du territoire, soit 2,2 millions d’hectares. La majorité d’entre elles sont localisées en Wallonie (60% et jusqu’à 80% pour les forêts). La moitié des surfaces forestières wallonnes appartiennent à des propriétaires privés (70% en Flandre). Ceux-ci sont environ 100.000 en Belgique et détiennent des parcelles de plus en plus petites (68% de ces parcelles s’étendent sur moins de 1 hectare).

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content