Paul Vacca
Quand la politique plagie “Black Mirror” et le “Gorafi”
Grâce à Oscar Wilde, on sait depuis longtemps que ce n’est pas l’art qui imite la nature, mais la nature qui imite l’art. Il pouvait voir dans un coucher de soleil un très mauvais tableau de Turner, d’une mauvaise période où les pires défauts du peintre sont exagérés.
Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, a également pu noter que contrairement à ce que l’on pouvait penser, ce n’est pas le cinéma qui observe la mafia, mais les mafieux qui regardent et s’inspirent des fictions comme Le Parrain, Les Affranchis ou Les Sopranos. Aujourd’hui, la phrase ” J’ai entendu dire que tu peignais des maisons “, prononcée dans The Irishman de Martin Scorsese, a toutes les chances d’être reprise dans le milieu.
Et voici que la semaine dernière, la vie politique française s’est mise furieusement à plagier non pas un tableau ni des oeuvres du septième art mais, dans un grand écart entre le trivial et le tragique, un site parodique et une série dystopique. Au point qu’on a cru vivre dans le cross-over du Gorafi -site parodique qui distille des infos absurdes- et de la terrifiante série anglaise Black Mirror. Résumons. Un prétendant à la mairie de Paris, ancien ministre, tombe à cause d’une vidéo à caractère sexuel publiée par un activiste russe réfugié en France (qui s’était fait remarquer en se clouant les testicules devant le Kremlin). Elle est relayée sur les réseaux sociaux par un député qui voulait prendre comme assistant parlementaire un garde du corps de l’Elysée qui s’était fait passer pour un membre de la police. Ce même député qui, deux jours auparavant, déclarait sa candidature aux élections présidentielles françaises de 2022 dans une émission de grande écoute connue pour mettre des nouilles dans le slip de ses chroniqueurs et dont le présentateur va peut-être se présenter aussi aux présidentielles… Black Mirror pour le revenge porn et le Gorafi pour la galerie de personnages.
On a pu évidemment faire de cet enchaînement d’événements des lectures politiques, morales, juridiques, voire complotistes. On a pu aussi se demander si la démocratie est mise en danger par la porosité entre vie privée et publique. On a aussi condamné les réseaux sociaux en brandissant une nouvelle fois l’interdiction de l’anonymat, bien qu’en l’occurrence les personnes qui ont fait fuiter cette vidéo ont oeuvré sous leur propre identité clairement revendiquée. Mais y a-t-il vraiment matière à s’étonner que la vie politique se mette à ressembler à ce qui l’imite ou la critique ?
Signes de décadence, de dé-civilisation ou ” d’américanisation ” de la vie politique ? Peut-être… Pour notre part, nous serions plutôt tenté d’y déceler un phénomène plus froidement mécanique : un effet de vases communicants par contagion réciproque. Car, d’un côté, la force de la fiction comme la série Black Mirror ou même Baron Noir – dont la saison 3 vient de sortir – consiste à révéler ce qui est virtuellement déjà présent dans la réalité. Ainsi, le pilote de Black Mirror ( L’Hymne national) où il est question d’un Premier ministre anglais empêtré dans une sombre histoire de chantage et de vidéo compromettante préfigurait-t-il ce qui est arrivé à Benjamin Griveaux. De même qu’un autre épisode ( Chute libre), censé se passer dans le futur et décrivant un monde où toute notre vie réelle se trouve liée à notre notation sur les réseaux sociaux, décrit une réalité déjà à l’oeuvre en Chine. Idem pour le Gorafi, dont les infos délirantes se révèlent être de véritables analyses politiques. A tel point que certains internautes se méprennent en pensant qu’il s’agit d’un véritable site d’information.
Et, de l’autre côté, les politiques finissent par se conformer -comme les mafieux selon Saviano – à la manière dont on les décrit dans un troublant effet de mimétisme. Pouvant aller jusqu’à la symbiose, comme on avait pu le vivre avec Jacques Chirac au moment des Guignols sur Canal+ au point que certains s’étaient demandé qui des deux -la marionnette ou l’homme politique- avait emporté l’élection présidentielle de 2002.
Sous cet angle, l’élection d’un milliardaire bateleur de la téléréalité au poste de président des Etats-Unis, d’un acteur comique à la tête de l’Ukraine comme la montée conjointe d’un bouffon et d’un geek en Italie en apparaîtraient presque logiques. Et peut-être plus effrayantes encore.
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