Paul Vacca
#Proust2022, tout semble prétexte à fêter Marcel Proust
Un peu à la manière des Beatles, Proust semble vivre un revival permanent.
Sur Twitter, un hashtag #Proust2022 a fleuri à l’occasion de la commémoration des 100 ans de la mort de l’auteur d’ A la recherche du temps perdu survenue le 18 novembre 1922. Une “année Proust” donc, qui se reconnaît au nombre de célébrations, expositions, émissions, rééditions, nouvelles parutions, etc. Mais l’an dernier était déjà une “année Proust”, on fêtait les 150 ans de sa naissance. Comme il y a trois ans, on célébrait le centenaire du Prix Goncourt décerné à A l’ombre des jeunes filles en fleurs…
Un peu à la manière des Beatles, Proust semble vivre un revival permanent.
Pour ses fervents lecteurs – et les éditeurs – tout semble prétexte à fêter Marcel Proust. Même les années où il n’y a rien de particulier à célébrer, on assiste tout autant à une profusion d’hommages. Et bien au-delà des cercles lettrés et des amphithéâtres qui sentent l’encaustique, on ne compte plus les sites, blogs, profils Facebook, Twitter ou Instagram qui le célèbrent. Un peu à la manière des Beatles, Proust semble vivre un revival permanent.
Comment lui-même aurait-il jugé ce déferlement d’hommages? Difficile de se prononcer à sa place un siècle après. Mais l’on peut tout de même avancer quelques hypothèses. Il est fort probable qu’il aurait été fier et honoré d’être toujours réédité, acheté, lu et étudié 100 ans après sa mort. Savoir que les ventes d’A l a Recherche ont dépassé les 7 millions en France toutes éditions confondues ne lui aurait pas déplu non plus, on imagine. De même qu’il aurait certainement goûté que son aura dépasse le cadre strict des connaisseurs et des lecteurs avec des tee-shirts à son effigie.
En revanche, on peut légitimement se demander si l’admiration exclusive et parfois étouffante que certains admirateurs lui témoignent ne l’aurait pas un brin irrité ou effrayé. Surtout de la part de ceux qui se comportent en paparazzis ou stalkers scrutant sa biographie, retournant sa correspondance dans tous les sens, disséquant sa moindre note ou dépense à la recherche de détails croustillants dans sa vie privée et de clés dans son oeuvre. Paradoxalement, ce sont souvent les gardiens du temple – ceux que l’on nomme les “Proustiens” – qui deviennent des blasphémateurs puisque Proust a toujours tenu pour sacré le principe selon lequel il ne fallait pas confondre l’auteur et l’être de chair et de sang.
Il aurait peut-être aussi été en désaccord avec le principe même de la commémoration comme modalité. Pas sur un plan personnel mais sur un plan philosophique. Car pour lui commémorer, ce n’est pas se souvenir. C’est même l’exact contraire. Là où la commémoration implique un travail de mémoire réfléchi, collectif et ritualisé, le souvenir pour Proust est une expérience intime, qui jaillit involontairement et librement. Comme la fameuse madeleine du narrateur trempée dans le thé qui fait rejaillir le passé du narrateur à sa grande surprise. Le véritable souvenir pour Proust ne se décrète pas. Il est au contraire involontaire. Et paradoxal: pour se souvenir, se remémorer les choses ou les êtres, il faut qu’on les ait oubliés. En ce sens, il aurait aussi désapprouvé, par exemple, les rappels incessants que nous propose Facebook en réactivant d’anciennes publications: au lieu d’éveiller et d’entretenir le souvenir, ils l’anesthésient.
Une simple vision d’un écrivain du début du siècle dernier, dira-t-on? Peut-être un peu plus que cela, en fait. Car comme l’a montré Jonah Lehrer dans Proust était un neuroscientifique, un passionnant essai publié en 2007, les intuitions proustiennes sur la mémoire ont reçu des confirmations scientifiques de la part de spécialistes en neurosciences près d’un siècle après leur publication. Alors, on n’a peut-être pas fini de commémorer l’écrivain. Et pourquoi pas avec un #Proust2122?
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