Prolongation de Doel 4 et Tihange 3 : qui se cache derrière les nébuleuses négociations ?
Ce n’est qu’une toute petite équipe qui même les discussions pourtant cruciales avec Engie/Electrabel sur la prolongation de Doel 4 et Tihange 3 jusqu’en 2036. Petite, mais loin d’être inexpérimenté, nous dit de Standaard. Il n’empêche que la pression augmente, puisque la prochaine échéance est prévue pour le 31 décembre.
Les négociations autour du maintien des deux centrales nucléaires pour 10 ans supplémentaires sont tendues, malgré “beaucoup de bonne volonté autour de la table” selon De Croo. D’autant plus que le délai défini pour conclure un accord avec l’exploitant est le 31 décembre 2022 et que l’objectif reste d’aboutir à cette date, soit ce samedi.
Cette tension doit beaucoup au contexte politique, mais aussi à certains revirements de la Vivaldi. Celle-ci avait juré qu’elle serait la coalition qui allait enterrer pour de bon le nucléaire en Belgique pour 2025. Mais, voilà, la guerre en Ukraine a changé la donne et poussé le gouvernement à changer son fusil d’épaule pour assurer l’approvisionnement énergétique de notre pays.
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Moins d’un mois après le début des hostilités, des négociations ont donc été entamées pour voir dans quelle mesure il n’était pas possible de prolonger les deux réacteurs les plus récents du pays, soit Doel 4 et Tihange 3 pour encore 10 ans supplémentaires.
Analyser d’ici janvier toutes les options
N’étant plus vraiment en position de force, puisqu’étant la partie demanderesse, le gouvernement savait dès le début qu’il allait devoir faire des concessions. D’autant plus qu’Engie n’est pas non plus pressé par le temps. S’il y a un black-out, ce n’est pas la compagnie qui sera pointée du doigt, mais les tergiversations du gouvernement. La pression a encore augmenté d’un cran depuis que la théorie du black-out n’est plus si farfelue. Un nouveau rapport des gestionnaires de réseau Elia et Fluxys montre désormais qu’une pénurie d’électricité est effectivement imminente pour l’hiver où les deux centrales devraient être arrêtées.
Au vu des nouveaux éléments dégradant la situation énergétique en Europe (guerre en Ukraine qui se poursuit, parc nucléaire français au ralenti), Elia et Fluxys, pour le volet gazier, ont en effet recommandé début décembre de renforcer les capacités de production à hauteur de 900 à 1.200 MW pour l’hiver 2025-2026 et un buffer supplémentaire de 1.600 MW pour l’hiver 2026-2027. Les hivers 2022-2023, 2023-2024, 2024-2025 sont par contre couverts avec les capacités actuelles et les investissements déjà prévus et validés.
Loin de paniquer, De Croo avait alors estimé devant la Chambre qu’il s’agissait là d’un travail sur le long terme et basé sur “le pire du plus pire scénario”. Dans la foulée, le Kern, le conseil des ministres restreint, avait décidé d’analyser d’ici janvier toutes les options afin d’assurer l’indépendance énergétique de la Belgique pour l’hiver 2025-2026.
Parmi les options analysées par le gouvernement on retrouve :
- Le décalage (fuel modulation) de production des centrales de Doel 4 (1.039 MW) et Tihange 3 (1.038 MW). La solution “fuel modulation” est de mettre Doel 4 et Tihange 3 à l’arrêt durant les étés précédents, pour économiser le combustible nucléaire. Ces deux réacteurs tourneraient, en revanche, durant l’hiver 2025-2026. Les travaux nécessaires seraient réalisés durant l’été. Cependant, Engie Electrabel, l’exploitant des centrales nucléaires en Belgique, émet des réserves sur le sujet. À ses yeux, la voie d’une “extension du combustible” n’est pas possible dans le cadre juridique et réglementaire actuel de la sûreté nucléaire.
- Un autre scénario éventuellement envisagé est une prolongation limitée des plus vieux réacteurs Doel 1 et 2 (445 MW chacun) et Tihange 1 (962 MW). Selon le calendrier actuel de sortie du nucléaire, leurs fermetures définitives sont respectivement prévues les 15 février 2025, le 1er décembre 2025 et le 1er octobre 2025.
Une décision sur ces deux pistes est donc attendue d’ici peu, mais après l’échéance théorique pour Doel 4 et Tihange 3.
Des négociations toujours nébuleuses
Malgré ces quelques sorties, force est de constater que quelques mois après leurs débuts, on ne sait toujours pas exactement où en sont les négociations. Ce qu’on sait par contre, c’est quel est le point de friction le plus évident. Il s’agit de la provision nucléaire, soit l’argent qu’Engie doit mettre de côté pour le démantèlement des centrales nucléaires et l’élimination des déchets nucléaires. C’est surtout son plafonnement, soit le montant au-delà duquel l’État serait tenu responsable de la facture, qui est l’une des principales pierres d’achoppement des discussions. Pas tout de suite un détail puisqu’on parle tout même d’une facture de plusieurs dizaines de milliards et que la somme va crescendo.
La provision nucléaire est aujourd’hui rassemblée dans un fonds géré par la société de provisionnement nucléaire SYNATOM. Au 31 décembre 2021, le fonds géré par SYNATOM s’élevait à 14,375 milliards d’euros, mais celui-ci pourrait atteindre les 44 milliards à l’avenir.
Selon Luc Dufresne, président de la Commission des provisions nucléaires (CPN), “le démantèlement des centrales va être encore plus onéreux que prévu”. A l’occasion de son évaluation triennale de l’épargne nucléaire, soit les montants qui sont mis de côté pour financer le démantèlement des centrales nucléaires et la gestion de l’aval du cycle du combustible usé, la Commission a décidé de revoir cette manne de 2,9 milliards d’euros à la hausse: 2,3 milliards d’euros doivent être consacrés au démantèlement et 700 millions à la gestion du combustible usé. Les provisions totales réclamées à Engie s’élèvent donc à 3,3 milliards d’euros. Une somme que l’exploitant des centrales en Belgique juge exagérée. Le groupe prépare une contreproposition et si besoin, n’exclut pas un recours auprès de la Cour des marchés.
Mais selon M. Dufresne, la hausse s’explique par la complexité du dossier sur le démantèlement des centrales nucléaires qu’Engie Electrabel a introduit. “Le démantèlement va coûter encore plus que ce qui avait été initialement estimé”, a indiqué le président de la Commission.
Qui est derrière ces négociations ?
Pour suivre ce dossier des plus stratégiques, il y a une toute petite équipe soudée, selon De Standaard. Elle est composée du Premier ministre De Croo et la ministre de l’Énergie Van der Straeten. Il y a aussi le chef de cabinet de De Croo, Ruben Lecok, et son homologue au cabinet de Van der Straeten, Tom Vanden Borre. Le quatuor ne serait seulement complété que par quelques collaborateurs techniques.
La bonne nouvelle est que si l’équipe est réduite, elle n’en est pas moins expérimentée, toujours selon De Standaard. Ainsi Lecok est un cabinetard de haut vol. Plusieurs fois chef de cabinet, il connaît parfaitement les rouages de la politique. Vanden Borre a lui un “CV est d’une longueur impressionnante. Il a dirigé pendant sept ans le service juridique de la société énergétique Eni et été directeur de la fédération professionnelle Comeos pendant trois ans. Il a aussi travaillé à l’institut de recherche nucléaire SCK-CEN à Mol, mais aussi aux régulateurs de l’énergie Creg et Vreg. Il a également passé deux ans à la direction générale de l’énergie de la Commission européenne et a dirigé l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (Fanc) pendant quatre ans. Il a enfin aussi été, en 2003, conseiller au sein du cabinet du Premier ministre de l’époque, Guy Verhofstadt (Open VLD) lorsque la discussion sur la sortie du nucléaire bat déjà son plein. Il est ensuite passé au cabinet de la ministre de l’énergie Fientje Moerman (Open VLD). Ou pour citer Van der Straeten, “c’est le bon homme, au bon endroit”. Espérons que cela suffise pour sortir du brouillard.
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