Productivité ! Le cri d’alarme des économistes belges
La productivité doit être à l’agenda des prochains gouvernements, souligne un groupe d’économistes belges. Bernard Keppenne, le chief economist de CBC, est un des signataires. Il nous explique le pourquoi de cette initiative.
Ils sont soixante-quatre. Soixante-quatre économistes venus d’horizons très différents – l’université, la banque, la gestion de fortune, les organisations professionnelles, qui lancent un cri d’alarme à destination des prochains gouvernements qui sortiront des urnes. Dans une carte blanche publiée notamment dans le Tijd et l’Echo, ils soulignent que même si le sujet n’est pas abordé lors de cette campagne électorale, « la nécessité d’une croissance de productivité plus élevée demeure le facteur essentiel de notre prospérité future ».
En effet, les défis qui sont devant nous demanderont de mobiliser toutes nos richesses. Or la croissance économique est dépendante de la démographe – mais la population est vieillissante-, et de la quantité de richesse créée par heure de travail, autrement dit la productivité. Or celle-ci, déjà flageolante depuis des décennies, s’est littéralement effondrée depuis le covid. En Belgique, entre 1999 et 2008, la productivité comptait pour 1,1 de point de croissance du PIB. Depuis le covid, cette proportion est tombée à 0,3 point.
D’où cet appel, lancé à l’initiative du Voka, le lobby des entreprises flamandes, mais relayée des deux côtés de la frontière linguistique, pour inverser la tendance. « Dans les années à venir, si nous souhaitons consolider davantage notre prospérité, absorber les coûts du vieillissement, renforcer structurellement notre pouvoir d’achat, investir dans la transition durable, bref, si nous voulons tenir les promesses électorales qui nous sont actuellement faites, une augmentation de la productivité s’avère nécessaire. Toute la campagne électorale devrait donc porter sur ce point, ou du moins se concentrer sur le plan économico-financier » souligne les soixante-quatre économistes.
Parmi ceux-ci, Bernard Keppenne, le chef économiste de la banque CBC. Il nous explique les motivations derrière cette initiative.
Pourquoi lancer cet appel maintenant ?
« Tout d’abord, il faut le voir dans un contexte un peu plus global et général que la Belgique. Nous avons globalement aujourd’hui un vrai problème de perte de productivité au niveau de l’Europe par rapport aux États-Unis, avec une aggravation de la situation depuis la crise covid. Ce point a été soulevé dans plusieurs rapports de la Banque centrale européenne, et sera évoqué dans le rapport qui sera remis après les élections européennes par Mario Draghi. Il y a donc une préoccupation spécifique à l’Europe. Mais si l’Europe est à la traîne, la Belgique a également un certain nombre de retards qui sont pénalisants en termes de productivité pour les années futures.
Pourquoi les États-Unis nous ont à ce point distancés ?
Ils ont plus rapidement soutenu leur économie au moment de la crise. Mais aussi, deuxième élément, ils bénéficient d’une indépendance énergétique que n’ont pas les pays européens, ce qui a fortement joué. Enfin, il y a les nouvelles technologies. L’Europe est très forte et c’est important, pour mettre en place des normes, des contrôles, etc. Mais les États-Unis vont beaucoup plus vite et donnent plus de latitude aux acteurs économiques. Et on voit bien qu’aujourd’hui, incitée par un marché de l’emploi qui est tendu, les entreprises américaines investissent dans les nouvelles technologies qui vont amener la productivité.
Il y a en Europe une série de points à travailler, que vous énumérez : l’enseignement, l’innovation, l’investissement public, la digitalisation et l’intelligence artificielle, le climat entrepreneurial, la transition durable, le dynamisme du marché du travail…
Tous ces éléments mis ensemble peuvent soutenir la productivité. Et nous avons besoin de la mobilisation de l’ensemble d’entre eux. Certains points sont malheureusement particuliers à la Belgique, comme la qualité de l’enseignement et de la formation ou le manque d’investissements publics. Nous voyons dans le Nord de la France ou en Allemagne se déployer de véritables programmes d’investissements menés par les Etats. Ce n’est pas du tout le cas au niveau belge.
Mais notre Etat n’est pas aussi riche que l’Etat allemand…
Je suis d’accord avec vous. Mais le constat que nous faisons est que les investissements publics en Belgique, depuis des années, depuis même des décennies, n’ont pas du tout été performants. Nous avons assisté à un saupoudrage plutôt que de véritables investissements publics porteurs de productivité pour les années futures. Aujourd’hui, l’État n’est plus capable de pouvoir réaliser des investissements, mais c’est toute la politique antérieure qui est la conséquence de cette situation. Nous avons eu des gouvernements de coalition qui n’ont jamais mené à bien les indispensables réformes. Évidemment, c’est compliqué, mais ce n’est pas pour autant que nous ne devons pas nous poser les bonnes questions.
Quel est alors votre message aux politiques ?
Il est de dire qu’il faut aujourd’hui prendre les problèmes à bras le corps. Il faut réformer l’Etat, il faut mener des grands programmes d’investissements, il faut arrêter le saupoudrage des fameux plans européens. Il faut quand même rappeler aujourd’hui que la Belgique est un des rares pays qui n’a pas encore bénéficié des fonds du fameux Next Generation EU, alors que des pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie ont déjà fortement utilisé ces fonds. C’est quand même extrêmement interpellant, alors que nos partenaires proches, eux, sont en train de développer et d’améliorer leur productivité grâce à cet argent.
Les signataires, finalement, viennent de tous les horizons. Il y a une sorte de consensus auprès des économistes sur ce qu’il faudrait faire ?
Il existe une vraie préoccupation de l’ensemble des économistes sur le défi de la productivité au niveau de l’Europe, et donc par la force des choses pour la Belgique. Je voyais récemment Caroline Cleppert (secrétaire générale de l’UCM, NDLR) qui réagissait en disant que c’est une vraie préoccupation ressentie par les PME aujourd’hui. C’est l’entièreté du tissu industriel en Europe et en Belgique qui est préoccupée.
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