Près de 3000 médecins gagneraient deux fois plus que le Premier ministre

© getty

Les revenus des médecins et spécialistes belges restent un secret bien gardé. Si on regarde les quelques chiffres disponibles, plus de 11.000 médecins gagneraient plus que le Premier ministre belge, selon De Standaard. Et plus de 3000 d’entre eux gagneraient même le double. Il existe cependant d’énormes différences entre les spécialités.

Que certains médecins en Belgique aient de confortables salaires n’étonnera personne. Mais il est beaucoup plus difficile de connaitre le montant exact de leur salaire. Selon un article paru dans le Knack, « comparé à leurs collègues étrangers, ce sont les médecins belges qui gagnent tout simplement le plus ». Sauf que « le revenu des spécialistes indépendants est l’un des secrets les mieux gardés de notre pays ». Au point que « les agents de change de la City de Londres parlent parfois du « dentiste belge ». Non pas parce qu’ils ont mal aux dents, mais pour désigner une catégorie d’épargnants très riches et obsédés par la discrétion, car la plupart de leurs économies proviennent de revenus non déclarés ».

La norme du Premier ministre

Personne ne critique le fait qu’un médecin soit bien payé. Après tout, les études sont longues et leur savoir sauve des vies. Ce qui pose davantage problème est la différence énorme qu’il peut exister entre certaines spécialités, le flou presque total sur les revenus réels des médecins, ainsi que des tarifs parfois exorbitants.

C’est pourquoi certains experts affirment que le salaire d’un spécialiste ne devrait pas être supérieur à celui du Premier ministre, c’est ce qu’on appelle la norme du Premier ministre. Ce qui équivaut tout de même à 250 000 euros bruts par an. Or, en Belgique, on n’y serait pas tout à fait. Ainsi selon de Standaard, sur base des chiffres de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI), près de 11 000 (10 856 exactement) médecins facturent chaque année à notre système de santé plus que le salaire du Premier ministre. 3 011 médecins “gagnent” même le double et 856 médecins dépasseraient même le million d’euros. Toujours selon le Standaard, ce seraient les radiologues que l’on retrouve à la tête dans chaque catégorie. Le meilleur radiologue facturerait à lui seul plus de 8,3 millions d’euros.

D’énormes différences entre les spécialités

Tous les médecins ne sont pourtant pas riches, loin de là. Il existe de très grandes différences de revenus entre les spécialistes et aussi, par exemple, entre un spécialiste indépendant qui facture des suppléments coûteux et un généraliste qui travaille dans un centre de santé de quartier.

Les spécialistes techniques tels que les radiologues, les néphrologues et autres « logues » sont particulièrement bien lotis. Les pédopsychiatres, les gériatres ou les pédiatres et les autres « iatres » dont les performances techniques sont bien moindres sont comparativement moins bien rémunérés. Mais même entre généralistes, il peut y avoir de grosses différences. Ainsi selon le Spécialiste (le site d’actualité des médecins spécialistes), sur base d’un questionnaire rempli par près de trois mille généralistes (sur les plus de 12.000 généralistes en Belgique), si l’on considère les revenus nets, la moyenne nationale est de 4707 euros par mois. Sauf que 12,55% atteignent 15.000 et presque 33% sont en dessous des 7.500 euros/mois ou plus.  27% des généralistes gagnent entre 7.500 et 9.999 euros par mois et ils sont quasiment dans la même proportion (26,5%) à gagner entre 10.000 et 14.999 euros.

Des frais remboursés par de l’argent public

« S’il est normal qu’il y ait des différences, l’ampleur de ces différences jusqu’à 500 % selon les spécialités est exagérée » selon le professeur Marc Noppen, administrateur délégué de l’UZ Brussel toujours dans le Knack.

Et c’est d’autant plus vrai qu’il ne faut pas oublier qu’il s’agit en grande partie d’argent public. Car la médecine n’est pas une profession libérale comme les autres. Les frais de base sont remboursés par l’argent qui vient de vous ou moi. Ainsi, pour financer notre système de santé, les employés cèdent 13 % de leur salaire brut et les employeurs privés paient 25 % de cotisations sociales. Concrètement, en 2022, ce sont 14,6 milliards d’euros d’honoraires pour près de 132 000 prestataires de soins, précise encore De Standaard.  C’est 35,6 % de plus qu’en 2013 alors que l’inflation sur la même période n’a augmenté “que” de 23 %.

Gains supplémentaires et coûts

Autre point qui a son importance : ce que les médecins facturent à l’INAMI n’est pas leur revenu net final. Ils reçoivent des paiements de leurs patients et facturent régulièrement des suppléments à leurs patients hospitalisés. On estime ainsi que, grâce à ces extra, « leurs revenus augmentent d’un cinquième à un quart “, déclare l’économiste de la santé Dominique Vandijck (UGent) toujours dans De Standaard.

Enfin, on l’oublie parfois, mais les médecins ont aussi des coûts. Si l’on retrouve les honoraires médians les plus élevés dans les disciplines techniques, telles que l’imagerie ou les analyses (radiothérapeutes, biologistes cliniques, généticiens et radiologues), c’est parce que ces médecins cèdent souvent une plus grande partie de leurs revenus au laboratoire ou à l’hôpital pour lequel ils travaillent (frais pour l’utilisation des salles d’opération, des équipements médicaux et le personnel assistant). Une cession de revenus qui tourne autour de 40% avec des pointes à 70%.  Et à cela s’ajoutent bien entendu des impôts.

Un tabou et une réforme plus que nécessaire

Il n’empêche que le flou sur le revenu réel des médecins complique la réforme et l’optimisation des soins de santé. Élément très sensible, pour ne pas dire tabou, puisque personne n’aime renoncer à ses avantages, le salaire des médecins en est effectivement l’un des piliers. D’autant plus, si celui-ci est exorbitant et encouragé par le système qui autorise des médecins non-conventionnés.

Dans un contexte où le vieillissement de la population et l’augmentation de soins chroniques vont à coup sûr faire exploser les coûts, cette réforme ne peut plus être reportée sine die. C’est pourquoi plusieurs ministres ont tenté de rendre ces salaires plus transparents, mais sans réel succès. Le dernier ministre fédéral de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit) a ainsi essayé d’adapter la nomenclature désuète, longue et compliquée sur laquelle se basent les revenus. La nomenclature est une liste faite de codes qui représentent des services médicaux qui sont entièrement ou partiellement remboursés par l’assurance maladie. Or cette liste crée aussi de très grandes différences de revenus entre les spécialistes. Non abouti avant la fin de son mandat, la réforme risque de rester en friche, voire d’être détricotée par son successeur.

Une autre piste pourrait être l’implémentation d’un modèle mixte qui allie un montant inférieur pour l’acte et un forfait par patient. Aujourd’hui, la Belgique est l’un des rares pays où le système de rémunération à l’acte est encore aussi répandu. Ce système encourage les énormes différences de revenus qu’il peut exister entre les disciplines médicales. De quoi aussi compliquer le recrutement de médecins pour certaines spécialités moins rémunératrices. En travaillant, même partiellement, avec des salaires fixes, cela augmenterait la transparence et atténuerait la pénurie dans certaines spécialités. Rien d’incongru, puisque les pays scandinaves travaillent déjà avec des salaires fixes. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Espagne le font également dans une large mesure.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content