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Pourquoi parler de boules de neige alors que l’été revient ?
En finances publiques, les boules de neige sont un jeu très dangereux. Explication.
Les professeurs de finances publiques seraient-ils de grands enfants, prenant plaisir à s’ébattre dès les premiers flocons et à s’envoyer des boules de neige en riant aux éclats ? Non. S’ils parlent de boules de neige même quand le printemps revient, c’est le plus souvent en fronçant les sourcils et en pointant un index réprobateur vers les gouvernements.
Pas plus tard qu’au début de ce mois d’avril, le Conseil supérieur des Finances (section « Besoins de financement) a remis un rapport pas piqué des hannetons qui enjoint aux pouvoirs publics, et surtout à l’État fédéral, d’être bien moins dispendieux. Il recommande de réduire le déficit public de 2,8% (si on se fie pour le calcul aux estimations du Bureau du Plan) ou de 2,1% (si on se fie aux chiffres du comité de Monitoring, qui est le groupe de fonctionnaires de divers ministères qui préparent les rapports avant chaque négociation budgétaire).
Un effet d’emballement
Lorsque l’on parle des finances d’un État, il y a en effet un mécanisme que l’on désire éviter à tout prix : c’est l’effet boule de neige. Dit simplement, c’est un emballement de la dette qui s’apparente à une boule qu’on laisserait rouler du haut d’une montagne et qui grossirait jusqu’à provoquer une catastrophe dans la vallée en contrebas.
La boule commence à rouler lorsque l’État n’a pas assez de recettes pour payer la charge d’intérêt sur sa dette. Il doit donc emprunter pour ce faire. C’est un peu comme si vous deviez conclure un nouvel emprunt avec votre banque pour financer le remboursement de votre crédit hypothécaire, puis conclure un an après un autre emprunt encore pour rembourser l’emprunt qui vous permet de rembourser votre crédit hypothécaire… On n’en sort plus.
Ces nouveaux emprunts générant de nouvelles dépenses d’intérêt, la dette publique s’emballe et grossit, grossit.
Pour mesurer la hauteur de la dette publique, on rapporte ces chiffres au PIB du pays, c’est-à-dire aux richesses qui ont été créées pendant un an. Cela donne une image du poids de la dette pour l’économie et cela inscrit le problème dans un contexte économique plus large : si l’endettement augmente moins vite que le PIB, c’est tout bon. L’endettement pèsera moins lourd sur les épaules de l’économie. Si en revanche la dette augmente plus vite que le PIB, on risque l’effet boule de neige.
Petite parenthèse : la menace d’un effet boule de neige est d’autant plus grande qu’un État se débat avec l’augmentation de sa dette sociale, qui est un endettement réel, mais caché. L’État a en effet des engagements en matière de retraites et de couverture sociale. Chez nous, les dépenses sociales (liées au vieillissement de la population) passeront de 24,5% du PIB en 2019 à 29,7% en 2049. Cela fait donc un effort de 5 points de PIB en plus à anticiper si on ne veut pas se retrouver dans l’avalanche.
La boule commence à rouler
Bref, on a beau être le « plat pays », notre paysage budgétaire est montagneux et nous voyons déjà la boule dégringoler sur la pente. Selon les estimations du Bureau du Plan reprises par le CSF, la dette publique, qui pesait 105% du PIB fin 2022, devrait, à politique inchangée, peser 119,1% en 2028. Le déficit public serait en effet chaque année compris entre 5,4% – 5,9% du PIB. La charge d’intérêt, qui pesait 1,5% du PIB en 2022, s’élèverait à 2,6% en 2028.
Le CSF a donc élaboré des scénarios pour faire passer le déficit public sous les 3% du PIB et stabiliser la dette aux alentours de 107% du PIB lors des trois prochaines années (2024-2026).
Les efforts dépendent évidemment du contexte économico-financier : l’évolution des taux d’un côté, l’évolution de la croissance économique de l’autre. Le CSF présente trois scénarios. Le plus doux se base sur les chiffres du Comité de Monitoring et nécessiterait un effort structurel cumulé de 2,1% du PIB (autrement dit 12 milliards d’économies), soit 0,7% par an d’effort supplémentaire. Les deux autres, qui se basent sur les prévisions un peu plus dures du Bureau du Plan, exigeraient un effort cumulé de 2,8% du PIB, soit 0,9% par an (la différence entre les deux trajectoires porte sur le moment de l’effort : dans un scénario, un effort plus important est demandé dès 2024. Dans l’autre, l’effort est réparti équitablement sur les trois années).
2024, mauvais timing
Et dans notre malheur … nous n’avons pas de chance. La mansuétude de l’Union européenne par rapport aux États très endettés touche à sa fin. Les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance qui chapeautent les politiques budgétaires des États de la zone euro reprendront vie dès le début de l’an prochain. C’est donc dès l’an prochain qu’il va falloir faire des efforts autrement plus importants que l’effort de 0,3% dégagé lors du dernier contrôle budgétaire de mars.
Or, 2024, pour ceux qui ne seraient pas abonnés aux comptes Twitter de Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez, c’est une année électorale. Vous en connaissez, vous, des partis qui iraient en campagne en annonçant gaiement des coupes claires dans les dépenses publiques ?
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