Pierre Wunsch : “Il y a peu de volonté politique pour remédier à la situation budgétaire de la Belgique”
A quelques heures des élections, en présentant les prévisions de l’institution, le gouverneur de la Banque nationale insiste à nouveau sur la très mauvaise trajectoire des finances publiques, et sur le relatif détachement du monde politique à cet égard.
La Banque nationale a publié ses prévisions de printemps ce vendredi. « Il n’y a pas de surprise dans ces projections, commente Pierre Wunsch. Elles sont pour la plupart en ligne avec nos projections précédentes ».
Une croissance de 0,3% par trimestre
En résumé, l’économie belge continuerait de croître à un rythme trimestriel proche de 0,3 %, avec une légère accélération à partir de 2026. La croissance annuelle serait donc de 1,2 % cette année, ainsi que l’an prochain, et accélérerait légèrement pour atteindre 1,4 % en 2026. La petite hausse en 2026 serait due à l’amélioration, relative, de notre position à l’exportation.
« Les exportations (en volume) ont diminué de manière substantielle en 2023, explique l’économiste de la BNB Geert Langenus. La raison essentielle est que le commerce mondial n’allait pas très bien. La situation va s’améliorer. Et nous allons également perdre moins de parts de marché et revenir à notre moyenne historique (une perte annuelle de part de marché de 0,8%) ». La raison de cette amélioration est que notre handicap concurrentiel, qui avait grandi en raison de l’indexation automatique des salaires intervenue au début de l’année 2023, va se réduire. Pour rattraper la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation, les salaires dans les pays voisins augmentent en effet plus vite que chez nous. « Donc le gâteau va devenir plus grand, et notre part de ce gâteau va se réduire moins qu’avant », résume Geert Langenus. Nous aurions donc, dans un an ou deux, une légère diminution de la consommation intérieure qui serait compensée par le fait que « la contribution des exportations nettes deviendrait progressivement moins négative, grâce au redressement de la compétitivité ».
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Bonne nouvelle aussi pour l’emploi. La création de jobs avait été très faible en 2023, mais reprendrait cette année et les années suivantes. La BNB prévoit 90.000 créations d’emplois entre 2024 et 2026, ce qui stabiliserait le taux de chômage aux alentours de 5,7% ou 5 ;8% de la population active.
Bonne nouvelle aussi du côté de l’inflation, qui serait encore de 3,9% cette année, mais décélèrerait ensuite, pour atteindre 2,4% l’an prochain et même tomber à 1,2% en 2026.
Toujours ce déficit structurel
Le gros point noir, en revanche, reste l’évolution de nos finances publiques. Selon la BNB, à politique inchangée, le déficit budgétaire se creuserait pour atteindre 4,8% cette année, 5,3% l’an prochain et 5,5 % du PIB en 2026, tandis que le taux d’endettement continuerait également d’augmenter, dépassant les 110 % du PIB la même année.
Comment expliquer la détérioration, à politique inchangée, de nos finances publiques. Et cela malgré le fait que, cette année, la fin des mesures temporaires liées à la crise énergétique et à l’invasion de l’Ukraine devrait avoir un impact positif de 0,4% du PIB ?
Deux grandes raisons expliquent la détérioration : les coûts liés au vieillissement de la population continueront d’augmenter régulièrement. Cela se traduit par une augmentation des dépenses de pension (0,3 % du PIB) et une hausse des dépenses de santé (0,2 % du PIB). Et puis, les charges d’intérêt sur la dette publique continueront également à augmenter légèrement, de 0,2 % du PIB. A cela s’ajoute le fait que l’indexation automatique des dépenses publiques sera supérieure à l’indexation des salaires du secteur privé en 2024.
Certes, Pierre Wunsch, à quelques heures des élections, s’est bien gardé de donner des commentaires politiques. Mais il n’a pu s’empêcher de reprendre le chiffrage des programmes politiques effectué par le Bureau du Plan. « La dynamique de la campagne électorale n’est pas très favorable en matière d’engagement à réduire le déficit. Dans le tout meilleur des cas, un parti politique ramènerait le déficit en 2029 à 3,6%, ce qui n’est probablement pas suffisant au regard des règles européennes ni pour stabiliser la dette, même si cela dépend de la croissance nominale. Mais certains partis se sont franchement lâchés ». Selon le Bureau du Plan, certains programmes amèneraient un déficit de 7% du PIB, voire davantage.
Pierre Wunsch poursuit : « Le message, comme c’est malheureusement le cas depuis des années, est que l’on constate la dégradation systématique du budget public mais aussi le peu de volonté des partis politiques pour y remédier. Même ceux qui proposent un effort ne proposent pas un effort suffisant, non seulement au regard des règles européennes mais aussi pour reconstituer des marges pour faire face aux chocs à venir. »
Logique politique, logique économique
Le gouverneur de la BNB, ajoute que la logique politique est assez différente de celle des économistes qui « ont tendance à regarder l’avenir et faire toute une série de recommandations sur ce que nous devrions faire dans un monde idéal. Mais la logique politique consiste à regarder le moins possible loin devant, parce que cela n’intéresse personne dans un paysage politique qui est assez balkanisé . Il y a donc une tension entre cette réalité politique qui pousse vers le court terme et les recommandations par rapport essentiellement au vieillissement de la population. Et encore, nous parlons très peu des dépenses militaires ou de celles relative à la transition de notre économie. Le gros morceau reste les dépenses de population dont on parle quand même depuis 30 ans ».
A cela s’ajoute désormais la hausse des taux, qui pèse sur le budget. « A terme, nous allons devoir faire quelque chose. Le meilleur des cas serait de l’anticiper. Mais on ne peut pas exclure complètement que l’on attende d’être face à un mur et d’être confronté à une sanction du marché ou une sanction européenne », avertit Pierre Wunsch.
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