Pierre Wunsch (BNB) : “Il n’y a plus de marge salariale” en Belgique

Pierre Wunsch. © BELGA MAG/AFP via Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le Conseil central de l’économie devrait fixer pour les deux ans qui viennent la norme salariale, à savoir la marge d’évolution des salaires (hors inflation). Mais selon la Banque nationale, la marge est quasiment nulle.

La Banque nationale a publié ses dernières projections économiques. Rien de surprenant, sinon des légères corrections par rapport aux prévisions de juin : désormais, la BNB table sur une croissance de 1% tout rond cette année, 1,2% en 2025, 1,4% en 2026 et 1,2% en 2027. Des projections légèrement plus basses qu’en juin.

Si la croissance est revue en peu à la baisse, l’inflation, elle est corrigée à la hausse, en raison d’une part d’une sous-estimation de l’évolution des prix, avoue la BNB, mais aussi de mesures politiques, comme la hausse des chèques services, notamment en Flandre, et la modification de leur traitement fiscal qui a automatiquement fait grimper les prix des services rétribués par ce moyen.

Marge zéro

Dans un tel contexte, d’inflation élevée, il ne devrait pas y avoir de marge pour une hausse conventionnelle des salaires, soulignent le gouverneur de la BNB Pierre Wunsch et l‘économiste de l’institution Langenus. Cela non seulement parce que la croissance des coûts salariaux horaire devrait être l’an prochain de 3,5%, alors qu’en juin la banque tablait sur moins de 3%. Mais aussi parce que les estimations de l’évolution des salaires dans les pays voisins sont revues à la baisse. L’un dans l’autre, le gap salarial est donc de près de 1% de plus qu’anticipé. « Sur la base des perspectives actuelles, l’écart de coûts salariaux actualisé devrait donc se réduire sur l’horizon de projection et devrait rester non négligeable en 2027 », estime la BNB. « Evidemment, ajoute Pierre Wunsch, ce n’est pas nous qui calculons le chiffre officiel de l’écart salarial, c’est le Conseil central de l’économie. Mais sur la base de nos calculs, nous ne voyons pas de place pour une marge salariale », commente Pierre Wunsch

La position allemande n’est pas tenable

Les perspectives économiques des mois qui viennent seront influencées par ce que fera ou ne fera pas le nouveau président américain Donald Trump. Et là, on est dans le flou. « Nous avons coutume de dire, quand nous présentons nos projections, que l’incertitude n’a jamais été aussi grande. Mais cette fois-ci, c’est vrai, souligne Pierre Wunsch. » Toutefois, deux réflexions du patron de la BNB méritent qu’on s’y arrête.

La première concerne l’Allemagne. « L’Allemagne affiche avec un surplus de la balance courante de 5 à 6 % du PIB, et dans le contexte géopolitique actuel, ce n’est pas vraiment tenable, assène le gouverneur de la BNB. La norme dans nos pays développés est que l’industrie représente un bon 10 % du PIB. En Allemagne, on est à peu près pratiquement en double, dit-il. Or, les Allemands ne consomment pas plus de biens industriels que chez nous. Cela signifie qu’ils ont structurellement presque 10 % de leur PIB qui est exporté vers le reste du monde. Et ça, dans le monde actuel où politiquement chacun veut défendre son industrie, c’est devenu un problème. Alors imaginons qu’on mette des tarifs sur l’Europe, des tarifs sur l’Europe, ce sera essentiellement parce que l’Allemagne a  un surplus de la balance courante important. » Et Pierre Wunsch ajoute : « cela risque de créer potentiellement des discussions un peu compliquées en Europe ».

Un taux de change salvateur ?

La question est de savoir quels tarifs douaniers seront imposés à l’Europe si Donald Trump met ses menaces de guerre commerciale à exécution. Le président américain a dit vouloir imposer des tarifs douaniers de 10%. Et dans ce contexte, «  la variable probablement la plus importante à regarder en la matière est le taux de change, observe Pierre Wunsch. Le taux de change (Euro-dollar, NDLR) va-t-il absorber un peu, beaucoup ou presque tous ces changements en matière de commerce international ? demande-t-il. Certains, dont Martin Wolff (l’économiste du Financial Times, NDLR), que j’ai tendance plutôt à suivre, disent que le taux d’épargne négatif américain, c’est quelque chose de très structurel, qui répond peu aux modifications des prix et des tarifs. Et dès le moment où les Américains consomment plus qu’ils ne produisent, et comme leur économie est déjà probablement assez proche de ses limites de capacité de production,, le taux de change devrait absorber une grosse partie du choc. C’est un petit peu ce qu’on a vu aussi lorsque le président Trump avait imposé lors de son premier mandat des tarifs vers la Chine. Il y avait eu  un déplacement du commerce international ou des exportations chinoises, qui passaient par le Mexique, le Canada ou le Vietnam. Mais finalement, il n’y a pas eu de baisse très importante du déficit courant américain. Si nous regardons le taux de change euro/dollar, on voit que l’euro s’est déjà déprécié de 5 %. Si on imagine un tarif de 10 % en moyenne sur l’Europe, et s’il y avait encore et  l’impact sur la croissance en Europe serait moindre ».

Un assainissement radical s’impose

Pierre Wunsch a également abordé, comme à chaque présentation, la thématique des finances publiques. Et là, dit-il, « rien de nouveau sous le soleil. Un assainissement radical s’impose. » Plus précisément, pour 2025, le déficit public, à politique inchangée, devrait être de 4,8%, contre 4,6% cette année. On pourrait se dire que finalement, l’aggravation n’est pas importante, mais elle s’explique par le recul de l’âge de la pension, qui entre en vigueur l’an prochain et qui allège donc un peu les comptes de la sécurité sociale. Cette mesure  est toutefois un « one shot ». Le dérapage devrait s’aggraver par la suite, avec, à politique inchangée, un déficit de 5,5% du PIB en 2026 et de 6,1 en 2027.

« Sur la manière de réaliser l’assainissement, cela relève de choix politiques, poursuit Pierre Wunsch». Si l’on suit les règles budgétaires européennes, et si notre pays peut réaliser cet assainissement sur sept ans plutôt que quatre, comme le permettent les nouvelles règles budgétaires européennes, nous devrions réaliser un assainissement de 0,5% du PIB par an pour être dans les clous. C’est faisable. « Dans nos hypothèses, on peut penser qu’absorber le choc d’un point de vue macroéconomique ne va pas créer des dégâts, notamment sur le plan social, trop importants, ajoute Pierre Wunsch qui avoue toutefois que c’est un exercice compliqué parce que le gâteau n’augmente plus au rythme qui permettrait ces hausses de dépenses ». Et Pierre Wunsch ajoute : « Cela montre  que ceux qui plaident pour une décroissance ont tendance, je pense, à être un tout petit peu naïf quant à ce que ça pourrait impliquer en termes de difficultés pour faire face aux défis qui s’offrent à nous : climat, défense, vieillissement … Avoir un peu de croissance pour mettre de l’huile dans ses rouages et faciliter l’accord politique, je crois que ça reste un élément important. »

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