Philippe Defeyt : «Le gouvernement réduit la probabilité pour un exclu du chômage de trouver un emploi»

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

L’économiste Philippe Defeyt (Institut pour un développement durable) n’est pas tendre à l’égard du dernier accord gouvernemental, qui, en favorisant les heures supplémentaires, les flexi jobs et le travail étudiant, soutient ceux qui ont déjà un emploi, au détriment de ceux qui en cherchent.

Dans le dernier accord gouvernemental arraché lundi avant le départ en vacances, le gouvernement a décidé notamment de plusieurs mesures destinées à dynamiser le marché de l’emploi. Mais alors que l’objectif général du gouvernement est que le pays atteigne 80% de taux d’emplois, et mette donc les inactifs et les chômeurs au travail, plusieurs mesures importantes vont dans le sens contraire, observe l’économiste Philippe Defeyt.

Trois mesures phares

« Ce qui saute aux yeux en matière d’emploi c’est que trois mesures phares (heures supplémentaires, régime fiscal des pensionnés qui travaillent, développement des flexi jobs avant la pension) concernent ceux qui ont déjà un travail et n’auront pas d’impact sur le taux d’emploi, observe-t-il. Il s’agit d’une vision, fréquente, de favoriser – de facto ou intentionnellement – les « in » (les insiders, ceux qui ont un emploi ; NDLR) au détriment des « out » (les outsiders, ceux qui n’ont pas d’emploi, NDLR) ».

Certes, ajoute Philippe Defeyt, « il faut être tout à fait honnête comme économiste : si l’on supprimait demain toutes les  heures supplémentaires, ce n’est pas pour autant que toutes ces heures se transformeraient en nouveaux emplois ».  Tout économiste sait bien que le gâteau de l’emploi peut gonfler et que la répartition des heures de travail – entre catégories d’âges, entre temps pleins et temps partiel, entre catégories d’emplois (emplois “normaux”, intérims, flexi jobs, heures supplémentaires…) – n’est pas figée. « Mais toutes choses égales par ailleurs, la probabilité pour un exclu du chômage de trouver un emploi diminue, d’autant que la demande en travail intérimaire se contracte en faveur de formes d’emplois (flexi jobs, jobs étudiants) ou d’heures de travail (heures supplémentaires) qui, par définition, ne lui sont pas accessibles », dit-il.

 « Prenons l’exemple d’une entreprise qui emploierait trois personnes en flexi-jobs pour effectuer des travaux de consultance ou de comptabilité. On peut penser que dans certaines circonstances, ces flexi-jobs remplaceraient d’autres jobs qui pourraient être occupés par des personnes à la recherche d’un emploi ».

On n’aide ni le budget, ni l’emploi

De même, augmenter la population active en allongeant la durée de carrière peut avoir, à terme, un impact positif net sur l’emploi, en créant une dynamique sur le marché du travail. Mais à court terme, c’est l’effet inverse. On augmente le nombre de convives, mais le gâteau reste à la même taille. « Comme l’ont montré les travaux du Bureau fédéral du Plan et du Comité d’étude sur le vieillissement, à court terme (cet allongement du temps de carrière) se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une augmentation du taux de chômage », rappelle Philippe Defeyt.

« Les déclarations politiques depuis la campagne électorale jusqu’à aujourd’hui, disent qu’il faut augmenter le taux d’emploi parce que cela facilite les équilibres budgétaires. Et en même temps, on prend des mesures qui ne vont pas aider à l’équilibre budgétaire – puisqu’on défiscalise une série d’emplois ou d’activités-, et qui ne vont pas augmenter le taux d’emploi ! »

On pourrait rétorquer que ces mesures sur le travail étudiant, les flexi jobs et les heures supplémentaires, ne touchent qu’une partie marginale du marché du trail. Mais Philippe Defeyt réfute l’argument : « les flexi-jobs et le travail étudiant représentent plus de 3 % des heures totales de travail », dit-il.

Des facteurs d’iniquité

L’économiste estime en outre que ces mesures favorisant les insiders au détriment des outsiders posent des problèmes d’équité.

D’abord en organisant, dixit Philippe Defeyt, « une concurrence stupide entre formes d’emplois », qui va à l’encontre même des principes libéraux qui visent à organiser un « level playing field » pour tous les secteurs d’activité. « Pourquoi toujours des régimes favorables pour l’Horeca? Comme si cela allait sauver la Belgique de ses problèmes économiques et de compétitivité?  D’autant que ces mesures deviennent  très coûteuses, et ne font  jamais l’objet d’une évaluation ».

Par ailleurs, ajoute Philippe Defeyt, ces mesures instaurent aussi une inégalité fiscale. « Imaginons  deux personnes qui ont le même revenu brut, mais l’une au travers d’heures supplémentaires et l’autre parce qu’elle a un salaire un peu plus élevé. Une des deux serait moins taxée que l’autre . Dans certaines situations et à revenu égal, pourquoi un pensionné qui travaille devrait-il être moins taxé que celui qui n’a pas d’autres revenus qu’un salaire ? Pourquoi une heure supplémentaire dans n’importe quel emploi devrait-elle être défiscalisée et pas l’heure de nuit d’une infirmière aux urgences ? Pourquoi supprimer le crédit d’impôt dont bénéficient les chômeurs et pas celui dont bénéficient les pensionnés ? », interroge Philippe Defeyt qui critique la multiplication de ces régimes fiscaux dérogatoires au détriment d’une fiscalité simple et juste.

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