Philippe Defeyt: “En voulant n’indexer que le salaire net, on met le doigt dans une mécanique incroyable”
Une réforme de l’indexation automatique des salaires qui consisterait à n’indexer que le salaire net entraînerait de multiples conséquences, sur les allocations de chômage, les pensions, avertit l’économiste Philippe Defeyt.
Si l’on en croit la rumeur, une des propositions faites par le formateur Bart De Wever aux candidats de la prochaine coalition consiste à réformer notre système d’indexation automatique des salaires, afin de réduire le poids que celui-ci fait peser sur les entreprises. La solution consisterait, sans plus de précision, à n’indexer que le salaire net.
« A priori, note l’économiste Philippe Defeyt, cette piste présente des avantages politico-socio-économiques évidents : les travailleurs gardent leur pouvoir d’achat, rien d’équivalent donc à un saut d’index, et les employeurs voient le coût salarial diminuer à prix constants à chaque indexation ». Mais, ajoute Philippe Defeyt, « cette proposition, d’apparence simple, met en branle et secoue, par ses conséquences directes et indirectes, tout notre système de redistribution des revenus, avec des conséquences insoupçonnées ».
Des effets sur les prestations sociales
Interrogé par Het Laatste Nieuws, Geert Vermeir, responsable juridique du secrétariat social SD Worx estime lui aussi que la mise en place d’une telle réforme serait bien plus complexe qu’elle n’en a l’air. « Supposons que vous gagniez 3.000 euros brut et qu’il vous reste 1.800 euros net. Si vous percevez 2% sur votre salaire brut lors d’une indexation automatique, vous toucherez 3.060 euros brut. Toutefois, votre salaire net n’augmentera pas de 2 %. Vous recevrez environ 1.820 euros net, soit 20 euros de plus qu’avant indexation ». Et il ajoute : « Le pécule de vacances, la prime de fin d’année et la pension sont calculés sur le salaire brut, tout comme le montant des indemnités de chômage et des indemnités de maladie. Si le salaire brut n’augmente pas autant qu’avec l’indexation traditionnelle des salaires, cela aura des conséquences sur les prestations de sécurité sociale ».
« Cette solution qui apparaît facile met en réalité le doigt dans une mécanique incroyable, observe Philippe Defeyt. Nous avons construit un système absolument dingue avec des interactions que la plupart des gens ne voient pas, et que parfois le législateur lui-même ne voit pas non plus, et qu’il faut corriger au fur et à mesure. Et avec cette proposition, on risquerait d’aggraver encore un peu plus cette complexité et ce manque de lisibilité ».
Un coup de pouce de 7 milliards
Ne pas indexer les salaires bruts, et donc les cotisations sociales, serait une aide substantielle aux entreprises. Avec une inflation de 2% par an, l’économiste estime que la réduction des charges, pour les entreprises, serait de l’ordre de 7 milliards d’euros en 2029. Mais évidemment, c’est de l’argent qui ne va pas remplir les caisses de l’État, à un moment critique pour les finances publiques.
« Le salaire brut, souligne Philippe Defeyt, est ce à quoi beaucoup de personnes ne pensent pas. Le revenu qui sert de référence à une série de droits, par exemple avoir droit ou non au statut de BIM, au tarif social électrique, etc… est le revenu imposable, qui est la seule référence. La non-indexation du salaire brut implique une non-indexation des allocations de chômage puisque celles-ci sont (avec un plancher et un plafond) calculées en pourcentage du dernier salaire ; il en va de même pour les autres allocations dont, à terme, les pensions. De ce fait l’écart entre le salaire net et l’allocation de chômage augmente, l’écart entre le revenu d’intégration et l’allocation de chômage diminue, l’allocation minimale devient en 2028 supérieure à l’allocation de chômage (si l’on se base sur la règle d’une allocation équivalent à 60% du dernier salaire). »
De Wever machiavélique ?
Par cette proposition, « on rapproche progressivement tous les niveaux de revenu, remarque Philippe Defeyt, mais en particulier en bas de l’échelle. On rapproche le net du brut, donc le coin fiscal diminue. Mais là où cela devient d’une complexité folle, c’est que vous avez des cotisations sociales qui évoluent de manière linéaire, mais pas le bonus emploi, les barèmes et les bonus fiscaux, etc. »
Philippe Defeyt n’exclut pas un « certain machiavélisme de la part du formateur. Il faut être fort, dit-il, pour, à la fois, réduire les allocations sociales, et donc contribuer à la réduction de la charge financière des pensions, augmenter l’écart entre les salaires nets et les revenus de remplacement, comprimer encore plus les minima sociaux aux environs du revenu d’intégration, ne demander aucun effort particulier aux salariés aux revenus élevés, satisfaire les employeurs, rendre une marge de manœuvre de croissance des salaires, en particulier dans les secteurs riches, avec une mesure que beaucoup d’électeurs pourraient trouver sympathique puisqu’elle garantit leur pouvoir d’achat ».
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