“On ne se donne plus les moyens de mener une politique agricole européenne”

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Alors que les accords du Mercosur vont arriver au Conseil et au Parlement européens, et que le prochain cadre budgétaire de la Politique agricole commune est en discussion, Benoit Haag et Daniel Coulonval, respectivement secrétaire général et président de la FWA, la fédération wallonne de l’agriculture, qui regroupe 4.000 agriculteurs wallons, font part de leur inquiétude.

Au niveau européen, le grand sujet de la fin de l’an dernier était le Mercosur, l’accord de libre-échange finalement signé par la Commission européenne et plusieurs pays latino-américains, dont un poids lourd agricole, le Brésil. « La Commission a signé l’accord, mais il doit encore être validé par le Conseil et le Parlement européen », rappelle Benoît Haag qui ne s’attend pas à beaucoup de mouvement avant la Présidence danoise de l’Union, qui prendra cours au deuxième semestre de cette année.

« Nous restons très vigilants, dit-il. On sait que ça va être compliqué d’avoir une minorité de blocage (qui doit se composer d’au moins quatre Etats membres, représentant plus de 35 % de la population européenne, NDLR) pour éviter l’entrée en vigueur de l’accord. Parce que les seules réponses ou éléments partiels de réponse que nous avons obtenus sur le texte depuis qu’il a été signé ne sont pas rassurants ». Benoit Haag souligne l’incohérence entre les objectifs européens ; notamment du Green Deal, et cet accord de libre-échange. « On nous demande à la fois de faire beaucoup mieux, beaucoup plus propre, en tenant davantage compte des défis environnementaux, sociaux et sociétaux dans la production européenne. Et en même temps, on accepte des productions sur lesquelles on n’a aucun moyen de contrôle sur ces aspects-là qui viennent en plus de l’autre côté du monde ».

FCO et IBR

L’autre gros dossier qui s’est invité dans le monde agricole, c’est celui de la fièvre catarrhale, la FCO. « Une série de mesures ont été mises en place, avec un soutien financier au niveau wallon et l’organisation du cadre de la vaccination au niveau fédéral, rappelle Benoit Haag. Mais nous allons traîner les conséquences de la FCO pendant des mois, voire des années. »

« Il y a trois soucis majeurs, enchaîne Daniel Coulonval. Le premier est la décroissance immédiate du cheptel, en raison des veaux mort-nés ou mal formés. Deuxièmement, le veau génisse mort aujourd’hui, c’est une vache en moins dans deux ans. Il faudra donc voir quelles seront les conséquences à termes de cette baisse du cheptel. Et troisièmement, nous éprouvons une très grande difficulté à nous approvisionner en vaccins. Les laboratoires, les grossistes, les pharmaciens ne suivent pas. La mise à l’herbe débute le 15 mars. Donc les délais sont très courts pour pouvoir mettre une prévention en place ».

Un autre problème sanitaire, c’est le plan de lutte sur ce qu’on appelle l’IBR (la rhinotrachéite infectieuse bovine, ajoute le président de la FWA, qui gère lui-même une exploitation. « Depuis quelques semaines, on observe des recontaminations sauvages. Les éleveurs sont vraiment très inquiets », dit-il.

Gestion des risques

Ces épisodes sanitaires, de même que l’interrogation qui pèse encore sur le fait de savoir si les agriculteurs seront ou non indemnisés par le fonds de calamités régional pour les dégâts causés par les fortes pluies de l’an dernier, tout cela « met en lumière le manque de gestion des risques en agriculture », poursuit le président de la FWA.

 « Au début de la politique agricole commune, la gestion des risques constituait un élément majeur, poursuit-il. Il y avait cette volonté d’assurer en quantité suffisante et de manière normale l’approvisionnement alimentaire. Au fur et à mesure du temps, le filet de sécurité, les fonds de sécurité, tous les éléments qui pouvaient plus ou moins amortir des situations difficiles, ont été supprimés, et les budgets de la PAC ont été fortement réduits. Tout ce qui avait été mis en avant pour garantir une alimentation de qualité aux citoyens européens est en train de voler en éclats. La cerise sur le gâteau est l’accord Mercosur. Que veut l’Europe pour son agriculture ? Je pense qu’on est encore loin d’avoir une réponse claire et satisfaisante. »

« Les marchés agricoles sont de plus en plus volatiles à cause des changements climatiques, à cause de l’environnement géopolitique de plus en plus compliqué, observe encore Benoit Haag. Cela conduit à des recettes plus volatiles. Parallèlement, en raison de l’inflation et des effets de la hausse des prix de l’énergie, nous faisons face à une  augmentation structurelle des charges. En revanche, la tendance structurelle des aides de la PAC est à la baisse. On nous annonce pour la suite (les discussions pour le futur cadre budgétaire 2028-2035 ont commencé, NDLR) au mieux un maintien du financement au même niveau qu’aujourd’hui. C’est tout à fait insuffisant, car entre temps, il y a l’inflation, de nouveaux besoins, de nouveaux défis à relever, environnementaux ou autres. On ne sait plus se donner les moyens des politiques qu’on veut mener pour l’agriculture au niveau européen ».

Pratiques déloyales

Un point positif est la transposition en droit belge de la directive européenne qui vise à combattre les pratiques déloyales dans la chaîne d’approvisionnement agricole. Depuis le mois d’octobre 2024, un certain nombre de pratiques sont en théorie bannies, comme contraindre les agriculteurs à vendre à perte . « Nous avons la volonté de travailler avec le SPF Économie sur cette matière pour qu’à tout le moins nos coûts de production puissent être rencontrés, note Benoît Haag. Parce que c’est là le véritable défi dans nos exploitations agricoles : lorsque la vente de nos produits ne permet pas de couvrir les charges, nous sommes forcément en déficit ».

Benoit Haag rappelle que le revenu moyen d’un agriculteur wallon, en 2023, ne représentait que 60% du revenu moyen des travailleurs des autres secteurs. « Pour pouvoir travailler convenablement, la logique serait d’être à 100 %  et même à 120% pour que nous puissions avoir les moyens de rencontrer les défis climatiques de demain », dit-il. 

Ce problème de revenus, qui était d’ailleurs au cœur du Congrès que la FWA a tenu voici quelques jours, est une des grandes raisons pour lesquelles la relève agricole est difficile. « Il faut réfléchir sur le mode d’installation des jeunes en agriculture, sur la transmission intrafamiliale telle qu’on la connaît et qui  soulève beaucoup de questions, explique Daniel Coulonval. Comment transmettre une ferme qui est en indivision, faut-il s’installer en personnes physiques ou en personnes morales? Le foncier doit-il obligatoirement accompagner la partie immobilière de la ferme?

Si on apprend aux agriculteurs l’agronomie, on ne leur apprend pas forcément comment ils doivent s’installer », ajoute le président de la FWA, qui indique aussi que pour une profession où la moyenne d’âge est de 58 ans, les défis de la digitalisation forcée (facture électronique, déclaration fiscale électronique, etc..) sont parfois difficiles à relever, surtout pour ceux qui habitent dans des zones difficilement couvertes par les fournisseurs d’accès à internet.

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