On dit merci aux consommateurs

Les Belges ont réappris avec enthousiasme à consommer des services dont ils avaient été privés lors de la pandémie. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Aidés par l’indexation automatique des salaires, les aides de l’Etat, le radoucissement des prix de l’énergie et un marché de l’emploi tonique, les consommateurs ont ouvert leur portefeuille.

Notre économie aura au final terminé l’année sur une croissance de 3,1% et devrait, selon les prévisions de la Banque nationale (BNB) présentées voici quelques jours par le gouverneur Pierre Wunsch, éviter la récession cette année. La BNB n’a pas donné de nouvelles estimations pour cette année, mais l’OCDE table sur une croissance de 0,5% en 2023, et de 1,1% en 2024. Un ralentissement, donc, mais pas une récession, et cela malgré la succession de chocs que nous avons subis.

Comment expliquer cette résilience? Par l’emploi et les consommateurs, répond Pierre Wunsch: “La consommation privée et la création d’emplois ont permis d’éviter une récession, dit-il. Les consommateurs ont en partie puisé dans l’épargne qu’ils avaient mise de côté pendant la pandémie. L’indexation automatique des salaires et les mesures de soutien énergétique ont largement protégé le pouvoir d’achat.”

En fait, la crise a surtout été portée par l’Etat et les entreprises. Dans tous les secteurs d’activité, les marges ont reculé mais ce recul est particulièrement sensible dans le secteur de la viande, des supermarchés et de la chimie. Mais si nous ne sommes pas tombés en croissance négative, c’est grâce aux ménages. Regardons cela de plus près…

Merci les consommateurs

La consommation privée, c’est le poste le plus important qui représente à lui seul une bonne moitié du PIB. Or, l’an dernier, la consommation privée a augmenté de 4,1%. Pas étonnant, donc que la croissance totale du PIB ait été de 3,1%. Et les ménages ont également aidé à l’activité en rénovant leur maison: en 2022, les investissements résidentiels ont progressé de 2,1%, essentiellement portés par un très bon premier trimestre. A l’inverse, les investissements des entreprises, qui équivalent à quelque 20% du PIB, se sont contractés de 2,1%. C’est aussi le cas des investissements des administrations publiques, qui se sont repliés de 6,7%, tandis que la consommation publique a augmenté de 1,4%, souligne la BNB.

Voir aussi la vidéo de Canal Z : La Belgique évite la récession

Pourquoi la consommation est-elle restée dynamique? L’explication générale est que l’on a réussi à préserver le pouvoir d’achat et à maintenir la confiance des consommateurs. Préservation grâce, tout d’abord, à l’indexation automatique des salaires, même si elle vient après coup. Pour un tiers des travailleurs du privé, l’indexation des salaires n’est en effet intervenue que cette année.

Néanmoins, les chiffres de la BNB montrent que les revenus disponibles bruts des ménages avaient déjà bondi de 7,9% l’an dernier. Cette hausse est due à “d’autres types de mesures de soutien (que l’indexation automatique, Ndlr) comme la réduction des prix de certains biens, notamment au travers d’une réduction de la TVA, ou des aides spécifiques en fonction du niveau de revenus des ménages, complètent l’indexation et apportent une aide potentiellement plus directe”. Les aides des pouvoirs publics ont également eu un effet positif: les transferts reçus du secteur des administrations publiques ont sensiblement progressé (ils affichent une hausse de 7,5%), entre autres sous l’effet des différentes aides octroyées aux ménages dans le cadre de la crise énergétique.

Ajoutons aussi que certains ménages sont également allés puiser dans leur épargne pour consommer. Le taux d’épargne des ménages rejoint ses niveaux d’avant-crise. Il est retombé à 12,9%, alors qu’il était de 20,5% en 2020 et de 17% en 2022.

Un marché de l’emploi record

Et puis, last but not least, un dernier élément explique la progression des revenus et donc de la consommation: c’est la santé du marché de l’emploi. Les deux années que nous venons de vivre, 2021 et 2022, ont été exceptionnelles. Après avoir créé 90.000 emplois en 2021, notre économie a remis le couvert et créé 101.000 jobs de plus, une performance qui n’avait jamais été observée depuis que ces statistiques existent, soit en 1953.

Avec une création nette de 200.000 emplois en deux ans, et sans doute encore quelques milliers cette année (nous n’atteindrons toutefois plus les records de 2020 et 2021), nous sommes, comme le souligne Pierre Wunsch, très éloignés de la configuration qui prévalait lors des deux chocs pétroliers des années 1980. Presque tous les secteurs d’activité, à l’exception de la finance et de l’agriculture, ont créé des jobs l’an dernier.

Un bémol: les disparités régionales. “Le taux d’emploi de la Flandre, qui est le plus élevé (76,6%), a encore progressé de 1,3 point de pourcentage. Celui de Bruxelles s’est quant à lui renforcé de 3 points de pourcentage, mais il n’atteint toujours que 65,2%. En Wallonie, 65,6% des personnes en âge de travailler ont un emploi, soit un pourcentage à peine supérieur à celui observé en 2021”, observe la BNB.

Les services en première ligne

L’économie a donc été soutenue par l’appétit de consommation des ménages. Des ménages qui ont réappris avec enthousiasme à consommer des services dont ils avaient été privés lors de la pandémie. Ainsi, le secteur des services (voir le graphique ci-dessous) est le seul à contribuer à la croissance au second semestre. On le voit d’ailleurs dans les créations d’emplois.“Les hausses les plus significatives ont été enregistrées dans l’information et la communication ainsi que dans les activités culturelles et récréatives et les autres services. La branche du commerce, des transports et de l’horeca, qui occupe un travailleur sur cinq, a renoué avec une forte expansion en 2022, après une année 2021 plus terne”, souligne la BNB.

© National

Dans les autres secteurs, le paysage est plus contrasté, ajoute la banque. “L’industrie a désormais compensé les pertes d’emplois de 2020 grâce à une création d’emplois plus robuste, qui n’avait pas encore été observée en 2021. Le secteur de la construction s’est redressé plus modestement qu’en 2021, notamment en raison de l’accélération des prix, des problèmes d’approvisionnement et des pénuries sur le marché du travail auxquels il est confronté.”

On ajoutera que la résistance de notre économie a également été aidée par la progressive normalisation des chaînes d’approvisionnement et aussi par l’accalmie des prix de l’énergie. Les prix du gaz ont retrouvé leur niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine. “

Nous avons gagné la première guerre du gaz”, s’est réjoui Pierre Wunsch. Mais attention, l’avenir est incertain: si notre économie s’est montrée plus résiliente que prévu, elle n’est pas non plus hyper tonique. Les problèmes à résoudre sont nombreux: la perte de compétitivité causée par l’indexation automatique des salaires, la faible activation d’une partie de la population (surtout en Wallonie), le manque de main-d’œuvre, la maigreur des gains de productivité, la question énergétique (non seulement le coût des énergies fossiles plus élevé qu’avant, mais aussi le coût de la transition), sans parler des finances publiques, tout cela constitue des défis qu’il faudra relever si nous voulons continuer à croître et embellir.

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