Carte blanche
Nucléaire: Ecolo gagne et tous les Belges perdent
Et voilà! Devant l’indécision coupable de nos autorités, Engie a pris les devants et jeté l’éponge en annonçant le 28 février, par la voix de sa patronne Catherine MacGregor: “Suite à l’annonce du gouvernement belge au quatrième trimestre 2020, il a été décidé de stopper tous les travaux de préparation qui aurait permis une prolongation de 20 ans de deux unités au-delà de 2025, dans la mesure où il semble peu probable qu’une telle prolongation puisse avoir lieu compte tenu des contraintes techniques et régulatoires”.
Croyez-vous vraiment que c’est à cause “des contraintes techniques et régulatoires”, alors qu’aux Pays-Bas la centrale nucléaire de Borssele, démarrée 12 ans avant celles de Tihange 3 et Doel 4, a vu sa durée d’exploitation portée de 40 à 60 ans? Et qu’aux Etats-Unis quatre réacteurs de la même génération que nos premières centrales nucléaires ont bénéficié d’une prolongation de leur durée de vie de 40 à 80 ans!
Non, la vraie raison c’est qu’il y a une loi de sortie du nucléaire, reconfirmée dans l’Accord de Gouvernement, et que le délai imposé pour la mise à niveau souhaitée des centrales de Tihange 3 et Doel 4 n’est pas tenable. Il serait pourtant facile de le prolonger d’un an pour que tout le monde y gagne.
L’attitude d’Engie est compréhensible, même si ce n’est sûrement pas de gaieté de coeur qu’Engie a acté dans ses comptes une dépréciation de 2,9 milliards d’euros de ses actifs nucléaires.
Il faut savoir qu’entre 2008 et 2019, les producteurs d’électricité actionnaires des centrales de Doel 3 et 4 et Tihange 2 et 3, se sont vu imposer des taxes s’élevant à 3,3 milliards d’euros auxquelles s’ajouteront jusqu’en 2026 une “contribution de répartition” fixée à 38% de la marge de profitabilité des centrales nucléaires.
Plutôt que de voir l’Etat ponctionner ses bénéfices et d’être perpétuellement en butte aux sentiments anti-nucléaires des parlementaires Ecolo-Groen, Engie préfère logiquement construire des centrales à gaz subsidiées par l’Etat via le mécanisme de rémunération de capacité. Puisque l’Etat belge au lieu d’appliquer le principe du “pollueur-payeur” a décidé d’appliquer le principe du “pollueur-subsidié”, pourquoi ne pas en profiter? Et si le prix de l’électricité augmente encore plus à l’avenir, ce seront les Belges qui le paieront via leur facture électrique ou leurs impôts.
Personne de bonne foi ne peut contester le fait qu’en ne prolongeant pas l’exploitation des centrales de Tihange 3 et Doel 4 au-delà de 2025:
- les émissions de CO2 par le secteur électrique belge vont croître et nous serons le seul pays d’Europe dont la production d’électricité augmentera ses émissions de CO2 par rapport à aujourd’hui; mais ce n’est pas de la responsabilité d’Engie,
- la sécurité d’approvisionnement du pays sera diminuée; mais ce n’est pas de la responsabilité d’Engie,
- l’effet sur notre balance des paiements sera négatif; mais ce n’est pas de la responsabilité d’Engie.
Personne de bonne foi ne peut prétendre que prolonger l’exploitation des centrales de Tihange 3 et Doel 4 au-delà de 2025 empêcherait la réalisation de tous les projets éoliens et photovoltaïques prévus d’ici 2030.
Nous sommes tous pour le développement des énergies renouvelables et pour les économies d’énergie. Nous sommes nombreux à souhaiter le développement des voitures électriques, des pompes à chaleur, et des applications énergétiques de l’hydrogène, ce qui entraînera inévitablement une augmentation de notre consommation d’électricité. Faire dépendre celle-ci de façon systémique de 10 à plus de 20% des importations est irresponsable. Rien ne permet de garantir qu’en hiver, quand il n’y aura pratiquement pas d’électricité photovoltaïque, nos voisins français, allemands et hollandais seront exportateurs d’électricité en 2030 et au-delà.
Le développement de l’électricité d’origine solaire pourrait devenir majeur si nous pouvons disposer, d’ici 15 à 20 ans, de batteries électriques capables de stocker de grandes quantités d’électricité à un coût compétitif. C’est un énorme défi technologique dont la réalisation permettrait de compenser partiellement l’absence d’énergie solaire durant les jours et mois d’hiver. Mais en attendant d’être sûrs que cet espoir se réalise, faut-il risquer les coupures de courant en ne prolongeant pas nos deux centrales nucléaires les plus modernes?
Il y a peu, la plupart d’entre nous pensaient que les épidémies ravageuses comme la grippe espagnole de 1918 faisaient partie de l’histoire ancienne. Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas le cas et que nous y étions très mal préparés.
De même, nombreux sont ceux qui pensent qu’en Europe, depuis la dernière guerre, nous sommes à l’abri des coupures prolongées de courant. Hélas rien n’est moins sûr. Nous n’avons jamais été aussi dépendants de l’électricité qu’aujourd’hui pour faire fonctionner notre chauffage, nos réfrigérateurs, recharger nos téléphones portables, accéder à l’internet, ouvrir les portes coulissantes des grands magasins, faire fonctionner les pompes à essence, les distributeurs de billets de banque, etc.
La Belgique a été pionnière dans le développement de l’énergie électrique d’origine nucléaire et son bilan est remarquable à l’échelle mondiale. Contrairement à ce que prétendent certains écologistes radicaux, le nucléaire n’est pas “une énergie du passé”. De nombreux pays développent actuellement des petits réacteurs modulaires présentant une plus grande simplicité de conception, une production en série en grande partie dans les usines, des délais de construction courts, des coûts réduits, et offrant un niveau élevé de sécurité passive.
N’est-il dès lors pas raisonnable de garder en Belgique un minimum de compétence dans l’exploitation des centrales nucléaires en attendant ces nouveaux développements, et de maintenir en exploitation les centrales de Tihange 3 et Doel 4 comme le Rapport des Formateurs signé par Paul Magnette et Alexandre De Croo le 30 septembre 2020 en prévoit la possibilité?
Ou allons-nous accepter sans réagir que nos dirigeants gèrent notre approvisionnement en électricité comme ils ont géré nos approvisionnements en masques et en vaccins anti-Covid?
Pierre Goldchmidt, Ancien directeur général adjoint de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).
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