“Nous avons basculé dans la deuxième phase de la désinflation, et c’est une excellente nouvelle”
Pour le chief economist de Lombard Odier, Samy Chaar, le prochain grand mouvement sur les taux d’intérêt sera à la baisse .
Samy Chaar, le chief economist de Lombard Odier, a expliqué voici quelques jours pourquoi un débat avait lieu entre économistes. « Il y en a qui pensent que nous n’aurons absolument pas de récession. Et il y a ceux qui, comme nous, pensent que nous allons rester dans un environnement économique en sous régime, avec un risque de récession modérée ».
Les deux forces
Le débat s’explique parce que deux forces s’opposent.
« La force négative vient du resserrement monétaire et du resserrement du cycle de crédit », affirme Samy Chaar. On assiste à une baisse du crédit bancaire, une évolution voulue par les banques centrales afin de ramener l’inflation sous les 3%. « Les chiffres européens et les chiffres américains montrent la même chose : des banques centrales qui doivent resserrer les conditions de crédit et des prêts bancaires qui s’effondrent. Et chaque fois, dans le passé, lorsque nous avons atteint ce niveau de resserrement du crédit aux États-Unis et en Europe, nous avons eu une récession. ».
Mais il y a aussi une force positive. « C’est le marché de l’emploi et l’excès de d’épargne de long terme qui permet de compenser cette forme négative. Les ménages peuvent maintenir un certain niveau de consommation grâce à cet excès d’épargne. Et le marché de l’emploi relativement tendu pousse à la hausse des salaires. On voit bien que l’accès à la propriété va être difficile et que la volonté de consommer des biens est un peu moins grande. Mais la consommation de services joue à plein : les gens ont envie de partir en vacances, d’aller au restaurant … »
Résultat, poursuit Samy Chaar, « dans ce débat très intéressant sur l’activité (est-ce qu’elle réaccélère, est-ce qu’elle stagne, est-ce qu’elle va se contracter ?) nous n’avons pas encore la réponse ». L’opposition entre ces deux forces se traduit en effet aujourd’hui dans des statistiques économiques divergentes. D’un côté, les indices concernant les activités cycliques donnent des signes de faiblesse (on le voit dans les données des importations et exportations, dans la contraction du crédit qui pèse sur certains secteurs comme l’immobilier commercial, dans certains indicateurs avancés dans l’immobilier ou le secteur manufacturier). Mais face à cela, il y a des forces compensatoires, et plus spécialement la bonne santé des activités dans les services.
Le négatif va l’emporter
La conviction de l’économiste de Lombard Odier, toutefois, « est que la force qui va dominer est la force négative ». Et donc que le risque d’entrer dans une récession modérée est réel.
Car le moteur de la force négative n’est pas près de s’éteindre. « Il est beaucoup trop tôt pour imaginer qu’on ait un assouplissement des conditions de crédit et un redémarrage des prêts bancaires. »
En revanche, la force positive baisse d’ampleur mois après mois. Samy Chaar pointe un ralentissement dans les indicateurs avancés dans le secteur des services. Il souligne aussi, sur le marché de l’emploi américain, un tassement du nombre d’heures de travail. « Les employeurs gardent leurs mains d’œuvre mais la font travailler un peu moins. C’est plus visible aux États-Unis. Mais cela arrivera en Europe », prévoit-il.
Tous ces éléments, cumulés à la normalisation du marché des matières premières et de l’énergie, à la restructuration dans les chaines de valeurs et au durcissement des conditions d’emprunts ne sont finalement pas si mauvais que cela. « Car cela fait partie de ce que nous avons besoin de voir pour ramener l’inflation sous 3%. Nous avons besoin d’être en sous-régime, sinon la température du moteur ne baissera pas. Et donc nous avons basculé dans la deuxième phase de la désinflation et c’est une excellente nouvelle », poursuit Samy Chaar.
La fin de la hausse des taux
Mais alors, comment interpréter le message viril des banquiers centraux, qui s’étaient réunis voici quelques jours à Sintra et qui avaient souligné que l’inflation sous-jacente étaient encore très élevée, qu’ils étaient encore loin d’une zone de confort ? « Ils disent : nous n’avons pas fini de remonter les taux. Moi je pense l’inverse, dit Samy Chaar. Nous sommes à une hausse des taux (voire deux) de la fin du cycle de resserrement. Ce n’est pas une hausse de 50 points de base qui va changer la valorisation des actifs. Ce qui change la donne, c’est une hausse de 400 points de base ». Et elle a eu lieu. Dès lors, le prochain grand mouvement sur les taux devrait avoir lieu à la baisse, « même s’il n’est pas pour tout de suite », ajoute l’économiste.
Et c’est pour cela que les marchés se portent bien, conclut Samy Chaar. Ils ont compris que les perspectives d’inflation sont favorables, et ils se doutent bien que le prochain grand mouvement sur les taux se baissier ».
Mais c’est un énorme problème pour les banquiers centraux. Ils ne peuvent plus trop augmenter les taux au risque de casser la machine économique, mais ils ne peuvent pas non plus relâcher la pression au risque de voir l’inflation repartir. C’est ce qui explique que malgré des actes qui font penser que les banques centrales desserrent un peu leur étreinte (elles font une pause ou procèdent à des hausses de taux moins fortes), elles tiennent un discours sans concession.
« Si vous voulez éviter qu’un relâchement de la pression génère un relâchement des conditions financières, une hausse des actions et un redémarrage de l’inflation, vous devez tenir un discours très dur. Vous devez dire que vous n’êtes pas satisfait et que vous tenez encore des hausses de taux en réserve », note Samy Chaar.
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