Mobilité: “Il faut réfléchir aux raisons pour lesquelles les gens achètent une voiture”

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L’ancien ministre libéral Herman De Croo propose de mieux coordonner les transports entre les Régions, de privatiser le rail pour le rendre plus efficace. Et suggère d’instaurer un péage kilométrique pour les voitures afin de réduire les encombrements.

Herman De Croo a connu le temps des ministres des Transports tout puissants. Avant que la mobilité ne soit régionalisée. Dans les années 1980, il a exercé la compétence des transports au gouvernement national. Il dirigeait à la fois la SNCB, les transports publics régionaux ainsi que l’aérien avec la Sabena et les aéroports. Il a réformé, lancé des privatisations, poussé la libéralisation des transports aériens, qui a fait chuter le prix des tickets en Europe. Député Open Vld au Parlement flamand, il est aujourd’hui âgé de 80 ans et continue à s’intéresser à la mobilité, comme président de l’ETSC (European Transport Safety Council). C’est un passionné de voitures. Il roule en Porsche Panamera, avec un chauffeur – “que je paie moi-même”, précise-t-il. Il connaît bien les embouteillages, qu’il pratique depuis toujours, entre son fief de Brakel, dans l’Ardenne flamande, et Bruxelles.

HERMAN DE CROO. Les choses et les points de vue changent tout le temps. Dans les années 1980, lorsque j’ai proposé de développer des stations de métro dans des gares de chemin de fer à Bruxelles, la conférence des bourgmestres de la capitale, présidée par Guy Cudell, s’y était unanimement opposée. Moi, j’étais navetteur depuis 1956 et je voyais les congestions. Cela m’apparaissait nécessaire d’accéder facilement au métro bruxellois. Mais pour les bourgmestres bruxellois de l’époque, c’était investir pour attirer des navetteurs qui ne rapportaient rien aux communes de la capitale, ni votes ni taxes. Il valait mieux, pour eux, miser sur des trams en sites propres qui auraient été davantage utilisés par les Bruxellois. Si je n’avais pas passé outre leur avis, la congestion aurait été plus grande, ou plus rapide. C’est vous dire combien la mentalité politique était différente.

Profil

1937. Né à Opbrakel (Brakel).

Profession. Avocat, diplômé de l’ULB. Enseignant à la VUB jusqu’en 2005.

Mandats. Député fédéral libéral de 1968 à 2014, entrecoupé entre 1991 et 1995 par un mandat de sénateur. Elu au Parlement flamand depuis 2014 (Open Vld). Président du Parlement fédéral de 1999 à 2007.

Postes ministériels. Ministre d’Etat depuis 1998. A été cinq fois ministre fédéral, principalement ministre des Communications de 1981 à 1988.

Autres fonctions. Président d’Autoworld et président de l’ETSC (European Transport Safety Council).

Combien de temps mettez-vous pour venir à Bruxelles ?

Environ deux heures, je pars vers 6h00-6h30 de Brakel. Voici 40 ans, je pouvais partir beaucoup plus tard pour arriver via l’autoroute à Alost à 7h30.

Vous ne venez pas en train ?

Il n’y a pas de gare près de chez moi et je bouge beaucoup durant la journée. Je me déplace donc en voiture.

La hausse des bouchons sur les routes n’est-elle pas due avant tout à l’augmentation considérable du nombre de voitures ? Lorsque vous étiez ministre, en 1985, le parc atteignait 3,3 millions d’automobiles, il y en a 5,7 millions aujourd’ hui, soit 2,4 millions de plus !

Oui. Mais pas seulement. Il faut réfléchir aux raisons pour lesquelles les gens achètent une voiture. Partout on assiste à une hausse du parc automobile, jusqu’en Inde, en Chine et même au Congo. La Belgique a aussi la caractéristique d’être un pays très dense. Si vous retirez le tiers de la superficie du pays, du côté de l’Ardenne, où l’habitat est plus clairsemé, vous obtenez un des territoires les plus densément peuplés en Europe. Plus de 10 millions d’habitants se concentrent sur les deux tiers du pays. Le réseau routier est quatre fois plus dense que celui des Pays-Bas. Nous avons 16 fois plus de routes au km2 que la France. Depuis les Romains, nous construisons villes et villages en enfilade, le long des routes, ce qui favorise l’usage de la voiture et non celui des transports en commun. Les encombrements sont aggravés par des facteurs comme le ramassage des immondices, souvent à l’heure de pointe, parfois l’arrosage des fleurs le matin par camion-citerne, ou encore les livraisons qui se font à l’ouverture des magasins. Il y a peu, en arrivant au Parlement par le bas de la ville, j’ai compté dans le quartier pas moins de 17 camions de livraisons, alignés, en déchargement, pour approvisionner cafés et restaurants. Il serait plus judicieux d’organiser des livraisons nocturnes. Il y a aussi un problème structurel : les camions. Un tiers des camions sont des véhicules qui traversent le pays depuis et vers l’étranger. Et pour les ports et aéroports, le problème n’est pas d’envoyer le fret vers la mer ou l’air, mais sur la terre. Il faudrait réfléchir à l’idée d’organiser un transport par pipeline ! On oublie souvent que s’il n’y avait pas les pipelines souterrains pour le carburant, depuis Rotterdam vers Anvers, Gand, Zaventem et plus loin, il serait impossible de rouler sur les routes vers les Pays-Bas.

Il faudrait réfléchir à l’idée d’organiser un transport par pipeline !”

Y a-t-il d’autres raisons pour lesquelles les gens achètent une voiture, malgré les encombrements ?

Il y a une raison importante : le confort. Vous écoutez votre musique, vous êtes chez vous. Pour les femmes, la voiture est la continuation de la salle de bain. Pour l’homme, c’est le début de son living, quand il est sur le chemin du retour. Puis on peut fumer…

De moins en moins…

Oui, c’est vrai.

Quelles solutions voyez-vous ?

Il y a moyen de davantage concentrer les bureaux près des gares. C’est le cas des administrations publiques. Celles de Flandre sont proches de la gare du Nord. Il y a des dizaines d’hectares à exploiter au-dessus des voies, à la gare de Schaerbeek. Du côté du triage, on pourrait y concentrer 10.000 à 20.000 emplois. Regardez New York : on a construit au-dessus des voies, derrière les gares.

Que pensez-vous du procès fait à la voiture de société, accusée de favoriser les embouteillages ? Il y en a à peu près 400.000 en circulation, selon le Bureau du Plan.

Sur ce sujet, on n’est pas conséquent. La voiture de société a été favorisée car l’impôt sur les revenus est trop élevé. Il s’agit d’une forme de rémunération en nature. Je n’en suis pas fan, mais elle coûte moins cher que le train au kilomètre. Si l’on prend en compte l’impôt non perçu (pour la voiture de société, Ndlr), cela représente environ la moitié du déficit du train par kilomètre, couvert par des subsides. Il faut aussi voir l’impact économique de la voiture de société, de tous les prestataires. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que le chemin de fer puisse absorber même une hausse rapide de 10 % de la fréquentation. Si vous mettez un terme au cadre fiscal de la voiture de société, il faudra être certain que les transports en commun peuvent prendre le relais pour, disons, la moitié des utilisateurs de ce type de véhicule.

Que pensez-vous des solutions comme le péage urbain ?

Le péage existe déjà pour les camions, on l’oublie.

Vous êtes favorable à un péage kilométrique pour les voitures, comme l’a proposé la Febiac, en transférant la fiscalité automobile vers ce dispositif, pour réduire les encombrements ?

La Febiac est composée de gens intelligents. Leur proposition d’un péage kilométrique fiscalement neutre est intéressante. On pourrait réfléchir à cela entre les Régions et le fédéral, car la fiscalité est répartie entre ces niveaux de pouvoir, les taxes de circulation allant aux premières, les accises au second. Si le montant est bien ventilé, il devrait permettre de financer les besoins en travaux à Bruxelles et de terminer le ring à Anvers. On devrait pouvoir trouver cet argent sans faire payer davantage les automobilistes, obtenir la même recette tout en ayant un impact sur le trafic.

Ce péage est souhaité en Flandre, notamment par Ben Weyts, ministre de la Mobilité, mais moins à Bruxelles et pas du tout en Wallonie…

Ce dispositif n’a de sens que s’il s’applique dans toutes les Régions. On pourrait imaginer un commissaire général à la mobilité. Evidemment, il y aura des cris de putois, on dira que je suis contre le fédéralisme.

Vous touchez du doigt le souci qui est né de la régionalisation de la mobilité : la coordination paraît très difficile.

Oui, les solutions à la mobilité sont plus difficiles avec la régionalisation de cette compétence. Si nous ne mettons pas en place une forme de coordination supra- régionale, un commissariat général à la mobilité, avec de vrais pouvoirs, vous pourrez encore écrire des études sur l’immobilité pendant 25 ans ! Regardez le ring autour de Bruxelles : il est situé pour 80 % en Flandre, le reste est sur le territoire bruxellois. On devrait peut-être envisager, comme en Allemagne, que les autoroutes redeviennent fédérales, à travers une coordination supra-régionale.

Pourquoi imposer à 80 % des gens de payer un service utilisé par 20 % de la population ?”

En parlant de transports en commun, tout ne roule pas parfaitement. On connaît les soucis de la SNCB, que vous avez réformée. La société a connu beaucoup de changements. Son nouveau CEO, Sophie Dutordoir, entend améliorer le service au client. Quelle est la solution ?

Il faudrait changer de mentalité, de perception, et ne plus parler de ” transports publics “, mais de ” transports collectifs “. Quand on parle de transports publics, on parle de subsides. Il apparaît que l’on ne peut pas régler le problème simplement en augmentant les aides publiques. Rien que pour le rail, elles atteignent près de 3 milliards d’euros par an. C’est énorme. Ce montant est beaucoup plus important que celui consacré à la défense nationale (2,4 milliards d’euros en 2017, Ndlr), et ceci pour la seule SNCB ! Laissons les acteurs du transport travailler librement, commercialement, pour qu’ils soient plus efficace. Le coût réel sera plus bas. Aujourd’hui, il est maximal puisque c’est la collectivité qui paie. Le voyageur ne s’en rend pas compte, mais il ne paie à peu près qu’un tiers du coût réel du ticket s’il voyage avec la SNCB et la moitié s’il utilise le réseau de la Stib. Il vaut mieux privatiser les transports, à travers un dispositif de cahier de charges. Cela marche très bien pour les autocars internationaux et pour les avions. Le prix des tickets sera plus cher et les voyageurs pour lesquels il sera trop élevé – comme les étudiants, les retraités ou des personnes sous un certain revenu – pourraient bénéficier de chèques transport. Cela ne posera pas de problème de sécurité.

Cette réforme des chemins de fer ressemble au rocher de Sisyphe : elle doit toujours être recommencée…

Il y a une prise de conscience. En 2020, la SNCF et la Deutsche Bahn pourront faire rouler des trains sur les grandes lignes belges. Les syndicats doivent se rendre compte qu’il n’y aurait plus de poste nationale, plus de RTT (Proximus actuellement, Ndlr) si ces services n’avaient pas été privatisés. Aujourd’hui, bpost fait des acquisitions aux Etats-Unis, Proximus est un acteur majeur dans les télécommunications. Je vous dis qu’il n’y aura plus de chemin de fer au sens étatique du terme si on ne passe pas par une privatisation bien conçue. Est-ce que les routes sont publiques ? Oui. Est-ce que ce qui roule dessus est public ? Non, quasiment jamais, sauf les pompiers, la police. Pourquoi, si une voie ferrée est publique, ce qui roule dessus devrait aussi être public ? Quel est le raisonnement ? Pas celui de la sécurité. Les avions sont quasiment tous privés et les compagnies les moins chères disposent des avions les plus modernes. Les critères de sécurité sont aussi drastiques pour les transporteurs privés que publics.

Pourquoi la privatisation des chemins de fer paraît taboue en Belgique, alors qu’elle n’a pas posé de souci pour la poste ou l’opérateur téléphonique ?

Une question de perception… Les gens ne savent pas ce que leur coûtent les chemins de fer. Or 80 % d’entre eux ne les utilisent pas mais les financent avec leurs impôts. Pourquoi imposer à 80 % des gens de payer un service utilisé par 20% de la population ?

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