Maxime Prévot: “La particratie belge est malade”
“Les présidents de partis ne sont plus des fournisseurs de solutions, en dernier recours comme c’était le cas auparavant, mais des générateurs de problèmes”, regrette le président des Engagés. Attention à une démocratie fragilisée et à la victoire des populistes.
Maxime Prévot, président des Engagés, est particulièrement remonté au sujet du manque de vision actuel de la politique belge et des querelles sans fin entre partis. Dans l’opposition à tous les niveaux de pouvoir, celui qui est aussi bourgmestre de Namur ne mâche pas ses mots: “La particratie en Belgique est malade, et davantage: elle est en obsolescence programmée”.
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“Si le monde politique ne remet pas fondamentalement en cause sa manière d’agir, nous irons collectivement dans le mur, argumente-t-il. Il ne s’agit pas de savoir si un parti se porte un peu mieux qu’un autre mais bien de défendre un système démocratique qui se fragilise. On ne peut pas s’émouvoir de la montée des populismes partout en Europe et, en même temps, agir avec si peu de hauteur de vue.”
“Des générateurs de problèmes”
Son leitmotiv: “On doit changer d’état d’esprit pour retrouver un esprit d’Etat”. Aux yeux de Maxime Prévot, cette question de gouvernance publique transcende en effet les différents niveaux de pouvoir de notre pays.
“On a des responsables politiques qui jouent petit bras, sont dans la communication intense et s’excitent pour un tweet… Les présidents de partis ne sont plus des fournisseurs de solutions en dernier recours comme c’était le cas auparavant, mais des générateurs de problèmes.”
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Le président des Engagés a certes beau jeu de s’exprimer de la sorte, son mouvement n’étant pas impliqué dans le processus de décision. “Mais ce n’est pas une posture concurrentielle de ma part, précise-t-il. Je ne cherche pas à donner de leçons. Je suis profondément préoccupé. Face aux crises multiples auxquelles nous devons faire face, les gens ont plus que jamais besoin d’une boussole.”
Se référant à la récente enquête “Noir Jaune Blues” réalisée pour le journal Le Soir, Maxime Prévot s’inquiète de voir que désormais, une majorité de personnes seraient prêtes à accepter une nouvelle forme d’autoritarisme. Attention, danger!
“Je n’ai jamais vu des partenaires se taper autant sur la gueule.”
“C’est devenu tellement compliqué de former un gouvernement de nos jours, complète le président des Engagés. Une fois celui-ci en place, ceux qui le composent devraient se serrer les coudes plutôt que de se donner des coups. Or, je n’ai jamais vu des partenaires se taper autant sur la gueule. Je suis stupéfait des sorties que certains présidents s’autorisent. Le résultat, c’est que l’on a des exécutifs qui passent plus de temps à panser les plaies qu’à mettre en œuvre leur projet. C’est préoccupant.”
Or, “l’enjeu n’est plus de savoir pour quelle formation politique les sondages sont positifs ou pas. On se braque beaucoup trop sur les prochaines élections, sans se soucier des prochaines générations. Je ne me reconnais plus dans cette façon de faire de la politique. C’est la raison pour laquelle, malgré le risque que cela représente, j’ai voulu transformer notre parti en mouvement. Le nom des Engagés n’est pas non plus venu par hasard: s’indigner, c’est facile, comme surfer sur les colères comme le PTB en exaltant la face sombre des gens. S’engager, c’est plus compliqué”.
“On assiste à des luttes d’ego qui sont tout simplement pathétiques.”
Le président des Engagés regrette de vivre “à l’ère des clashs” et constate qu’il est devenu inaudible d’être nuancé: “Tout le monde est dans la surenchère permanente. Que ce soit dans le débat budgétaire, la réforme des pensions ou d’autres sujets de fond, les différents partis se placent dans une position de stérilité absolue tant ils se neutralisent. Le but du jeu, c’est avant tout d’empêcher l’autre d’obtenir une avancée plutôt que de se concentrer sur un projet commun”. François De Smet, président de DéFi, avec lequel Les Engagés ont songé s’allier avant que la tentative de rapprochement n’échoue, ne disait pas autre chose, récemment: “La nuance n’a plus sa place”.
L’Europe et les organisations internationales ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur la situation précaire de notre pays, devenu le pire élève de la classe, mais on continue à se disputer sur des dossiers accessoires. “L’émocratie a supplanté la raison. On assiste à des luttes d’ego qui sont tout simplement pathétiques. Souvent, je me réjouis d’avoir un rôle de bourgmestre qui me permet de rester ancré aux réalités, là où d’autres sont dans la jungle, dans l’arène…” S’arrêtant un instant, le leader d’opposition confie: “Cela fait du bien de pouvoir se confier”.
“Nous courons à notre propre perte”
“Si on n’a pas la capacité de dire stop et d’avoir un sursaut, on court à notre propre perte, reprend Maxime Prévot. Lors de la prochaine législature, en raison des progressions du Vlaams Belang et du PTB, on risque d’être obligés de mettre tous les partis démocratiques ensemble pour gouverner. Peu importe que l’on n’aime pas le PS, la N-VA ou les écologistes. Quand chacun court après quelques voix, je ne peux m’empêcher de penser: mais quel court-termisme!”
“En réalité, complète le président des Engagés, je rêverais d’avoir des gouvernements composés uniquement de ministres qui ne doivent pas être réélus – et je ne parle pas d’un gouvernement de technocrates. Ce seraient des personnalités qui accepteraient, le cas échéant, de terminer leur mandat en étant impopulaires mais en décidant des réformes dont le pays a foncièrement besoin.”
“Aujourd’hui, les présidents de partis sont bel et bien à la source des tensions.”
A-t-il l’occasion d’évoquer ce questionnement majeur avec ses collègues des autres partis? “Oui. Et quand je leur partage cette conviction, ils me disent que j’ai raison, mais en ajoutant aussitôt qu’ils sont bien obligés de réagir à ce que l’autre dit...”
A deux doigts d’avoir été rappelé à la rescousse par le PS en Fédération Wallonie-Bruxelles alors que les tensions au sujet de la Faculté de médecine à Mons tournaient au vinaigre, Maxime Prévot dit avoir été “surpris” par la façon dont les choses se sont passées, mais regrette le jeu de coqs opposant les présidents du PS et du MR, Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez, sur un “terrain de jeu” hainuyer important pour les deux partis.
“Je me souviens d’une époque où les présidents de parti étaient appelés en dernier recours lorsqu’il fallait sortir d’une crise par le haut, ajoute-t-il. Mais aujourd’hui, ils sont bel et bien à la source des tensions. Cela perturbe la bonne marche gouvernementale à une époque où les crises se multiplient, c’est malsain et cela fait disparaître toute instance de recours ou d’apaisement.” Ce rare cri du cœur, le bourgmestre de Namur l’espère salutaire, même s’il est déjà minuit moins cinq.
“La parole rare”
“Ce n’est pas étonnant que je sois parmi les présidents de parti apparaissant le moins dans les médias”, termine Maxime Prévot, en évoquant le résultat d’une comptabilité réalisée par Le Soir sur les interviews données aux télévisions et à la presse quotidienne (Georges-Louis Bouchez arrive largement en tête). Parmi ses collègues, le coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, est l’autre porte-drapeau préférant prendre du recul par rapport aux joutes musclées.
“Or, je me souviens de ce qu’exprimait Gérard Deprez (ancien président du PSC), qui est un peu le profil dont je m’inspire: pour que la parole soit forte, elle doit parfois être rare.” C’est son adage, mais quand il parle, il y va fort.
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