Rudy Aernoudt
Maman, pourquoi travaillons-nous?
Le Belge travaille en moyenne 34 ans. Soit deux ans de moins que l’Européen, et huit ans de moins que le Néerlandais…
Si la crise sanitaire a eu de nombreuses conséquences économiques, elle a également bouleversé notre façon de travailler. Le travail hybride devient la nouvelle norme. Selon une enquête, à peine 18% des travailleurs passeront encore 100% de leur temps de travail au bureau. Pour 82% d’entre eux, ce sera une combinaison de télétravail et de présentiel. Les conséquences logistiques ou en matière de ressources humaines de cette évolution ont déjà été abondamment discutées. Dans cette tribune, je voudrais plutôt me pencher sur son impact sur le sens de travail.
Le lecteur critique pourrait objecter que le sens de travail relève davantage de la philosophie que de l’économie. Il n’aurait pas tort, si ce n’est que l’interprétation philosophique de la notion de sens a un impact économique indéniable. La pandémie nous a notamment laissé le temps de nous interroger sur ce que nous faisions. Récemment décédé, l’économiste David Graeber parlait de bullshit jobs: “Un bullshit job est une forme de travail si totalement inutile, dénuée d’intérêt et nocive que même celui ou celle qui l’exerce ne parvient pas à lui trouver de justification”. Des emplois totalement démunis de sens, et pourtant souvent bien payés. Plutôt aliénant, comme le dirait Marx. Une enquête Royaume-Uni révèle que 37% (! ) des salariés considèrent leur emploi comme un bullshit job.
La pandémie a donnéà de nombreux travailleurs le courage d’en tirer les conclusions. Dans une grande vague de démissions, 47 millions d’Américains ont quitté volontairement leur emploi en 2021. Inédit. Vu les filets de protection sociale limités, il faut une certaine audace pour remettre sa démission outre-Atlantique. Le Covid-19 leur a fait prendre de conscience des véritables valeurs. La recherche d’un salaire plus élevé reste une motivation importante mais 63% de ces travailleurs ont démissionné parce qu’ils ne se sentaient pas suffisamment respectés par leur employeur.
Le Belge fait peu de cas de la pension à 67 ans. Il prend généralement sa retraite à 63 ans. Plusieurs études révèlent en outre que la crise incite le Belge à cesser de travailler encore plus tôt. Pour la plupart de nos compatriotes, l’âge idéal de la retraite est en effet de 61 ans. Pas étonnant que la suppression des prépensions se soit accompagnée d’une augmentation proportionnelle du nombre de maladies de longue durée. Un jeu à somme nulle, en quelque sorte. De plus, un grand nombre de ces maladies de longue durée sont désormais de nature plutôt psychologique, avec notamment le burn-out.
Résultat? Pour la première fois en 20 ans, le nombre moyen d’années travaillées a baissé: le Belge travaille en moyenne 34 ans. Soit deux ans de moins que l’Européen, et huit ans de moins que le Néerlandais…
Après 40 ans de chômagestructurel, les prochaines décennies pourraient être caractérisées par une pénurie générale de main-d’oeuvre motivée. Les entreprises doivent intégrer cette nouvelle réalité dans leur politique et déterminer comment donner du sens aux emplois qu’elles proposent. Une enquête réalisée au Royaume-Uni révèle que les jeunes sont prêts à gagner 15% de moins pour travailler pour une entreprise portée par des valeurs. La responsabilité sociale des entreprises pourrait ainsi devenir l’investissement le plus rentable. Et nos gouvernements aussi auraient intérêt à mettre au frigo leurs plans en matière d’emploi pour chercher comment accroître la motivation à travailler. Dans cette perspective, il serait nécessaire de redessiner complètement le paysage fiscal et la réglementation du travail, mais cela nécessite plus de cinq minutes de courage politique.
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