Lire la chronique d' Amid Faljaoui
L’inflation et l’inversion des rapports de force
Après avoir été absente du débat pendant quelques décennies, l’inflation fait un retour fracassant dans les débats politiques et la vie quotidienne des Belges.
En Belgique, nous sommes le seul pays avec Malte et le Grand-Duché du Luxembourg à bénéficier d’une protection grâce à l’indexation automatique des salaires. Beaucoup de salariés à l’étranger seraient heureux d’avoir ce dispositif, mais malgré cette protection, certains signataires d’une pétition publiée dans la presse estiment encore que ce n’est pas assez. Selon les signataires, qui sont principalement issus de milieux syndicalistes, seules les entreprises s’en tirent durant ce chaos inflationniste. La preuve écrivent-ils, c’est que les profits des entreprises en Belgique sont en augmentation. Autrement dit, comme l’a montré une étude de la BNB, 60% des entreprises sont capables de se protéger contre la hausse des matières premières en la répercutant sur leurs clients.
Mon rôle dans cette chronique n’est pas de savoir s’il y a des profiteurs ou pas de l’inflation. C’est quelque chose qui n’est pas simple à démontrer contrairement aux apparences, mais de rappeler que face à la facture de l’inflation, le gouvernement doit faire attention à ce que cette facture soit répartie équitablement. Faute de quoi, c’est le payeur final qui se vengera. Si c’est le salarié qui paie seul la facture, il finira par sortir en rue et gare à la révolte sociale. Les gilets jaunes et les dernières élections en France nous rappellent que ce scénario est tout sauf théorique. Et si c’est à l’entreprise que l’on veut faire porter tout le fardeau de l’inflation, elle se vengera aussi sous forme de licenciement, donc de hausse du chômage et donc au final de récession.
L’autre enseignement de l’inflation, que nous avions oublié au fil du temps, c’est que l’inflation inverse les rapports de force. Pendant les 30 dernières années, c’est le consommateur qui a dicté sa loi aux producteurs. Tout devait être dirigé vers les prix les plus bas pour assurer le pouvoir d’achat du citoyen. Aujourd’hui, du fait de la désorganisation des chaines de production, du fait de la guerre en Ukraine, c’est le producteur qui impose sa loi, donc son prix et ses délais au citoyen consommateur. Si vous avez un doute, commandez une voiture dans un showroom et vous verrez que les prix ont augmenté ainsi que les délais.
L’inversion s’est aussi faite en faveur de l’employé et au détriment de l’employeur. Le chômage reste encore trop élevé, mais les talents sont rares et donc du fait de la pénurie de main-d’oeuvre, que ce soit dans la restauration, l’hôtellerie, la comptabilité ou l’informatique, ce sont les jeunes diplômés qui choisissent leur employeur et non l’inverse. Non seulement ils le choisissent, mais ils imposent des salaires plus élevés du fait de la pénurie. D’ailleurs la formule “guerre des talents” est inappropriée, car les jeunes diplômés ne sont ni plus ni moins talentueux que les anciennes générations. Ils sont juste moins nombreux et donc ils peuvent exiger un salaire plus élevé de leur futur employeur. L’inversion des rapports de force ne s’arrête pas là. Elle se fait aussi en faveur de l’Etat et donc au détriment des entreprises. Bref, vous l’avez compris, l’inflation est à la fois une gigantesque machine à inverser les rapports de force et une gigantesque machine de transfert des revenus. C’est ce à quoi nous assistons en direct aujourd’hui.
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