Pourquoi la stabilité des prix, c’est quand ils avancent de 2% par an ? Pour l’expliquer, on passera par Rabbi Jacob, puis les Frères Grimm.
« Qui a dit : La révolution est comme une bicyclette : quand elle n’avance plus, elle tombe ?
– Eddy Merckx !
– Non, Che Guevara. »
Voilà une réplique culte des « Aventures de Rabbi Jacob » qui pourrait débuter un livre d’économie.
Car finalement, ce qui est propre à la révolution ne l’est-il pas aussi à l’activité économique ? Quand l’économie n’avance plus, ne tombe-t-elle pas, elle aussi ? Et n’est-ce pas pour en raison de ce principe physique que les banques centrales se fixent pour objectif d’atteindre en moyenne une inflation – c’est-à-dire une hausse générale des prix – de 2% par an ?
Déflation et bicyclette
Le profane pourrait se dire en effet : si on veut la stabilité des prix, pourquoi ne pas favoriser plutôt aucune inflation, une inflation zéro ? Cela signifierait que l’euro de demain aurait la même valeur qu’aujourd’hui et que le bien que l’on achète 100 aujourd’hui pourra être aussi acheté 100 dans un an.
Et c’est là qu’intervient l’art de la bicyclette. Car si les prix « n’avancent pas », le risque est que l’on espère qu’ils puissent reculer. Et donc, que ce qu’on achète 100 aujourd’hui, on puisse l’acheter 99 demain, voire 98 après-demain. Dès lors, pourquoi ne pas attendre après-demain pour acheter ce dont j’ai besoin ? Si tout le monde tient le même raisonnement, l’économie s’arrête et, comme dirait le Che, « elle tombe ».
Cette chute du vélo, cela s’appelle la déflation, et c’est sans doute ce que les économistes redoutent le plus. C’est d’ailleurs pour éviter la déflation que la Banque du Japon depuis les années 90, et la Banque centrale européenne, à partir de 2013-2015, ont jeté toutes leurs forces dans la bataille : elles ont mis les taux d’intérêt à zéro, ont fait tourner la planche à billets pour injecter des masses de liquidités dans le système.
Soyons honnêtes, les banquiers centraux n’aiment pas non plus quand les prix montent trop, car alors il y a le risque que la bicyclette roule trop vite, sans frein, et s’écrase en bas de la descente. Une inflation trop élevée enclenche en effet des processus difficilement arrêtables, ce que les spécialistes appellent « la spirale prix-salaires ». Si les prix montent, les salariés voudront compenser cette perte de pouvoir d’achat par des salaires plus élevés. Mais des salaires plus élevés, cela fait encore monter les prix. On ne s’en sort plus sans devoir taper fortement sur l’économie pour mettre fin à ce cercle infernal. C’est ce qui se passe aujourd’hui : les banques centrales ont remonté brusquement leurs taux et ont effectivement fait mal. La croissance de la zone euro, selon l’OCDE, ne sera que de 0,6% cette année et l’Allemagne devrait même être en récession (-0,2%).
Du Che à Boucle d’or
Donc, les banques centrales ont fixé, arbitrairement, un objectif d’inflation ni trop bas (pour éviter le risque de la déflation), ni trop haut (pour éviter l’emballement prix-salaires). Et cet objectif est d’environ 2%, tant pour la Réserve fédérale américaine que pour la BCE et la plupart des autres banques des pays industrialisés.
Certains cependant se demandent si, finalement, cet objectif de 2% est justifié. Ne devrait-il pas être un peu plus haut ? Olivier Blanchard, l’ancien économiste en chef du FMI, est de ceux-là. Il a estimé fin de l’an dernier que finalement, on devrait plutôt porter l’objectif des banques centrales à 3%. Il constate en effet que les banques centrales, quand l’inflation se réveille comme aujourd’hui, doivent faire beaucoup d’efforts pour la faire revenir à 2%. Elles doivent employer des moyens très durs, qui font mal. Elles rehaussent fortement les taux, elles poussent les entreprises à reporter leurs investissements, les ménages à réduire leurs dépenses et cela aboutit au risque de mettre de nombreux travailleurs au chômage. Finalement, est-ce que l’on ne pourrait pas éviter cela en remontant un peu cet objectif d’inflation, sans pour autant enclencher la machine infernale des prix et des salaires ?
Avec une inflation de 3%, l’économie obéirait moins au principe du Che, mais davantage à ceux de Boucle d’or. Oui, Boucle d’or, la petite fille du conte des frères Grimm. Elle entre dans la maison des trois ours, goûte un premier bol de soupe. Trop chaud. Un deuxième. Trop froid. Et elle tombe finalement sur le bol de bébé ours. Parfait, ni trop chaud, ni trop froid. Les économistes adorent l’histoire de Boucle d’or.
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