L’impôt sur la fortune à la poubelle ? Le patrimoine reste dans le collimateur fiscal

Les Engages Maxime Prévot - BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Politiquement, la Belgique se rapproche du centre-droit. Il n’est cependant pas sûr que les plaidoyers de la gauche en faveur de l’impôt sur la fortune disparaissent du débat. Pour assainir des finances publiques en piteux état, il faudra aussi aller chercher des recettes supplémentaires, et cela passera probablement par les (plus)-values. L’aile gauche d’un éventuel gouvernement de centre-droit (Vooruit, les Engagés et en partie le CD&V) voudra marquer des points à ce niveau-là.

“Sur le plan socio-économique, une nouvelle dynamique est à l’oeuvre. L’impôt sur la fortune – ou l’impôt sur les plus-values – est entré dans les mœurs. C’est une victoire de la gauche”, a déclaré Bart Maddens, politologue à Louvain, dans une interview accordée à nos confrères du Knack juste avant les élections. En effet, lorsqu’il a été question d’économies pendant la campagne, le débat a souvent tourné autour de l’impôt sur la fortune et de l’impôt sur les plus-values. Les différents partis, à l’exception des libéraux et de la N-VA, avaient pour mot d’ordre : nous sommes confrontés à une opération d’assainissement majeure pour remettre les finances publiques sur les rails, et tout le monde doit donc y mettre du sien. Cela signifie qu’il faut aussi mettre à contribution les gros patrimoines pour renflouer les caisses de l’État.  

Mais les plus grands partisans de l’impôt sur la fortune parmi les partis politiques – les Verts et le PS – ont subi une lourde défaite électorale. La N-VA, en tant que premier parti du pays, cherche surtout à faire des économies. Il en va de même pour le MR, le premier parti du côté francophone. Les Engagés, qui deviennent le troisième parti au sud du pays, veulent une politique favorable aux entreprises. Cela s’explique par l’influence de quelques ex-PDG sur leur liste, comme Yvan Verougstraete (Medi-Market) et Jean-Jacques Cloquet (Aéroport de Charleroi).  

L’impôt sur la fortune à la poubelle  

Mais ceux qui pensent que l’ombre de l’impôt sur la fortune ne plane plus sur la prochaine formation du gouvernement fédéral se trompent. La Belgique doit trouver plus de 27 milliards d’euros au cours des prochaines années pour assainir son budget. Il est presque inévitable que cet assainissement se fasse en partie par des économies et en partie par de nouvelles recettes. Nous sommes encore loin d’une éventuelle coalition fédérale, mais dans la constellation  N-VA, MR, CD&V, Les Engagés et Vooruit, qui fait le tour des observateurs politiques, il sera certainement question d’une augmentation des impôts sur le capital (bénéfices).   

Ainsi, la taxe sur les plus-values des actions a refait surface dans la campagne électorale, c’est l’une des rares taxes qui n’existe pas en Belgique. Selon le Bureau du Plan, elle rapporterait entre 1,7 et 3,8 milliards d’euros selon les différentes propositions. Parmi les partis susceptibles de rejoindre le gouvernement fédéral, Vooruit, les Engagés et cd&v y sont favorables. 

Même en dehors d’une restructuration budgétaire, ils considèrent que cela fait partie d’une réforme fiscale plus large, qui pourrait compenser les charges moins élevées sur le travail. Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) n’ayant pas réussi à faire passer cette réforme lors de la dernière législature, son parti est impatient de passer à l’action. 

Le Vooruit plus au centre

Enfin, il y a surtout Vooruit. Les socialistes flamands ont considérablement évolué vers la droite ces dernières années. Vendredi dernier, l’analyste politique francophone Alain Gerlache a qualifié Vooruit de “parti du centre”. Sa présidente Melissa Depraetere a depuis longtemps fait savoir que son parti souhaitait travailler avec la N-VA, entre autres, mais pas pour “dépanner”. Traduction : les socialistes flamands vendront chèrement leur peau. Cela signifie qu’un accord de coalition doit imposer des impôts sur la fortune (les bénéfices) plus élevés.  

Qu’en est-il de la proposition de Vooruit concernant la “globalisation des revenus” ? En d’autres termes: les revenus du patrimoine financier seront inclus dans l’impôt des personnes physiques et taxés de la même manière que les revenus du travail, c’est-à-dire progressivement jusqu’à un maximum de 50 %. La proposition de Vooruit devrait rapporter jusqu’à 9,7 milliards d’euros, selon les calculs du Bureau du Plan.

L’impôt sur la fortune pure ou l’impôt des millionnaires sur le patrimoine total passera à la trappe, c’est désormais certain. Seuls le PS, les Verts et le PTB-PVDA y étaient favorables. 

Du cheval au dromadaire  

Le fait que le patrimoine ne soit pas totalement exclu de l’impôt rend nerveux les Belges fortunés tout comme les entrepreneurs, selon une enquête menée auprès de gestionnaires de patrimoine et d’avocats spécialisés dans le droit fiscal. “Le débat sur les plus-values ou l’impôt sur la fortune est très vif. En partie à cause de la confusion babylonienne des langues parmi les politiciens et les électeurs sur ce que l’on entend exactement par-là”, explique Anton Van Zantbeek, avocat fiscaliste chez Rivus. 

 “Certains parlent d’une taxe des riches, d’autres d’un impôt sur le patrimoine, d’autres encore d’un impôt sur les plus-values, d’un impôt sur les gains en capital, ou encore d’une taxe sur les plus-values”. Le plan de réforme fiscale du professeur Mark Delanote est plein de bon sens, il convient à tout bon fiscaliste, mais nous savons que les bons plans entrent ‘dans une négociation gouvernementale comme un beau cheval, mais en ressortent comme un dromadaire tordu’, pour citer Mark Eyskens. Ce plan est dans le tiroir et refera surface comme base pour les prochaines négociations sur la réforme fiscale”.   

Méfiance des citoyens  

Selon Van Zantbeek, la méfiance des citoyens à l’égard du gouvernement renforce également l’incertitude : “Il arrive que les gouvernements votent une loi fin décembre, qui ne paraît au Moniteur qu’en janvier, mais qui s’applique à toute l’année précédente. Par exemple, une loi de janvier 2025 peut rendre les gens imposables sur ce qu’ils ont fait en 2024. Il y a tellement d’incertitudes que nous ne pouvons pas donner à nos clients des conseils avisés.” 

“J’entends des signaux d’inquiétude. Je les reçois également d’un ami qui dirige un cabinet d’experts-comptables. Les clients se demandent ce qui les attend”, déclare Johan De Mol, réviseur d’entreprises. “Pour être clair, je pense qu’il est peu probable que tout se passe comme les partis l’ont proposé. Prenons par exemple la proposition de Vooruit. Une taxe sur les plus-values des actions à un taux progressif allant jusqu’à 50 %, c’est insensé. Ne se rendent-ils pas compte de l’impact dramatique que cela aurait sur le tissu des PME flamandes ? Vous créez une entreprise, vous travaillez en tant qu’entrepreneur jusqu’à la retraite, et dès que vous vendez vos actions, le gouvernement en prélève la moitié. C’est peu probable. Si les plus-values sont taxées dans d’autres pays, c’est à un taux beaucoup plus bas. La Belgique n’est déjà pas un pays où le risque entrepreneurial est élevé. S’ils recommencent à pénaliser ces personnes…” 

Une partie d’une réforme fiscale majeure  

“Ces questions relatives à l’impôt sur les plus-values reviennent chaque année”, déclare Erik Sansen, associé du cabinet Sansen International Taks Lawyers. “Vers la fin de l’année, lorsque de nouvelles mesures fiscales sont annoncées, l’inquiétude monte. Aujourd’hui, c’est un peu plus tôt, en raison des élections. Nos clients sont inquiets parce qu’ils ne savent pas exactement ce qu’impliquera cette taxe sur les plus-values. Les entrepreneurs ont le sentiment qu’ils seront à nouveau taxés sur ce qui a déjà été évalué auparavant. Beaucoup de choses dépendent des modalités de cette taxe. Par exemple, ils estiment qu’il est juste que l’impôt sur les plus-values ne soit pas imposé sur ce qui a été accumulé historiquement le jour de l’introduction de l’impôt. De telles propositions ont déjà été faites par le passé. Si l’on commence bientôt à imposer une taxe sur la vente d’actions de plus-values comme sur le travail, c’est-à-dire avec un taux maximum de 50%, cela est considéré comme injuste. Si l’on abaisse le taux de 5 à 10 % à droite et à gauche, les gens sont d’accord. Il est également important qu’il ne s’agisse pas dans ce cas d’un impôt supplémentaire. Elle doit s’inscrire dans le cadre d’une réforme fiscale globale, qui prévoit une réduction des taux dans d’autres domaines. La plupart des gens sont d’accord pour dire que la charge fiscale globale est trop lourde. 

Un réflexe classique chez les entrepreneurs est d’envisager de vendre leur entreprise et de se débarrasser ainsi de leurs actions avant l’entrée en vigueur d’une telle taxe sur les plus-values. Van Zantbeek : “Supposons qu’ils aient acheté un paquet d’actions, il y a dix ans, dont la valeur a maintenant bien augmenté. Ils sont enclins à le vendre rapidement et à le racheter éventuellement, parce qu’ils ne savent pas quand ils commenceront à calculer les plus-values.”  

Quid des produits de la branche 23 ?

“Après l’introduction d’une telle taxe, les modalités suivront avec, plus particulièrement, la date de référence déterminant la valeur initiale de l’action. Cette évaluation n’est pas si difficile pour les actions cotées en bourse, mais il faut aussi évaluer les actions non cotées. Sans parler des discussions sur la déductibilité fiscale des moins-values. Ce qui serait logique et juste”.  

Les partisans d’une telle taxe ne sont pas de cet avis. Leur argument : cela serait très problématique pour le budget de l’État dans les années de forte baisse des cours boursiers, comme l’année 2022. C’est pourquoi les propositions d’introduction d’une taxe sur les plus-values contiennent également de fortes restrictions sur la déduction fiscale des pertes de plus-values. Par exemple : les moins-values ne seraient déductibles que des plus-values réalisées sur d’autres actions. Si l’impôt sur les plus-values d’actions est introduit, la question se pose également de savoir si un gouvernement s’attaquera à l’ensemble de l’impôt sur les fonds. “Même pour les produits de la branche 23, par exemple, où les investisseurs ont déjà payé 2 % de taxe sur les primes au moment de l’entrée, les taxera-t-on à la fin ?”, s’interroge Anton Van Zantbeek.  

L’impôt pur sur les plus-values peut alors être supprimé. Et si l’impôt sur les plus-values des actions est instauré, ce sera dans une version édulcorée. Une autre piste est celle des taux plus élevés des impôts existants sur les plus-values. Enfin, le gouvernement Michel (2014-2018) a augmenté le précompte mobilier sur les dividendes, entre autres, de 25 à 30 %. Erik Sansen, associé chez Sansen International Taks Lawyers, déclare : “On laisse entendre ici et là qu’il y a encore de la marge sur la charge fiscale du capital. Il faut regarder les faits. La Belgique connaît déjà des droits d’enregistrement, des droits de succession, des droits de donation, des retenues à la source, des taxes sur les titres, des taxes boursières, etc. Certes, il existe une fiscalité favorable sur les revenus locatifs, mais dans l’ensemble, nous avons déjà beaucoup d’impôts sur le patrimoine ou sur les plus-values. Si l’on ajoute à cela le coût élevé de la main-d’œuvre, cela continue à irriter les personnes fortunées”. 

“La taxe sur les titres doublera” 

Cela reste une chimère, mais une solution simple consisterait à augmenter la taxe sur les comptes-titres. Le gouvernement de centre-droit Michel voulait l’introduire, mais il s’est heurté à un refus de la Cour constitutionnelle. Le gouvernement De Croo a eu plus de chance. Toute personne détenant un compte-titres dont la valeur moyenne dépasse 1 000 000 euros doit payer une taxe de 0,15 % sur la valeur moyenne de ce compte depuis 2021. À l’époque, les économistes et les fiscalistes avaient prédit que ce taux augmenterait à l’avenir. “Il s’agit d’une solution facile à mettre en œuvre. On peut augmenter le taux par un simple arrêté royal”, est d’avis Johan De Mol, commissaire aux comptes de la société. “De plus, de nombreux partis y voient une source de revenus importante, car des contrevérités ont été dites pendant la campagne. Melissa Depraetere, présidente de Vooruit, a parlé de milliards de recettes, alors qu’il s’agissait en réalité de quelques centaines de millions d’euros.” 

“La taxe sur les valeurs mobilières peut en effet être augmentée d’un simple trait de stylo”, ajoute Erik Sansen. “Encore une fois : doubler le taux causera beaucoup de tort, s’il n’est pas accompagné d’une réforme de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, par exemple.”  

Anton Van Zantbeek, avocat fiscaliste chez Rivus, voit un modèle fixe dans ces taxes : “Depuis 2011, la taxe boursière et le précompte mobilier sont régulièrement augmentés, et la taxe sur les transactions boursières est prolongée. Chaque année, ils en rajoutent une couche. Ils ajustent ces paramètres jusqu’à ce que les recettes commencent à plafonner ou à chuter, comme avec la taxe sur la spéculation, parce qu’elle a fait chuter les recettes de la taxe boursière ordinaire. Ce sera à nouveau le cas. La taxe sur les titres doublera, passant de 0,15 % à 0,3 %. C’est de toute façon ce qui se passera, car cela n’empêchera pas les gens d’investir. Et en Belgique, le gouvernement a besoin d’argent rapidement”. 

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