L’immigration est bonne pour tout : Trésor public, salaires et pouvoir d’achat

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Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Soyons réalistes, une Belgique prospère ne peut exister sans l’immigration. Et alors que la question domine les passes d’armes électorales, cette vérité n’est qu’à peine mentionnée. Pourtant l’immigration est bonne pour notre portefeuille. Et c’est même une nécessité pour l’économie. “Que ferait notre secteur de la construction sans les migrants ? “

“On peut aimer ou non l’immigration, mais l’économie s’en accommode”. C’est ce qu’affirme Frédéric Docquier, professeur d’économie spécialisé dans les migrations et travaillant au centre de recherche luxembourgeois Liser (Institut luxembourgeois de recherche socio-économique). “Si l’on considère l’immigration comme un ensemble de personnes peu ou très qualifiées, d’origine européenne ou non européenne, tous les Belges sont gagnants, ou du moins la plupart d’entre eux”.

Énumérant les effets économiques de l’immigration, Docquier s’appuie sur une étude dans laquelle il compare la Belgique à 19 autres pays de l’OCDE. Il en ressort que le flux d’immigration vers notre pays n’est pas excellent en termes de qualité. En ce qui concerne le taux d’emploi des immigrés et leur participation au marché du travail, seule la Suède fait moins bien que la Belgique. Et le niveau d’éducation est encore moins bon. La proportion de personnes hautement qualifiées parmi les Belges est 1,75 fois plus élevée que parmi les immigrés. La Belgique se retrouve donc en queue de peloton des 20 pays.

Trois victoires…

Ce sombre tableau amène de nombreux Belges à penser, comme le montrent les sondages d’opinion, que l’immigration coûte bien plus qu’elle ne rapporte à la société. Pourtant, l’économie belge tire un réel bénéfice de l’immigration, comme le prouvent les calculs de M. Docquier. Précisons que son étude date de 2018 et que Docquier prévoit une mise à jour. Cela ne l’empêche pas d’affirmer que le constat sera sensiblement le même: grâce à l’immigration, le Belge moyen est gagnant sur tous les tableaux : en tant que contribuable, en tant que travailleur et en tant que consommateur.

1 … pour le Trésor public

Les immigrés bénéficient de certains avantages sociaux, mais ils paient aussi des impôts. “Selon une étude récente de l’OCDE, le solde est positif et représente 0,76% du PIB annuel de la Belgique”, précise M. Docquier. “Pour les immigrés non européens, le solde est beaucoup plus faible, mais néanmoins légèrement positif, malgré leurs faibles taux d’emploi et d’éducation. Cela s’explique par le fait que les immigrés comptent de nombreux jeunes de 20 à 50 ans, un groupe qui paie plus d’impôts qu’il ne reçoit de prestations”, explique M. Docquier.

Les migrants ont également accès aux services publics tels que l’éducation et la justice, circulent sur nos routes et utilisent d’autres infrastructures. Cela entraîne une augmentation des dépenses publiques, qu’il est toutefois difficile de répartir individuellement. 

De plus, l’impact de l’immigration sur ces dépenses publiques n’est pas toujours le même. “L’immigration a un impact sur l’éducation et la justice, mais beaucoup moins sur les infrastructures”, a déclaré M. Docquier. En tenant compte de cette différence d’impact, l’étude aboutit au paiement d’une contribution aux caisses de l’État de 0,29 % du PIB. “Cela signifie un gain moyen d’environ 10 euros par mois pour chaque Belge.

Il est frappant de constater que la Belgique fait beaucoup mieux dans ce domaine que les autres pays de l’OCDE. Dans des pays comme la France, l’Allemagne et les États-Unis, le Trésor public subit des pertes qui s’élèvent respectivement à 0,70, 1,66 et 0,42 % du PIB. La Suisse, quant à elle, fait mieux que la Belgique, avec un gain de 1,59 % du PIB.

2 … pour vos salaires

Le salaire mensuel moyen d’un Belge est supérieur de 0,1 % grâce à l’immigration, a calculé M. Docquier. “Partant d’un salaire net moyen de 2.200 euros, il s’agit de 2 euros. Mais ce chiffre moyen cache une grande disparité : le salaire mensuel des personnes très instruites augmente de 22 euros, alors que celui des personnes peu instruites est amputé de 8 euros.”

Selon M. Docquier, l’explication réside dans l’afflux important d’immigrés peu qualifiés. “Ces personnes se retrouvent principalement dans des secteurs tels que la construction et les services ménagers, où elles sont en concurrence avec les travailleurs locaux peu qualifiés. Cela crée une pression sur les salaires dans ce groupe. Chez les personnes hautement qualifiées, c’est l’inverse qui se produit : elles profitent de l’arrivée de ces personnes peu qualifiées. Prenons l’exemple d’un ingénieur en bâtiment, il est productif que s’il a suffisamment de travailleurs sur le chantier. Il peut ainsi rentabiliser sa productivité en augmentant les salaires”.

Un effet similaire se produit pour les femmes ayant un niveau d’éducation élevé. Pour Docquier : “Des études américaines montrent que l’afflux de travailleurs domestiques philippins a permis aux femmes américaines hautement qualifiées de travailler davantage. Cela a réduit l’écart salarial entre les hommes et les femmes ayant un niveau d’éducation élevé”.

Mais ce sont donc les petits salaires qui souffrent, surtout en Belgique, quand l’afflux de migrants peu qualifiés est plus important. “Ce n’est pas un hasard si, dans des pays comme le Luxembourg, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, l’immigration contribue à réduire les inégalités salariales”, explique M. Docquier. “Dans ces pays, les immigrants sont beaucoup plus qualifiés et rivalisent avec les gros salaires locaux.

3 … pour votre pouvoir d’achat

En tant que consommateur, vous bénéficiez également de l’immigration. Les migrants apportent une plus grande diversité et une gamme plus riche de biens et de services dans l’économie locale. Cela stimule la concurrence et aide à faire baisser les prix. Les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration en sont de bons exemples. “Le restaurant belge classique se voit aujourd’hui entouré d’autres restaurants proposant une cuisine venant de Chine, d’Inde, du Maroc et de bien d’autres pays”, explique M. Docquier. “Dans d’autres secteurs également, les consommateurs disposent d’un plus grand choix, comme dans le secteur de l’habillement. Ce vaste choix a un effet modérateur sur l’indice des prix”.

Les consommateurs gagnent donc en pouvoir d’achat. Là encore, les gains sont inégalement répartis et proportionnels aux revenus dépensés. Les revenus les plus élevés gagnent 9 euros par mois, les revenus les plus faibles 6 euros par mois.

Et la facture finale est de…

Ensemble, ces trois aspects combinés font que l’immigration rapporte en moyenne 19 euros par mois au Belge. La Belgique se situe toutefois en queue de peloton, avec l’Allemagne et les pays scandinaves. “Les gains sont beaucoup plus importants dans les pays qui sélectionnent leurs immigrés”, précise M. Docquier. “Le Luxembourg et l’Australie sont en tête. Mais le Royaume-Uni et la Suisse sont également bien mieux lotis, car ils attirent davantage d’immigrés hautement qualifiés.”

Le gain mensuel moyen de 19 euros par Belge grimpe à 41 euros pour les personnes hautement qualifiées et redescend à 8 euros pour les personnes peu qualifiées, soit un écart de 33 euros. La Belgique fait partie des pays où l’écart est le plus important, avec la Grèce, l’Espagne et la Finlande. À l’autre extrémité, on retrouve à nouveau l’Australie, le Luxembourg, la Suisse et le Royaume-Uni, cette fois en compagnie du Canada.

Le travail, un moteur sous-estimé

L’étude aboutit à un excédent macroéconomique, mais derrière celui-ci se cache une réalité plus complexe. “Tous les migrants ne contribuent pas à l’économie”, explique M. Docquier. “Je ne dis pas non plus que l’intégration des migrants est une réussite. Il suffit de voir le faible taux d’emploi des immigrés en Belgique et ailleurs en Europe. L’étude ne se prononce pas non plus sur les effets à long terme, car elle ne prend pas en compte les migrants de deuxième et troisième génération.”

Le débat public se concentre souvent sur les demandeurs d’asile, ce qui n’arrange pas les choses. “L’afflux de demandeurs d’asile et de réfugiés ne représente qu’une part limitée de l’immigration totale”, explique Dries Lens, chercheur à l’université d’Anvers. “En réalité, l’immigration est principalement motivée par la demande de main-d’œuvre. Si l’économie va bien et qu’il y a beaucoup de postes vacants sur le marché du travail, l’immigration augmente. Une grande partie de l’immigration est intraeuropéenne, soit dit en passant. On l’oublie souvent. Sur le nombre de premiers permis de séjour délivrés aux nouveaux arrivants au cours des dix dernières années, un peu plus de la moitié a été attribuée à des migrants intraeuropéens. Et dans ce groupe, près de la moitié ont donné le travail comme raison de leur séjour en Belgique”.

Pour les migrants non européens, le regroupement familial reste le principal motif de séjour, selon M. Lens. “Mais une partie de ces personnes qui bénéficient du regroupement familial suivent les migrants qui travaillent et étudient. D’ailleurs, les études sont une autre raison importante pour obtenir un permis de séjour. De plus en plus de migrants non européens viennent également en Belgique pour travailler.”

Ce dernier point n’est pas surprenant. Nos entreprises ont absolument besoin de migrants. “Si vous visitez un chantier de construction aujourd’hui, vous entendrez parler de nombreuses langues”, explique M. Lens. “Que ferait le secteur de la construction sans les migrants ? Des secteurs tels que la transformation de la viande, le transport, la logistique et le nettoyage dépendent également beaucoup de la main-d’œuvre étrangère. Dans le secteur des titres-services, par exemple, un peu plus de la moitié des travailleurs sont nés à l’étranger. On pense trop souvent que la pénurie de main-d’œuvre concerne principalement les ingénieurs, les médecins, les infirmières et d’autres personnes hautement qualifiées. Or, les pénuries sont particulièrement importantes dans les professions peu qualifiées. Cette demande de main-d’œuvre est l’un des principaux moteurs de l’immigration en Belgique.

Les Polonais ne viennent plus.

Cette réalité explique également pourquoi un gel de l’immigration – un autre sujet de débat populaire – causerait de graves dommages économiques, à supposer que cela soit possible. “Geler l’immigration signifie une contraction directe de notre main-d’œuvre, et donc du nombre de travailleurs disponibles pour les postes vacants sur un marché du travail déjà très tendu”, explique M. Lens.

Il s’agit souvent d’emplois que les travailleurs locaux ne veulent plus occuper. “Il s’agit soit d’emplois mal rémunérés, soit de conditions de travail peu attrayantes”, explique M. Lens. “Il s’agit souvent aussi de professions qui n’ont plus la cote auprès de la population locale. C’est également le cas dans notre système d’éducation. Peu de parents sont encore heureux d’envoyer leurs enfants dans l’enseignement technique ou professionnel, où l’on apprend ce type de professions. Si les employeurs ne peuvent plus trouver ce type de profil ici, ils devront se tourner vers l’étranger, par exemple par le biais du détachement.

Les tensions sur le marché du travail ne disparaîtront pas parce que la Belgique vieillit. Et le reste de l’Europe vieillit également. “Les pays européens, qui nous ont apporté un afflux important de main-d’œuvre, vieillissent rapidement”, explique M. Lens. “Je pense à la Pologne, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Hongrie. Là aussi, l’offre de main-d’œuvre diminue rapidement, de sorte que la possibilité pour un Polonais de travailler dans son propre pays augmente. Les Polonais en Belgique peuvent donc retourner dans leur pays ou ne plus venir chez nous. La Belgique devra de plus en plus chercher de nouveaux travailleurs en dehors de l’Europe. La population y est généralement plus jeune et les différences économiques avec le pays d’origine sont encore suffisamment importantes.

Politique à améliorer

Pour les immigrés déjà présents en Belgique, il reste beaucoup à faire. Les immigrés européens s’en sortent relativement bien sur notre marché du travail. Mais les autres ont besoin de plus d’attention, en particulier les réfugiés et ceux issus des regroupements familiaux. “Leur intégration sur le marché du travail est plus difficile, ce qui engendre d’autres problèmes, telle que la pauvreté”, explique M. Lens. “Ces personnes se retrouvent encore trop souvent dans des emplois de courte durée, après quoi elles deviennent inactives. Il leur est donc difficile de se construire une carrière sur la durée, et elles manquent de sécurité financière et de perspectives stables. C’est là le principal problème.

Elles n’ont pas accès aux allocations de chômage durant la première période qui suit leur arrivée. “Vous n’y avez droit que si vous avez travaillé pendant une période suffisamment longue”, explique M. Lens. “Cela explique également pourquoi les nouveaux arrivants sont surreprésentés parmi les personnes percevant un revenu de subsistance. De nombreuses mères immigrées ont plus de mal à trouver un emploi à temps plein, car les services tels que les services de garde d’enfants préfèrent les parents ayant un emploi stable et bien rémunéré. Ce n’est pas illogique. Mais la décision du gouvernement flamand de donner la priorité aux couples à deux revenus dans les services de garde d’enfants ne va pas arranger les choses”.

Les politiques d’intégration des nouveaux arrivants pourraient également être améliorées. “En Flandre surtout, la politique met encore trop l’accent sur l’obtention rapide d’un emploi, sans se préoccuper du type de travail ou de la question de savoir si ce travail correspond aux qualifications et aux aspirations de l’immigré”, explique M. Lens. “Il en résulte de nombreux abandons et une surqualification : des personnes hautement qualifiées sont employées à des tâches subalternes. Le nouvel arrivant joue lui-même un rôle dans cette situation : il veut gagner de l’argent le plus rapidement possible après son arrivée. Il s’oriente automatiquement vers des emplois dont les exigences linguistiques et de diplôme sont moindres.

Les femmes sont lésées

En conséquence, les migrants sont souvent bloqués dans des emplois précaires du marché du travail. “Ils ont du mal à en sortir, car les employeurs de ces secteurs investissent souvent moins dans les formations, et pas dans celles qui permettent d’accéder aux meilleurs emplois”, explique M. Lens. La langue est également un obstacle. “Pour les meilleurs emplois, les exigences linguistiques sont généralement plus strictes. Notre marché du travail est donc un piège pour les migrants hautement qualifiés”.

De plus, entre emplois précaires avec des horaires difficiles, les navettes et en plus s’occuper de leur famille, ces personnes ont beaucoup de mal à suivre une formation et donc à gravir les échelons. Ce n’est pas une coïncidence si le groupe le plus vulnérable est celui des femmes migrantes non européennes, a déclaré M. Lens. “Souvent, elles ne travaillent pas et ne cherchent pas de travail. Elles doivent s’occuper de la famille ou ont reporté leur désir d’enfant pendant la migration et elles s’occupent de l’agrandissement de la famille après leur arrivée. Il y a tout autant de discrimination en jeu, pensez au foulard. Ainsi, certaines de ces femmes deviennent de plus en plus étrangères au marché du travail. Elles ont besoin d’une seconde chance.

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