Limiter les allocations de chômage à deux ans : la proposition des Engagés pourrait coûter très cher

“Un job plutôt qu’une allocation”, la proposition des Engagés est ambitieuse, mais comporte de nombreux défis et incertitudes quant à sa mise en œuvre et son coût réel. Une analyse plus approfondie et réaliste est nécessaire, estime l’économiste Philippe Defeyt, président de l’Institut pour un développement durable.

Quelle est la proposition concrète des Engagés?  

Très concrètement, selon le programme du parti, la proposition des Engagés est la suivante : “Au terme d’une période de chômage de 2 ans consécutifs, tout chercheur d’emploi se verra automatiquement proposer un contrat de travail dans le secteur public ou associatif, en tenant compte de son profil et de son parcours de formation. Le demandeur d’emploi aura également la possibilité de demander de convertir pendant un an son allocation de chômage en une aide de lancement s’il propose un projet entrepreneurial qui aura été jugé viable par une banque. Cet emploi sera rémunéré à l’instar du modèle français « territoires zéro chômeur » (TZCLD). Les modalités de l’octroi de ce nouveau contrat et de son échelle salariale seront déterminées par le gouvernement qui se concertera avec les acteurs et secteurs concernés. En cas de refus de la part du demandeur d’emploi, celui-ci perdrait ses allocations de chômage.”

Vous avez réalisé quelques calculs. Combien coûterait cette mesure ?  

La différence entre ce que touche aujourd’hui un chômeur de longue durée et ce qu’il toucherait comme salaire net représente le coût. Les modalités concrètes n’étant pas encore définies, j’ai réalisé des estimations en tenant compte des hypothèses suivantes: une mise en place instantanée pour le “stock” de chômeurs existant, les emplois proposés sont à temps plein ; le salaire utilisé est l’actuel Revenu minimum mensuel moyen garanti (RMMMG), soit 2.070,48 €/mois ; 90% des chômeurs concernés acceptent le job, les autres refusent ou prennent l’aide au lancement ; les calculs sont faits avec les paramètres de mai 2024 (sauf pour les données concernant les chômeurs qui sont celles de 2023) pour le régime employé ; on suppose que les “chefs de ménage” ont 2 personnes à charge. 

Suivant ces hypothèses, la remise à l’emploi (salarié) de 90% des chômeurs de 2 ans et plus coûterait, au total en net (effets retours intégrés) un peu moins de 850 millions par an. Dans la réalité une opération d’une telle ampleur se ferait dans la durée avec des coûts en hausse progressive. 

Où et comment trouver environ 115.000 emplois – uniquement pour les chômeurs existants – dans les secteurs publics ou associatifs ?  

C’est un défi. Surtout si on veut – et je suppose que c’est le cas – éviter de “remplacer” des postes de travail existants, sinon le coût net pour le budget sera plus important. On substituerait alors – au moins en partie – des jobs hautement subsidiés à des jobs moins ou pas subsidiés. Il existe certes des besoins, par exemple dans l’accueil d’enfants et élèves. Mais les personnes concernées en ont-elles les compétences ? Les employeurs concernés ont-ils les moyens de payer une contribution même modeste si c’était la condition pour activer ces jobs ? La réponse me semble plutôt négative au vu de l’état financier de beaucoup de communes et d’associations. En tout cas, toute substitution d’emplois diminuerait les effets de retour nets. Il faut tenir compte du coût d’opportunité si une contribution était demandée à l’employeur. Et si un employeur a la capacité d’engager d’ex-chômeurs de longue durée, il faut encore prévoir un encadrement et des équipements. De plus, une personne prête à entrer dans le dispositif pourrait devoir attendre un certain temps avant d’accéder à un emploi, ce qui est problématique.

Cette mesure ne s’appliquerait donc qu’au secteur public? 

La question se pose : pourquoi propose-t-on de “gonfler” l’emploi dans le secteur public alors que le MR et les Engagés estiment qu’il est est déjà trop important ? Le programme des Engagés n’évoque pas le secteur privé. Mais, Olivier De Wasseige l’a évoqué cette semaine. La proposition pourrait donc évoluer.

Quelle est votre opinion sur la durée de deux ans pour réintégrer les chômeurs ? 

C’est une question délicate qui pose un véritable débat de société. Je suis plutôt d’avis qu’il est crucial de se concentrer sur la réactivation des personnes récemment devenues chômeuses plutôt que de celles au chômage depuis longtemps.

D’autres questions se posent…  

Oui, cette proposition suscite de nombreuses interrogations que m’ont fait part quelques personnes qui ont réagi à ma réflexion : le coût de ce dispositif sera-t-il confié aux régions ? Si oui, la Wallonie en a-t-elle les moyens ? Et que devient le dispositif ALE (aide locale à l’emploi)? Qu’en est-il de l’accessibilité géographique du travail proposé par rapport au domicile ? La proposition ne stipule pas non plus le type de contrat. S’il s’agit d’un CDD, voire de l’intérim, qu’arrive-t-il à l’employé au terme de son contrat ? Peut-il à nouveau bénéficier d’allocations ? Ou encore, l’intégration dans le milieu de travail, quel que soit le contrat, présuppose des coûts fixes d’encadrement organisationnel, matériel et administratif. Qui les prendra en charge ? Autre réflexion: si ces jobs “existent”, ne ferait-on pas mieux de les proposer, du moins en partie, à d’autres demandeurs d’emploi, par exemple à des jeunes sans revenus ?

Cette proposition des Engagés n’est, en l’état, pas réaliste, selon vous ?  

Non, à minima, elle n’est pas aboutie. Elle pourrait coûter très cher si elle va jusqu’au bout, surtout si elle remplace des emplois existants par des emplois subventionnés.

Les Engagés ont placé la barre probablement trop haut. De toute évidence, il faudra du temps pour déployer cette démarche. Et se pose alors une autre question : tant qu’on n’est pas en capacité de proposer un job à tous ceux qui auraient accepté d’entrer dans ce dispositif, comment “traite-t-on” les chômeurs de longue durée qui se retrouvent de facto sur une “liste d’attente”. Par exemple, la dégressivité s’appliquerait-elle ? 

Je tiens aussi à souligner que la mesure n’a pas été proposée pour être chiffrée par le Bureau fédéral du Plan.  

En conclusion, que suggérez-vous pour améliorer cette proposition ? 

Il faut une analyse plus approfondie et réaliste, en tenant compte des fonctionnements quotidiens des communes, des provinces et des associations. Assurer une cohérence et une viabilité économique est essentiel. 

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