L’Europe mène une difficile quête d’autonomie dans le secteur des semi-conducteurs

Semi-conducteurs (illustration) © .

L’installation prochaine en Allemagne d’une usine de semi-conducteurs du taïwanais TSMC, n°1 mondial, marque une victoire pour l’Europe, en quête de plus d’autonomie dans ce secteur crucial. Mais la production reste étroitement imbriquée entre Etats-Unis, Asie et Europe.

Quelle est la stratégie européenne ?

Elle participe à une course mondiale à l’autonomie. Lors de l’épidémie de Covid et du blocage des frontières, l’Europe a pris conscience de sa dépendance envers les puces fabriquées aux Etats-Unis et en Asie, en particulier pour son industrie automobile. D’où le “Chips Act” voté cette année et doté de 43 milliards de subventions, qui vise à porter la production de l’UE à 20% de la capacité mondiale d’ici 2030, donc quadrupler sa production actuelle.

Mais tous les pays ont abouti à la même conclusion. Les Etats-Unis ont adopté un “Chips Act” de 52 milliards de subventions. La Chine, également en recherche d’autonomie, veut investir des dizaines de milliards, alors que les Occidentaux bloquent désormais leurs ventes d’équipements avancés à Pékin. Qui, en riposte, veut limiter ses exportations de métaux rares.

Quelles sont les forces et faiblesses de l’Europe ?

“Cela dépend des catégories de composants”, expliquent à l’AFP Emilie Jolivet et Alexis Debray, experts du cabinet spécialisé Yole Group. “Les européens Bosch et Infineon Technologies (Allemagne) et STMicroelectronics (France/Italie) ont des capacités de production de capteurs et de composants de puissance (diodes, transistors…) mais les mémoires et les composants logiques, indispensables aux smartphones et à l’IA, sont surtout fabriqués en Asie et aux Etats-Unis”.

L’enjeu est aussi la finesse de gravure. Les composants les plus avancés, destinés aux smartphones ou à l’IA sont gravés à moins de 5 nanomètres. Les plus matures, comme ceux destinés à l’automobile, sont gravés à 16, 22 ou 28 nm, soulignent-ils. Avec les nouvelles usines récemment annoncées, l’Europe se renforce sur les deux tableaux. 

L’usine TSMC change-t-elle la donne ?

L’Europe attire depuis quelques années les géants mondiaux. L’américain Intel construit à Magdebourg (Allemagne) une giga-usine de plus de 30 milliards d’euros, largement aidée par Berlin, qui fabriquera des composants avancés. Intel a aussi accru ses capacités de production en Irlande.

L’usine TSMC, moins grande, est tout aussi stratégique, explique Alexis Debray. “TSMC y fabriquera des composants moins avancés, de 12 à 28 nm, mais qui serviront les constructeurs automobiles européens ou des industriels comme Siemens ou Schneider. La production sera de 40.000 wafers (plaquettes de silicium) par mois, soit 10% de la demande mondiale dans cette catégorie en 2028. Cela donnera à l’Europe davantage de poids pour récupérer la production packagée (mise en boîtier plastique) en Asie”, relève-t-il.

D’autant que le site de TSMC complète une série d’annonces ces derniers mois. STMicroelectronics prévoit, avec l’américain GlobalFoundries, une grande usine à Crolles (France). Bosch va investir 3 milliards d’euros pour accroître sa production de composants logiques et de capteurs, Infineon en a annoncé 5 milliards pour un nouveau site et l’américain Wolfspeed 2 milliards pour une usine de semi-conducteurs en plaques pour l’automobile, toujours en Allemagne. 

Cela peut-il rendre l’Europe autonome ?

“Impossible, aucun pays n’est autonome”, souligne Emilie Jolivet. “La fabrication d’une puce est complètement imbriquée entre plusieurs pays. Un wafer de silicium fabriqué en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie doit être envoyé à Taïwan, en Chine ou en Malaisie pour le découpage et le packaging. Les Etats-Unis possèdent des géants de la conception et du design, comme Nvidia ou AMD. L’Europe abrite le leader mondial des équipements de gravure, le néerlandais ASML, mais très peu d’usines de packaging”. Le +Chips Act+ de l’UE prévoit d’ailleurs de renforcer ce secteur, où Intel va investir en Pologne.

“Mais sur les composants de mémoire nécessaires aux data centers et aux smartphones, nous sommes sur un jeu mondial coréen, japonais et américain, avec une domination de la Corée grâce à Samsung”.

“En conclusion, le +Chips Act+ européen ne sera pas suffisant mais donnera à l’Europe un peu plus de poids dans la balance”, conclut Emilie Jolivet.

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