Les salaires sont-ils “à la traîne” en Belgique ?
Une publication du Conseil Central de l’Economie fait réagir, autant du côté des syndicats que du côté des entreprises. L’écart du coût salarial entre la Belgique et les pays voisins atteindrait un record cette année. L’occasion d’augmenter les salaires ou de limiter les hausses ?
Il y a de la marge pour des augmentations substantielles de salaires en Belgique!”, entonne le syndicat chrétien CSC ce mercredi. Il réagit à une publication du Conseil Central de l’Économie (CCE), un organe fédéral qui donne des avis sur différents aspects de l’Économie.
Ce dernier s’est penché sur le coût salarial horaire en Belgique, en le comparant aux pays voisins. Pour que la Belgique reste compétitive, ce dernier ne peut pas évoluer plus rapidement qu’en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, comme le prévoit la loi de 1996. Le Conseil vient à la conclusion que l’écart salarial, aussi appelé handicap salarial, sera de 1,8% cette année.
“Calcul truqué” qui laisse de la marge pour augmenter les salaires
La confédération des syndicats chrétiens critique ce calcul “truqué”, prévu ainsi par la loi, car il ne tiendrait pas compte du coût salarial “réel”, qui lui serait “nettement inférieur”. C’est que le calcul ne tient pas compte de subventions salariales et de réductions de cotisations sociales et patronales, qui réduisent effectivement le coût salarial.
Le CCE donne aussi ce chiffre réel et sait que les subventions et réductions représentent 5,6% de la masse salariale belge. Soit beaucoup plus qu’en France (1,22%), aux Pays-Bas (1,01%) et en Allemagne (0,24%). Et c’est là que le bât blesse, selon le syndicat : le coût salarial est peut-être plus élevé en Belgique, mais la différence serait plus que récupérée par ces subventions et réductions. Ergo : “On constate que le coût salarial horaire moyen belge en 2022 est inférieur de 3,8% au coût salarial horaire moyen des pays voisins”, ce qui donne de la marge pour augmenter les salaires, clame-t-il. Surtout que les entreprises affichent des résultats “historiques”.
Et la différence risque de se creuser, rappelle la CSC : “Étant donné que les salaires belges ont pris de l’avance par rapport aux salaires des pays voisins en raison de l’indexation automatique des salaires en 2022 et 2023, on peut s’attendre à ce que notre écart par rapport aux pays voisins se creuse encore dans les années à venir, car ces derniers effectuent actuellement un mouvement de rattrapage.” Raison de plus d’augmenter les salaires.
Le syndicat ajoute d’ailleurs un autre chiffre : “Pour effectuer une comparaison équitable, il faut également tenir compte de la différence de productivité entre notre pays et les pays voisins. En effet, un travailleur belge est nettement plus productif que son homologue allemand, néerlandais ou français. Si l’on considère le coût salarial horaire par rapport à la productivité horaire, un travailleur belge est 2,8% ‘moins cher’ que son collègue étranger, malgré un coût salarial horaire belge plus élevé.”
En toile de fond, il se plaint de cette loi de 1996, revue en 2017 sous Charles Michel, qui limite les négociations pour des hausses de salaires collectives en fonction des chiffres de l’écart entre la Belgique et ses voisins. Il préconise donc de sortir de ce “carcan artificiel” et de suivre les chiffres “réels”.
Indexation automatique
Le syndicat en parle mais ne donne pas les chiffres : l’indexation automatique. En 2023, de très nombreux salaires ont été augmentés de plus de 10%. Une charge lourde et inévitable pour les entreprises. Nombre d’entre elles ont senti la pression de cette hausse, sur leurs marges et leurs chiffres.
Elle désavantage en plus les entreprises belges par rapport aux pays voisins. Les entreprises françaises, allemandes et néerlandaises ont pu étaler les hausses et n’étaient pas obligées de tout répercuter d’un coup. Cela pèse donc sur la compétitivité des entreprises belges.
La FEB a également réagi, ce mercredi. L’organisation patronale profite de l’annonce du chiffre de l’écart salarial pour attaquer l’indexation automatique, qui ne serait “pas saine pour notre économie”. “Nos entreprises perdent des parts de marché, les exportations sont en difficulté”, s’exprime Edward Roosens, économiste en chef de la FEB.
La fédération répond implicitement à la prise de position du syndicat sur les marges potentielles pour augmenter les salaires. Le handicap salarial prévu pour 2024 “est l’un des taux les plus élevés depuis des années. Si l’on applique la loi, la marge de progression des salaires est faible, voire inexistante.”
Ce débat sur la marge pour augmenter les salaires pourrait vite prendre un tournant politique. Les élections fédérales auront lieu le 9 juin et la campagne bat son plein. La gauche est contre la loi de 1996, tandis que la droite est contre l’indexation automatique. Des propositions dans un sens comme dans l’autre pourraient donc fleurir dans le débat public.
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