Bruno Colmant
Les braises d’une crise de l’euro et d’une répression bancaire
La situation sociale, économique et militaire, inspire les plus vives inquiétudes. La guerre aura d’évidentes et graves répliques, puisque le choc énergétique s’inscrit dans un contexte de faible croissance et d’inégalités sociales amplifiées après le tsunami du Covid.
Mais derrière toute crise socio-économique couve et couvera, sous la braise, une crise de la monnaie. Certes, l’euro n’est pas mis existentiellement en cause, mais des différences entre les dynamiques économiques des pays apparaissent à nouveau, alors qu’elles avaient été camouflées par des années de déluges monétaires autorisés par l’achat, par notre banque centrale, la BCE, de 30 % des dettes publiques de la zone euro, ce qui a porté son pied de bilan à plus de 3 000 milliards d’euros (soit 6 fois le PIB de la Belgique plus d’une fois le PIB français). Cette situation s’est accompagné de l’imposition de taux d’intérêt négatifs destinés à aider le refinancement des États.
Certains pays, telle l’Italie, expriment désormais des inflexions politiques qui conduisent immédiatement à une augmentation de ses taux d’intérêt, tandis que l’Allemagne tire profit des prix du gaz, en refusant un accord européen, tout en aidant ses entreprises domestiques à garder un niveau de compétitivité que d’autres pays, plus endettés, ne peuvent pas ou plus s’autoriser. Des dynamiques économiques et industrielles centrifuges vont donc durablement s’installer dans la zone euro.
Mais ce n’est pas tout : la BCE, dont la mission principale est le maintien d’une inflation autour de 2 %, a complètement échoué dans sa mission puisque l’inflation sera, en 2022, supérieure à 10 %, et probablement de l’ordre de 4-5 % pendant les prochaines années. Toute cette construction monétaire fut fondée sur la certitude (erronée) qu’une augmentation de taux d’intérêt combattrait l’inflation, ce qui est évidemment inopérant pour combattre une inflation partiellement importée de biens critiques non substituables. C’est même pire que cela : une hausse des taux d’intérêt risque d’aggraver le risque de récession européenne et donc d’amplifier l’hétérogénéité de la zone euro. Toutes les erreurs des fondateurs de l’euro sont donc, aujourd’hui, établies et comptabilisées à leur passif.
Quel est le futur plausible de cette situation ?
C’est prévu, donc prévisible : à un certain moment, la BCE arrêtera progressivement d’acquérir la dette publique des États de la zone euro, sauf bien sûr, à en devenir le comptoir d’escompte, et donc à perdre le reste d’indépendance que les circonstances lui autorisent. Les États devront donc se rabattre vers les marchés financiers à des conditions très hétérogènes (peut-être comparables à ce qui fut constaté il y a une dizaine d’années) avant de demander, vaille que vaille et au risque de conflits d’intérêts, aux banques commerciales et entreprises d’assurances qu’ils supervisent de les financer à des conditions anormalement avantageuses, c’est-à-dire à un taux d’intérêt très bas et à très long terme.
Ce sera donc l’épargne privée qui sera canalisée vers le financement bancaire et assurantiel des États. On appelle cela pudiquement une répression financière. Ce sera, en vérité, une étatisation croissante des banques. Non pas par la prise de contrôle de leur actionnariat, comme lors d’une nationalisation soviétique ou sud-américaine, mais par la “canalisation” de leurs actifs. Certains s’en offusqueront. Mais a-t-on jamais vu un État succomber, par sa dette publique, donc collective, devant l’épargne privée que cette dette a contribué à constituer ? Et puis, n’est-ce pas déjà le cas alors que le taux d’intérêt des dépôts bancaires et réserves d’assurances est inférieur, contre toute logique arithmétique, au taux d’inflation.
Malgré le fait quelles deviennent déjà des certificateurs de processeurs publics puisque les dépôts qui leur sont confiés perdent, jour après jour, leur pouvoir d’achat, les banques commerciales s’y opposeront, mais il leur sera expliqué qu’elles tirent leur rentabilité de la manipulation d’un bien public, à savoir la monnaie, dans un contexte politique qui exigera d’apaiser les tensions sociales au travers d’un égalitarisme croissant. Et puis, le monde politique leur rappellera aimablement que sans l’aide des États, elles se seraient écroulées en 2008. Et cela, le monde politique, toujours actionnaire d’une des banques en faillite en 2008-9, ne l’a pas oublié, foi d’un ancien Président de la bourse de Bruxelles en 2008.
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