Les Belges ne sont pas égaux face à la pension

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La grande manifestation organisée ce jeudi à Bruxelles réunit des milliers de personnes opposées aux accords du nouveau gouvernement Arizona. C’est surtout la réforme des pensions qui cristallise une grande partie de la contestation. Lorsqu’on sait que les fonctionnaires, qui représentent 14 % des travailleurs en Belgique, absorbent 33 % des dépenses, il apparaît clairement que tous les Belges ne sont pas égaux face à la pension. En quoi ces différents régimes de pensions diffèrent-ils les uns des autres ?

Pour l’Arizona, une harmonisation progressive des différents régimes de pension (salariés, indépendants, fonctionnaires) doit être mise en place pour des raisons de soutenabilité budgétaire et d’équité entre les travailleurs. Si ces régimes spéciaux sont aujourd’hui au cœur des discussions politiques, pour les fonctionnaires concernés, ces spécificités sont encore aujourd’hui justifiées par la dangerosité, la pénibilité ou l’importance stratégique du métier. D’où la grogne actuelle.

Tout le monde devra travailler plus et plus longtemps 

En réalité, c’est tout le monde qui devra travailler plus longtemps et davantage. C’est pourquoi le gouvernement prévoit aussi l’introduction d’un système de bonus-malus (voir encadré) pour inciter à travailler plus longtemps.

D’ici 2030, ces mesures du gouvernement de l’Arizona devraient réduire structurellement la facture des pensions de 2,4 milliards d’euros, sur un total de plus de 60 milliards d’euros de dépenses. Rappelons aussi que les mesures seront adoptées cette année, mais n’entreront en vigueur que le 1er janvier 2027, avec de nombreuses dispositions transitoires pour ceux qui approchent de l’âge de la retraite.

Un moindre mal ?

Rappelons que la durée moyenne d’une carrière en Belgique est de 36 ans, soit l’un des taux plus faibles d’Europe. Malgré le relèvement de l’âge légal de la pension (66 ans dès cette année et 67 ans en 2030) et l’exigence d’une carrière d’au moins 42 ans, il y a encore de nombreux départs anticipés dès 60-61 ans.

Concrètement, sur 100 euros dépensés par l’État, plus de 20 euros sont consacrés aux pensions. Ce qui en fait, de loin, le plus gros poste budgétaire. Et cette part, à course inchangée, continue d’augmenter. Selon le Bureau du Plan, les coûts des pensions atteindront 86 milliards d’euros en 2029 (fin de la législature actuelle), soit 21,5 euros sur 100 de dépenses publiques. Chaque année, les pensions augmentent en moyenne de 3,4 milliards d’euros. Selon la Commission d’étude sur le vieillissement, en 2050, plus de 23 euros sur 100 dépensés par l’État seront alloués aux pensions, contre 16 euros en 1995.

Enfin, on estime que d’ici 2050, les dépenses de pension prendront une part de plus en plus grande dans le budget public, passant de 11 % à 13 % du PIB. En 2070, les coûts globaux du vieillissement (incluant les pensions et les soins de santé) représenteront près d’un tiers du PIB belge, contre un quart ailleurs en Europe.

Une harmonisation

Il existe en Belgique 3 régimes de pension légale, chacun disposant de son propre financement et mais pas tous aussi avantageux (lire plus loin).

La Belgique compte aujourd’hui environ 2,58 millions de pensionnés. La pension brute moyenne des hommes est de de 1.956€, contre 1.640€ pour les femmes. En 2023, l’État leur a versé 60,7 milliards d’euros en pensions. Parmi ces personnes 67% sont des employés, 19% des indépendants et 14% des fonctionnaires. En ce qui concerne les dépenses, les salariés représentent 59%, les fonctionnaires 33% et les indépendants 9%.

Le gouvernement souhaitant harmoniser ces trois régimes, et les fonctionnaires étant, au ratio, ceux qui coûtent le plus, c’est aussi ce dernier groupe qui devrait subir le plus de changement (avec une période de transition dès 2027).

Les mesures pour les fonctionnaires

L’Arizona a décidé que la pension des fonctionnaires sera désormais calculé non plus sur les dix dernières années, mais sur toute la carrière. La période de transition sera néanmoins très longue. La période prise en compte sera relevée d’un an, chaque année à partir de 2027. Ce qui fait que la transition (et donc légalité avec les autres régimes) ne sera complète qu’en 2062 !

Pour les prestations effectuées à partir de 2027, les tantièmes préférentiels existants seront ramenés au système ordinaire. Pour rappel un tantième est un coefficient de majoration. Autrement dit, chaque année de carrière est comptée comme plus d’une. Ce qui permet de partir plus tôt avec une pension complète.

Est aussi prévue, pour 2026, la suppression de la péréquation des pensions publiques. Concrètement les pensions des fonctionnaires ne seront plus indexées sur les salaires des actifs. Toujours pour 2026, sera aussi mis fin à la pension pour inaptitude physique.

L’abolition des régimes spéciaux

Le gouvernement envisage surtout de s’attaquer aux régimes spéciaux. Soit des régimes préférentiels de pension dans la fonction publique. Des régimes qui sont un héritage du passé puisque la première législation en Belgique en ce sens date de 1838.

Voici les principaux régimes spéciaux :

Régime spécial des cheminots

  • Destiné aux travailleurs de la SNCB (Société Nationale des Chemins de fer Belges).
  • Permet un départ anticipé à 55 ans pour le personnel roulant (conducteurs et accompagnateurs) après 30 ans de carrière.

>> Ce que le gouvernement veut changer: la retraite va progressivement passer de 55 ans à 67 ans d’ici 2037.

Régime spécial des militaires

  • Les militaires peuvent partir à la retraite dès 50, 56 ou 61 ans selon leur grade et leur ancienneté.
  • Aucune condition stricte de durée de carrière, sauf pour certains grades spécifiques.
  • Les militaires transférés vers une autre fonction publique après 45 ans conservent leurs avantages.

>> Ce que prévoit le gouvernement : L’âge de la pension passera progressivement de 56 ans à 67 ans pour les militaires. Il y a tout de même une exception pour les militaires ayant participé à des missions.

Régime spécial des policiers

  • Les membres du cadre opérationnel de la police bénéficient d’un âge de départ préférentiel. Ce régime a néanmoins déjà été progressivement durci, avec un relèvement des âges de départ ces dernières années.

>> L’Arizona prévoit de réviser, le régime “NAPAP” pour “non-activité préalable à la pension” qui permet aux policiers de partir en non-activité à partir de 59 ans.

Régime spécial des magistrats

  • Les juges et magistrats bénéficient d’un régime de pension spécifique, en raison de leur rôle essentiel dans la justice. Ils bénéficient ainsi d’un tantième de 1/35 ou 1/30 en fonction du nombre de jours de service pour les magistrats de l’ordre judiciaire, du Conseil d’État et de la Cour constitutionnelle

>> L’Arizona a la volonté d’aligner la pension des magistrats sur celle des fonctionnaires en touchant au tantième. Ce qui réduirait le montant de la pension des magistrats et des seuls avantages financiers de la fonction.

Régime spécial des enseignants

Les enseignants bénéficient de certaines modalités avantageuses, comme un coefficient de majoration (le fameux tantième) qui leur permet de partir plus tôt que les salariés et les indépendants. Ainsi pour les enseignants statutaires, il est de 1/55. Ce coefficient de calcul sera progressivement réduit. Il passe à de 1,05 en 2027 à 1,025 en 2032. Si cela divise par deux leur avantage, cela ne l’élimine pas totalement. Il restera malgré tout plus avantageux.

On notera que pour les autres services dits actifs de la fonction publique comme les policiers, les militaires, les facteurs, les douaniers, les pilotes, les contrôleurs aériens, les employés des cultes, les magistrats, les médiateurs, les commissaires de district et les gouverneurs provinciaux  ou encore les pompiers –  l’ajustement se fera progressivement, jusqu’en 2032.

Le tantième en quelques exemples concrets :
Un professeur obtient une pension complète après 41 ans de carrière, contre 45 ans pour un salarié. Pour le personnel roulant de la SNCB, grâce à des tantièmes encore plus avantageux, c’est après 36 ans. Pour les militaires, après 37,5 ans.

3 régimes de pension légale

Il existe en Belgique 3 régimes de pension légale:

Régime de pension des salariés : il règle les pensions de retraite des salariés qui ont travaillé en Belgique en tant que salariés sous contrat de travail. Les fonctionnaires contractuels en font également partie.

Régime de pension des indépendants: il règle les pensions de retraite des indépendants et des professions libérales.

Régime de pension des fonctionnaires : il règle les pensions de retraite des fonctionnaires nommés et des autres agents légalement assimilés. Magistrats, policiers, militaires, personnel enseignant, fonctionnaires locaux et provinciaux, et certains employés des entreprises publiques ont droit à une pension dans ce régime, à condition d’être nommés à titre définitif.

Quid des carrières mixes ? Toute personne qui exerce une activité professionnelle en Belgique dans l’un de ces régimes se constitue des droits de pension dans ce régime, en fonction de son activité. Il y a de plus en plus de carrières mixtes. Cela signifie qu’une même personne exerce, de manière continue ou non, des activités professionnelles dans plusieurs régimes, ce qui lui permet d’acquérir des droits de pension dans plusieurs régimes. Ces activités peuvent être exercées de manière successive ou en parallèle.

Il est aussi important de noter que ces régimes sont financés différemment :

  • Salariés : Financement par les cotisations des employeurs et des travailleurs, complétées par des subventions gouvernementales et d’autres ressources.
  • Indépendants : Financement principalement par les cotisations des indépendants, avec des compléments similaires aux salariés.
  • Fonctionnaires : Financement en partie par des cotisations personnelles, mais principalement par divers systèmes de financement de l’État.

Ces trois régimes distincts offrent des « avantages » spécifiques:

Régime de pension des salariés :

  • Calcul basé sur la carrière : La pension est déterminée en fonction de la durée de la carrière et des salaires perçus, offrant une corrélation directe entre les revenus professionnels et le montant de la pension.
  • Périodes assimilées : Certaines périodes d’inactivité, telles que le chômage ou la maladie avec perception d’un revenu de remplacement, sont prises en compte dans le calcul de la pension, assurant une continuité des droits.
  • Pension minimum garantie : Sous certaines conditions, si le montant calculé de la pension est inférieur à un seuil déterminé, il peut être relevé pour garantir un revenu minimum aux retraités.

– Régime de pension des indépendants :

  • Flexibilité des cotisations : Les indépendants peuvent choisir le montant de leurs cotisations sociales, influençant directement le calcul de leur pension future.
  • Périodes assimilées : Certaines périodes d’inactivité peuvent également être assimilées, sous conditions, pour le calcul de la pension.
  • Pension de survie : En cas de décès, les ayants droit peuvent bénéficier d’une pension de survie, assurant une protection financière pour la famille.

– Régime de pension des fonctionnaires :

Calcul avantageux :

  • La pension est généralement calculée sur la base des salaires des 10 dernières années de carrière, souvent plus élevées. La pension est souvent aussi de 75 % du salaire brut après une carrière complète, contre 60 % pour un salarié. On estime ainsi qu’une pension de fonctionnaire est en moyenne 900 euros nets plus élevée qu’une pension de salarié.
  • Les fameux tantièmes avantageux. Si pour 40% des fonctionnaires, le tantième est de 1/60, (soit il faut avoir 45 années de carrière pour bénéficier d’une pension complète)60% des agents de la fonction publique bénéficient d’un tantième plus avantageux.

Pension de survie et d’orphelin : Des dispositions particulières existent pour les ayants droit en cas de décès du fonctionnaire, assurant une continuité de revenu pour la famille.

Système bonus-malus
L’idée est de décourager le départ anticipé avant l’âge légal. Ainsi si la carrière est inférieure à 35 ans, une réduction de 2 % par an s’applique sur le montant de la pension.
En 2030, la pénalité passera à 4 % par an.
En 2040, elle passera à 5 %.Par contre si l’on souhaite travailler au-delà de l’âge légal, une prime équivalente est octroyée (même pourcentage d’augmentation).
Il y a tout de même deux exceptions importantes
Carrière de 42 ans (234 jours/an) : départ possible dès 60 ans.
– Qui a travaillé 42 ans peut toujours prendre sa retraite anticipée dès 63 ans.
A ceci s’ajoute une définition du “travail effectif” qui sera plus restrictive après cette réforme. Ainsi, les périodes de préretraite (RCC), de chômage de longue durée et d’emplois de fin de carrière ne seront plus comptées comme des périodes assimilées.

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