L’écart budgétaire entre la Flandre et la Wallonie devient intenable
Les importants déficits budgétaires et les niveaux d’endettement croissants de la Wallonie et de Bruxelles sont des causes souvent oubliées de la précarité des finances publiques de la Belgique. Dans les années à venir, ils entraîneront plus qu’un doublement de la charge d’intérêts. La différence avec la Flandre deviendra intenable.
Pour la première fois depuis de début de la pandémie de covid, les ministres-présidents de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles ont pu discuter lors de la traditionnelle fête flamande du 11 juillet à l’hôtel de ville de Bruxelles. C’est toujours l’occasion de séances de photos amicales, le sourire aux lèvres, un verre à la main. Mais pour le Premier ministre wallon Elio Di Rupo (PS) et son homologue bruxellois Rudy Vervoort (PS), il n’y avait guère de raison de faire la fête. L’état des finances publiques régionales de la Wallonie et de Bruxelles est désastreux. Il y a un mois, le parti d’opposition Les Engagés (les anciens du cdH) au Parlement wallon a déclaré qu’un assainissement du budget était nécessaire de toute urgence. “Sinon, nous devrons bientôt mendier à nouveau auprès des Flamands.” Des rapports récents de la Banque Nationale et de l’OCDE ont accordé une attention particulière à la persistance du déficit budgétaire élevé de la Belgique, qui n’est plus inférieur à 4 % du produit intérieur brut (PIB). Le doigt est, à juste titre, pointé sur le gouvernement fédéral, qui n’est pas pressé de mettre un terme au déraillement des dépenses publiques. Mais les régions sont aussi vissées.
Cette année, le déficit budgétaire wallon est de 4,1 milliards d’euros sur un bon 19 milliards de recettes, soit 21%. La dette de la Région wallonne avoisine les 30 milliards d’euros, avec pour conséquence qu’elle doit payer 600 millions d’euros d’intérêts chaque année. La situation de la Communauté française, qui gère entre autres le budget de l’enseignement, est tout aussi sombre : un déficit d’un milliard d’euros par an et une dette de 10 milliards d’euros. D’ici quelques années, ce chiffre passera à 15 milliards. La Communauté française est financée par des dotations et ne dispose pas de compétences fiscales propres. Cela signifie, de facto, que le gouvernement wallon, qui dispose d’une autonomie fiscale partielle, doit garantir cette dette.
Et qu’en est-il de Bruxelles ? La dette de la région est passée au cours des deux dernières années de 6,4 à 9,5 milliards d’euros, avec à peine 5 milliards d’euros de recettes. L’Université de Namur prévoit que la dette bruxelloise augmentera encore pour atteindre 16,4 milliards d’euros à la fin de 2024. Cela signifie que le ratio dette/recettes sera d’environ 300 %. L’Agence de la dette de Bruxelles est plus clémente et voit seulement une augmentation du ratio dette/recettes de 150 à 200 % en 2024. Ce qui est quand même énorme. La dette prévue pour la Wallonie atteindrait 48,2 milliards d’euros en 2030. Cela équivaut à peu près à 280 % des revenus de la région.
Situation de la Grèce
Cela a incité le président de la N-VA, Bart De Wever, à comparer la situation wallonne à celle de la Grèce en 2010, où le ratio dette/recettes était alors de 420%. Les économistes wallons s’empressent de relativiser cette affirmation. “La Wallonie emprunte à un taux d’intérêt légèrement plus élevé que l’État belge, mais il ne s’agit pas de taux d’intérêt de 6 ou 7 %”, affirme Joseph Pagano, économiste à l’université de Mons. “La Wallonie n’a pas non plus de problème à trouver des financiers pour sa dette. Mais l’augmentation de la dette et les charges d’intérêt font qu’il y a moins de marge de manoeuvre pour certaines tâches gouvernementales essentielles. Mais c’est un autre débat.”
Le gouvernement wallon a également avancé des arguments apaisants. Il y a eu la révision budgétaire de mai, qui a ramené le déficit en dessous de 4 milliards d’euros et, selon le gouvernement Di Rupo, a stoppé la croissance de la dette. Deuxième nuance de Namur : les crises récentes ont été exceptionnelles et ont coûté beaucoup d’argent : 900 millions d’euros pour la lutte contre le covid, 760 millions d’euros suite aux inondations de la Vesdre en juillet dernier et récemment les budgets supplémentaires pour l’accueil des réfugiés ukrainiens.
Mais la Commission wallonne de la dette, qui a été mandatée par le gouvernement wallon l’année dernière pour surveiller les finances publiques régionales et formuler des recommandations, estime que le gouvernement Di Rupo ne doit pas brosser un tableau trop rose. “L’analyse de la viabilité de la dette conduit à la conclusion que le budget régional de la Wallonie n’est pas maîtrisé”, indique le rapport. Cette situation n’est pas née d’hier, donc la couronne, les inondations, etc. ne peuvent pas simplement servir d’excuse. La dette de la Wallonie augmente depuis 2010 et les charges d’intérêt s’envolent également (130 millions d’euros supplémentaires par an) malgré des taux d’intérêt bas. En 2014, le ratio dette/recettes a culminé à 240 %. Il est ensuite tombé à 155 %, mais principalement parce que la Wallonie, comme les autres régions, a bénéficié de ressources supplémentaires à la suite de la sixième réforme de l’État. En 2019, avant Corona, la dette a recommencé à augmenter.
Un élément qui n’a guère été discuté ces derniers mois est la réduction des fonds de solidarité pour la Wallonie par la loi de finances. Cette loi régit les flux d’argent entre le gouvernement fédéral et les régions. Lors de la précédente réforme de l’État, il a été convenu que certains mécanismes de solidarité en faveur des États les plus pauvres, comme la Wallonie, seraient progressivement supprimés. En 2025 commence une période transitoire qui verra la Wallonie perdre un montant cumulé de 62 millions d’euros de fonds de solidarité par an jusqu’en 2034. La Commission wallonne de la dette recommande donc d’économiser 150 millions d’euros chaque année jusqu’en 2030. C’est un effort considérable, car il s’élève à 1,5 milliard d’euros, soit 10 % des dépenses wallonnes.
La situation à Bruxelles est similaire. Comme indiqué, la dette y est également en forte augmentation. Le déficit budgétaire a augmenté pour atteindre 1,49 milliard d’euros. Selon Cieltje Van Achter, député bruxellois du parti d’opposition N-VA, “le gouvernement bruxellois va contracter 357 millions d’euros de dettes supplémentaires en six mois. Les dépenses augmentent encore plus fortement que la dette supplémentaire, car les revenus supplémentaires sont également absorbés.” Ainsi, Bruxelles dépense plus d’un demi-milliard d’euros de plus que prévu à la fin de l’année dernière. Une partie de l’augmentation s’explique par les dépenses liées à la crise du covid (195 millions d’euros supplémentaires), les fonds destinés à l’accueil des réfugiés ukrainiens (100 millions d’euros) et l’indexation des dépenses. Mais pour 135 millions d’euros supplémentaires, aucune explication ne peut être trouvée.
Un budget flamand plus sain
La conséquence de tout cela est que l’écart budgétaire entre la Wallonie, Bruxelles et la Flandre se creuse. Les finances publiques flamandes ne sont manifestement pas en si mauvais état. Selon les chiffres du Conseil économique et social de Flandre (SERV), si la politique reste inchangée, le budget flamand pour 2022 sera clôturé avec un déficit de 2,7 milliards d’euros. En 2023, ce déficit tomberait à 1,7 milliard d’euros pour se terminer à 919 millions d’euros en 2024. “Sans compter les dépenses pour “Oosterweel et Flemish Resilience” (le plan de relance flamand, NDLR), cela représenterait un déficit de 126 millions d’euros. C’est 827 millions d’euros de mieux que dans le dernier budget pluriannuel. Si la politique reste inchangée, un budget flamand plus sain est donc à l’horizon”, indique la SERV.
La dette flamande a toutefois fortement augmenté en raison de la crise covid: de 20 milliards d’euros en 2019 à 31,8 milliards d’euros en 2021. Dans le budget pluriannuel du gouvernement flamand, la dette s’élèverait à 46,7 milliards d’euros à la fin de la législature, soit 90,4% des recettes flamandes. Ce chiffre est bien supérieur au seuil de 65 % fixé par le gouvernement flamand pour le ratio d’endettement. Selon l’estimation de la SERV, la dette flamande augmenterait moins vite en raison de la réduction des déficits et atteindrait 44 milliards d’euros en 2024, soit 82,9 pour cent des recettes. Toutefois, selon certaines projections, le ratio d’endettement continuera à augmenter par la suite, pour atteindre 96 % en 2026.
“La différence de dette entre les régions est insoutenable”, prédit le député flamand Maurits Vande Reyde (Open Vld), qui suit de près la situation des finances publiques régionales. Il prévient que ces différences seront exacerbées par les charges d’intérêt croissantes sur cette dette.
Doublement des charges d’intérêts
Les effets des hausses imminentes des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne ne se feront pas seulement sentir sur les marchés financiers. C’est aussi une nouvelle alarmante pour la structure de la dette des gouvernements de ce pays. Vande Reyde : “En particulier en Wallonie et à Bruxelles, la situation est désastreuse. Une hausse des taux d’intérêt rendra la dette future extrêmement coûteuse et insoutenable. À terme, même les dépenses courantes, par exemple dans le domaine de l’éducation, seront menacées.”
La situation à Bruxelles et en Wallonie devient alarmante. Là, les coûts d’intérêt par rapport aux dépenses auront doublé d’ici 2027. De 1,4 à 3,7 pour cent des dépenses à Bruxelles et de 2,2 à 4,1 pour cent des dépenses en Wallonie (voir graphique Doublement des charges d’intérêt en Wallonie et à Bruxelles). Cela les amène au niveau belge. “L’attitude des ministres wallons du Budget a été irresponsable par le passé, dit Vande Rey. “Ils ont ouvertement prétendu que l’argent était gratuit et que les dettes croissantes n’étaient pas un problème du tout. Tout le monde savait que ça se ferait à un moment ou à un autre. La Cour des comptes et la Banque Nationale ont lancé des avertissements à ce sujet depuis des années. Il n’y a toujours pas de sentiment d’urgence, alors qu’il est clair comme de l’eau de roche que le sud du pays se dirige vers des conditions grecques. Apparemment, les gens continuent de penser que, tôt ou tard, le gouvernement fédéral procédera à un renflouement ou à une opération de sauvetage financier. Les investisseurs en prêts wallons et les agences de notation en tiennent probablement compte également. Sinon, la prime de risque et les taux d’intérêt pour la Wallonie seraient encore plus élevés.”
En Flandre, la situation est moins dramatique. Vande Reyde : “Pourtant, là aussi, le rapport entre les frais d’intérêt et les dépenses augmentent de près de 30 %.” Les charges d’intérêt flamandes atteindront un peu moins d’un milliard d’euros en 2027.
La hausse des taux d’intérêt menace également de grignoter de plus en plus d’espace politique dans ce pays. “Le taux d’endettement se dirige vers 100 % d’ici 2027, alors qu’en 2005, nous étions encore presque sans dette. Notre cote de crédit a déjà été dégradée pour cette raison. Un taux d’endettement de 100 % est une augmentation improbable qui ne peut être imputée au seul covid. En Flandre aussi, l’écart est encore trop important. Le fait qu’elle continue à dépenser 14 milliards d’euros par an pour les subventions les plus absurdes n’est plus justifiable.” Vande Reyde plaide donc en faveur d’une norme de dépense décrétale pour tous les États fédéraux. Ils doivent veiller à ce qu’un excédent budgétaire annuel structurel de 2 % soit enregistré au cours de la période 2028-2035 : “Si cela ne se produit pas, les finances publiques des régions iront irrémédiablement dans la mauvaise direction. Cela place également la Communauté sur un nouveau terrain de jeu : auparavant, la répartition de la dette fédérale était une pierre d’achoppement. Aujourd’hui, la différence entre les dettes des États fédéraux devient insoutenable. Si la Wallonie ne fait rien à ce sujet, on se retrouve avec un pays divisé de facto.”
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