Mikael Petitjean
Le vaccin politique et économique du Coronavirus est connu
Aucune pandémie au siècle dernier n’aura été aussi dévastatrice que la grippe espagnole. Cette grippe ne provenait pourtant pas d’Espagne. Elle serait apparue en Chine avant de muter aux Etats-Unis et d’atteindre l’Europe. Espagnole, elle le devint car le seul pays à publier librement des informations relatives à sa propagation fut l’Espagne. Ainsi naquit une souche H1N1 qui fut 10.000 fois plus virulente que celle qui provoqua en 2009 quelque 290.000 décès, bien au-delà des 4.000 personnes que le Coronavirus a malheureusement déjà emportées.
A partir de septembre 1918, l’épidémie de grippe fit le tour de la planète et s’acheva quatre mois plus tard, avant une brève résurgence durant l’été 1919. Elle provoqua plusieurs dizaines de millions de morts de telle sorte qu’à la fin 1918, l’espérance de vie aux Etats-Unis avait diminué de 12 années.
La Bourse n’en a pas fait grand cas. Entre septembre 2018 et septembre 2019, elle avait progressé de plus de 12% ; la correction n’interviendra qu’au cours des 12 mois suivants, période durant laquelle les cours chutèrent de 17%.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Indubitablement, le coronavirus n’a rien à voir avec la grippe espagnole ou la chute de Lehman. Il n’en constitue pas moins l’événement le plus déstabilisateur depuis 2008. Ce virus a contaminé la planète à un moment où le marché américain n’avait jamais connu une phase haussière aussi longue. A la fin janvier 2020, le marché américain affichait un rapport “cours/bénéfice” historiquement élevé, entre 31 et 34 selon les méthodes de calcul. En considérant tous les mois compris entre janvier 1881 et février 2020, ce rapport n’aura enregistré des valeurs plus élevées que dans 4% des cas. Dans le même temps, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas : relativement au marché des obligations, le marché des actions reste bien moins cher qu’il ne l’était avant la chute de Lehman, sans parler de la “dot-com mania”.
Le choc économique est néanmoins brutal et la question fondamentale est de savoir qu’elle sera l’impact sur les résultats des entreprises. L’incertitude est d’autant plus grande que le ralentissement mondial dépend fortement de la performance réelle de l’économie chinoise. A la fin mars, les autorités chinoises vont annoncer une croissance beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est en réalité : une chute de 10% est plus réaliste que les 3% attendus. Ce choc se transmettra indubitablement au reste du monde par le canal de ses importations. Comme l’élasticité des importations par rapport au PIB est égale à deux environ, les importations de la Chine pourraient baisser de 20%. Comme les importations de la Chine représentent 11% des importations mondiales, la chute des produits exportés par le reste du monde pourrait baisser de 2,2%, soit 20% multipliés par 11%. Enfin, comme les exportations représentent 30% du PIB de l’Europe, la chute de la croissance en Chine pourrait finalement conduire à une chute de 0,7 point du PIB européen, sans compter les conséquences sur la désorganisation des chaînes de production que les entreprises cherchent à régionaliser et à raccourcir davantage.
Plusieurs entreprises font déjà face à des problèmes de liquidité. Les secteurs des services, des transports et de l’HoReCa sont les premiers en ligne de mire car ils ne bénéficient pas d’achats décalés ou d’effets de rattrapage, contrairement à ce qui peut prévaloir dans l’industrie ou le luxe. Même si le choc enregistré au cours de deux premiers mois de l’année pourrait être récupéré pour moitié durant les deux derniers, le risque de voir une crise de liquidité se transformer en une crise de solvabilité n’est pas nul. Ce fut le cas pour de nombreuses banques en 2008 et 2009. Dans un tel cas de figure, les conséquences de la crise sont alors plus lourdes.
L’objectif principal des gouvernements doit être d’éviter le passage d’une crise à l’autre, en facilitant le recours au chômage partiel et en octroyant des reports de cotisations sociales et des dégrèvements d’impôts, comme c’est déjà le cas en Chine, en Italie et en France. Même si les politiques keynésiennes de relance coordonnée sont utilisées à tort et à travers, elles sont efficaces lorsque des “trous d’air” comme celui provoqué par le Coronavirus, touchent à la fois l’offre et la demande.
Pour que la crise reste une crise de liquidité, les banques doivent également continuer à prêter. C’est aux banques centrales d’y veiller. Il y a déjà eu la baisse des taux aux Etats-Unis mais elle joue un rôle moins crucial dans un environnement où il s’agit également de relancer l’offre. La “Federal Reserve” peut néanmoins continuer à les abaisser, étant donné l’inversion de la courbe des taux qui doit se “repentifier” pour ne pas affaiblir le secteur bancaire. Une nouvelle baisse de 25 points de base n’est pas à exclure. Mais les banques centrales doivent avant tout relancer leurs opérations ciblées de refinancement à plus long terme, que l’on appelle les “TLTRO” et qui constituent l’un des instruments non conventionnels de politique monétaire de la BCE. Ces “TLTRO” permettent d’octroyer des prêts à long terme aux banques pour les inciter à accroître leur activité de distribution de crédit au profit des entreprises. La première série de TLTRO avait été lancée en 2014. La deuxième série, appelée “TLTRO II”, avait été introduite en mars 2016. La BCE en serait à son “TLTRO III” aujourd’hui.
Si la crise du Covid-19 reste une crise de liquidité, la correction boursière est exagérée car la somme actualisée des résultats nets des entreprises ne baissera pas de 15% jusqu’à la fin des temps. Revoir le taux de croissance des profits sur une seule année de 7% à 0%, voire même de 7% à -10%, ne rendra pas les obligations fondamentalement plus attractives que les actions. Par contre, une vague de faillites peut rendre permanentes les révisions à la baisse ; l’impact sur les cours est alors plus justifié, surtout si les mesures drastiques de confinement, appliquées en dernière minute, se multiplient. L’Italie n’est certainement pas un exemple à suivre sur ce plan.
Quelle qu’en soit la nature, la crise du Covid-19 n’a rien à voir avec celle de 2008 dont la cause était endogène au système capitaliste. Son système nerveux n’est pas dans l’oeil du cyclone. Le risque de faillite ne touche pas les banques ou même les Etats ; il est centré sur les entreprises actives avant tout dans les transports, l’HoReCa et certains services. Quant aux banques centrales, elles sont plus vigilantes et mieux préparées qu’en 2008. Il faut néanmoins reconnaître que la régulation a contribué à accentuer la vitesse des corrections boursières en forçant un plus grand nombre d’acteurs financiers à vendre dans le but d’éviter une évaporation de leurs fonds propres, les ventes entraînant alors d’autres ventes. Les investisseurs institutionnels capables d’aller à l’encontre de la tendance sont aujourd’hui moins nombreux.
La bonne nouvelle est qu’aucun virus n’est éternel. Si le Covid-19 ne bat pas tous les records de longévité, comme l’avait fait Jeanne Calmant du haut de ses 122 ans, nous pourrons partir en été l’esprit plus tranquille.
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